Retour sur l’exposition "Au coeur de l’art contemporain palestinien" à l’Institut du monde Arabe.

jeudi 4 août 2016

L’Institut du monde arabe à Paris a présenté une initiative intitulée « la Palestine à l’IMA » du 18 février au 20 mars 2016. L’objectif, selon les termes de Jack Lang, son président, était de « mettre à l’honneur la création palestinienne contemporaine dans ses différentes formes » et de « mettre en valeur la culture et les arts palestiniens qui, malgré les difficultés des conditions de vie la scène artistique palestinienne, continue à déployer une grande créativité ».

Cette initiative venait après d’autres événements significatifs tels que la venue d’artistes palestiniens contemporains en 1977 et « Palestine, la création dans tous ses états » en 2009 ; elle était organisée avec la Mission de Palestine à Paris.

Certes, la partie exposition était loin de rivaliser avec l’exposition récente sur les mystères engloutis d’Egypte ou prétendre représenter l’exhaustivité de la création
palestinienne contemporaine, mais force est de constater que la Palestine fait bien partie des mondes que l’IMA contribue à faire découvrir.

L’Institut du Monde Arabe amène sans doute à donner une vision différente, voire décalée dans l’ambiance générale actuelle, de la société et de la culture arabe. Les expositions, les conférences, les spectacles qui y sont donnés attirent un public curieux, large et nombreux.

Il faut souligner enfin que l’événement regroupait, comme nombre d’initiatives
culturelles autour de la Palestine, des acteurs palestiniens des territoires occupés mais aussi de la diaspora qui jouent un rôle sur la scène de l’art international ou recréent le lien en affirmant leur existence et leur droit à appartenir à cette terre.

Plusieurs volets durant ce moment :
* Une exposition d’art contemporain

La culture permet la mise en avant de quelques thèmes forts, propres à la réalité
palestinienne ; c’est notamment le vécu d’un enfermement et d’un espace qui n’a cessé de se réduire. Les 5 artistes d’art contemporain présents à l’IMA ont chacun à leur manière et selon leurs propres codes, voulu donner voulu donner un sens et une identité à l’espace public ou public. De même, les installations vidéo photo intériorisent les violences vécues.

Le ton est donné dès l’entrée à l’exposition, et le visiteur est confronté à un mur
immense percé d’un trou en forme de Palestine. De Khaled Jarrar, né à Jenine et vit dans les territoires palestiniens, on retient la dérision lorsqu’il filme un match de ping-pong de part et d’autre du mur. Celui-ci retient également notre émotion de ces échanges de mains d’une mère et de sa fille qui se touchent mais sans pouvoir se rencontrer.

Comme une revanche, Bashir Mkhoul, né dans les territoires et vit en Angleterre, invite à occuper l’espace par des boites de carton, le transformant progressivement en bidonville. L’occasion pour le visiteur de manifester également ses sentiments et ses émotions par des inscriptions portées sur les boîtes.

Larissa Sansour, née à Bethléem, vivant à Londres, nous entraîne dans un univers
aseptisé, pur et impécable, aux antipodes de la réalité palestinienne. …. tout en proposant une solution originale au « problème palestinien » : puisqu’un Etat
palestinien cohérent est impossible à cause des colonies, pourquoi ne pas construire une Palestine en hauteur, à l’image d’un gratte ciel américain, reproduisant à chaque étage une parcelle de la terre palestinienne ?

Shadi Al Zaqzouq, né à Benghazi, qui vit et travaille à Paris, est, de son propre aveu, marqué par l’islamophobie ambiante en Occident et par sa situation de migrant en Europe. Il a imaginé le Palestinien prenant n’importe quelle forme lui permettant de s’adapter et résister à l’occupation, par exemple en taupe capable de creuser des tunnels lui permettant de se déplacer sans problème d’un endroit à un autre.
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Nidaa Badwan née à Abu Dhabi, vit et travaille à saint Marin, et sans doute parce qu’elle a vécu à Gaza, elle a choisi de s’isoler et de se mettre en scène dans une série de photos de son intérieur qu’elle a intitulée « 100 ans de solitude » en hommage à G. Garcia Marquez.

Le Festival ciné-Palestine
Ce cycle de courts et longs métrages proposait des oeuvres de jeunes artistes
palestiniens et permettait de découvrir cette nouvelle génération de réalisateurs. On y retrouvait également des films plus connus tels que « les 18 fugitives » de Amer et Paul Cowan et aussi « Dégradé des frères Arab et Tarzan Nasser.

Enfin, il faut signaler l’attention particulière portée à Gaza au travers de journées–débat scientifiques et culturelles ainsi qu’un colloque traitant de l’histoire contemporaine et des aspects sociaux, urbains et politiques à Gaza.

On espère donc revoir la Palestine rapidement à l’Institut du monde arabe, ce qui devrait être le cas à la rentrée lors du Festival Palestine in & out organisé par l’Institut culturel Franco-palestinien.

Bien entendu, la culture palestinienne continuera d’être présente ailleurs en province et sous ses différentes formes, comptons sur l’AFPS et à ses divers partenaires pour cela.

Michel BASILEO - Commission Culture de l’Association France Palestine Solidarité


notre article du 6 février 2016

De nombreux artistes contemporains palestiniens sont parvenus à recréer à travers leurs œuvres un lien identitaire avec leur pays d’origine en réaffirmant leur existence et leur droit d’appartenir à cette terre. Le désir de donner un sens et une identité à l’espace provient de la nécessité d’employer des codes leur étant propres. Ces formes de résistance subversives à travers l’art leur permettent de communiquer sur la situation palestinienne à l’échelle globale et locale. La thématique de l’espace privé ou public, de son contrôle et de son appropriation sont les axes majeurs des œuvres présentées ici. Ces dernières proposent une vision imaginaire et politique créant des territoires artistiques intermédiaires redéfinissant l’espace palestinien. Peut-on cloisonner l’espace intime, existent-il des frontières artistiques ? L’idée de transgression et de franchissement des espaces contraints, la redéfinition des spatialités et des codes qui les composent par le biais « d’espaces en création » lieux de résistance active et de foisonnements artistiques sont constitutifs du travail de ces artistes.

La Palestine s’invite à l’Institut du Monde Arabe à Paris avec l’exposition des œuvres de Shadi al Zaqzouq, Khaled Jarrar, Larissa Sansour, Nidaa Badwan et Bashir Makhoul, des rencontres, des débats et une programmation cinéma en présence des réalisateurs en partenariat avec Festival Ciné-Palestine

C’est finalement dans la multiplicité et la mixité des regards et des médias que se dessine la richesse des créateurs de Palestine, comme si tous les possibles se devaient d’être convoqués pour parler d’un monde dont les repères, dont les frontières et dont la réalité échappent chaque jour un peu plus à ceux qui tentent de les raconter et de les cerner.

les artistes
Larissa Sansour
http://www.larissasansour.com
En vidéo et en photos, Larissa Sansour, une artiste née à Jerusalem, en Palestine, et vivant aujourd’hui à Londres, a méticuleusement créé son univers aseptisé, pur et impeccable, aux antipodes de la réalité palestinienne d’aujourd’hui et sans doute, quoi qu’il arrive, de demain. Elle réalise des œuvres inspirées du cinéma de genre, de séries télévisées ou encore de bandes dessinées, l’artiste n’hésitant pas à puiser dans la culture populaire. Westerns spaghetti, films de science-fiction ou d’horreur sont hybridés avec des aspects politiques et sociaux de la réalité, liés à la situation palestinienne. Portant un regard sur une géopolitique chargée de conflits, de tensions et de drames, elle utilise les ressorts de la fiction pour démonter les clichés et les stéréotypes ethniques, sociaux. Travaillant la vidéo mais aussi l’installation, la photographie ou encore le livre, elle crée des œuvres empreintes d’humour et d’une dimension critique, ancrées dans le monde contemporain.

Nation Estate, 2014
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Nation Estate est un court-métrage de science-fiction de 9 minutes témoignant avec humour de l’impasse politique au Moyen-Orient. Cette dystopie clinique dépeint une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur pouvant conduire à une contre-utopie.

Avec un mélange d’images réelles ou générées par ordinateur et d’arabesques électroniques, Nation Estate explore la possibilité d’un Etat palestinien vertical. Dans le film de Larissa Sansour, le peuple Palestinien organise un état érigé en un gratte-ciel unique : The Nation Estate. Construction colossale et gigantesque, l’ensemble de la population palestinienne peut dès lors « mener la grande vie ».

Chaque ville a son propre étage : Jérusalem occupe le 13ème étage, Ramallah le 14ème étage, Bethléem, ville natale de l’artiste, est au 21ème et ainsi de suite. Les déplacements interurbains actuellement entachés par des checkpoints sont maintenant effectués par ascenseurs. Afin d’exalter un sentiment d’appartenance, le hall d’entrée de chaque étage présente les reconstitutions des places et monuments emblématiques de chacune des villes.

Le film suit le personnage principal, joué par Larissa Sansour elle-même. Vêtue d’un costume « folklorique futuriste », Larissa rentre chez elle après un voyage à l’étranger. On la suit ainsi à travers le hall de cet édifice monstrueux financé et soutenu par la communauté internationale. Après avoir passé les contrôles de sécurité, elle prend l’ascenseur pour l’étage de Bethléem et traverse Manger Square et passe devant l’église de la Nativité. Arrivée à son appartement elle y prépare un plat de taboulé « science fictionnel ».

Khaled Jarrar

Né en Palestine, Kaled Jarrar étudie l’architecture d’intérieur à l’Université polytechnique de Palestine. Il fait également des études de photographie et rejoint, en 2007, au Checkpoint Howarra et Qalandia, une galerie en plein air, où ses œuvres et celles d’autres artistes sont exposées, à la vue des soldats israéliens. Dans le cadre du 9ème Festival international du film de Dubaï 2012, il reçoit deux prix pour son film « Infiltrators » : meilleur documentaire pour le Prix international de la Critique des films arabes attribué par la Fédération internationale des critiques de films et le Prix spécial du Jury. Si, dans son œuvre, le souci politique est affirmé chaque pièce ravive la pratique d’un art critique qui tourne en dérision toute forme de domination, les moyens employés sont souvent de l’ordre du sensible. Ses œuvres sont un terrain de prédilection pour penser, analyser, articuler son propos. Jarrar décline cette thématique de l’isolement d’un pays dans toute son œuvre avec des propositions qui attestent de sa foi dans des images capables de montrer des formes de l’oppression.

Whole in the Wall, 2013
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En entrant dans l’espace dédié à l’exposition, le public est alors immédiatement confronté à un obstacle de taille : un gigantesque mur qui bloque le passage et stoppe tout mouvement. En longeant ce mur, tel un travelling, le spectateur va progressivement plonger dans l’imaginaire de cet artiste. Plusieurs installations vidéo mettent en scène différentes situations banales du quotidien, mais qui dans ce contexte prennent une toute autre dimension. Dans la première installation, on aperçoit Khaled cassant le mur à l’aide d’un marteau, dans la seconde on le voit jouant à un match de ping-pong en faisant passer la balle de part et d’autre de ce dernier, la troisième vidéo est une séquence émouvante entre une mère et sa fille se caressant les mains sans pouvoir se voir ou s’enlacer. C’est donc avec l’utilisation d’objets très symbolique tel que le ballon de foot, la balle de ping-pong ou encore le freesbie qu’il choisit de mettre en mouvement un espace rigide et privé de toute mobilité. Ces trois éléments souvent utilisés dans un moment de partage et de jeu libre symbolisent ici le l’emprisonnement dont souffre le peuple palestinien au quotidien ; un match de ping-pong des plus banal, est perçu dans ce contexte comme un acte de résistance fort.

Bashir Makhoul http://www.bashirmakhoul.co.uk

Né en Palestine en 1963, Bashir Makouhl s’est depuis établi en Angleterre il y a une vingtaine d’années. Son travail a été exposé dans de nombreuses institutions ainsi qu’à l’international : à la Tate Liverpool, au Harris Museum à Preston, à l’Arnolfini Gallery de Bristol, à l’Ikon Gallery de Birmingham, à la Liverpool Biennial, au Herzilya Museum d’Israël, au Jordan National Museum, à la NCA Gallery de Lahore, à la Florence Biennial, à l’Haus am Lutzowplatz de Berlin, à l’UTS Gallery de Sydney, à l’Elsa Wimmer Gallery de New York, au Changshu Art Museum, au Suzhou Art Museum et au Shenzhen Art Museum de Chine.

Otherwise Occupied, 2013
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Présentée à la 55e Biennale de Venise de 2013, « Otherwise Occupied », comme son nom le suggère, traite de la situation géopolitique de la Palestine, pays au cœur de conflits depuis des générations. Établi depuis longtemps dans la scène internationale, Bashir Makhoul décrit son travail comme une résistance subversive. Pour cette installation, il subvertit le thème de l’occupation au sens large et questionne l’influence de la déterritorialisation sur le développement de l’identité. Les spectateurs sont invités à « occuper l’espace » par le biais de boites en carton laissés à leur disposition. Libres à eux de les déplacer, de les empiler, éparpiller, remodelant et questionnant le territoire, son occupation et l’éphémère des constructions humaines. Il s’agit pour les spectateurs d’inonder l’espace de ces boites et de le transformer progressivement en un bidonville fait de maisons de formes aléatoires et irrégulières.

Shadi AlZaqzouq - Underground Evolution, 2016
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L’art subversif pour interpeller sur des questions de société et politiques. C’est ainsi que l’on peut qualifier l’œuvre de l’artiste palestinien Shadi Al Zaqzouq. Les créations de Shadi mettent en avant un questionnement sur l’identité et les libertés individuelles. Il a réalisé de nombreuses expositions individuelles et collectives en France et à l’international. Pendant l’été 2015, il a été invité par l’artiste Banksy à participer à son projet artistique Dismaland en Angleterre. Il nous présentera son oeuvre « Underground Evolution » composé d’une gigantesque peinture et d’une installation.

« Vivant en exil, en tant qu’immigré, depuis près de dix ans, je n’ai jamais pu retourner rendre visite à ma famille à Gaza, malgré le fait que j’ai maintenant la citoyenneté française. En outre, je ne suis jamais allé de l’autre côté de ma patrie, surtout dans ma ville d’origine, Jaffa. J’ai passé ma vie à rêver d’un retour à Jaffa, au moins pour une journée, mais cela m’est interdit... Un jour, j’ai vu une taupe dans les bois. Je me suis inspiré de sa manière de creuser des tunnels pour passer d’un lieu à un autre sans se soucier de visas et de frontières. Je me demandais si profondément sa technique était une évolution ou un Dé-volution. C’est sans aucun doute une adaptation ... Ainsi, l’idée m’est venue que les Palestiniens prendrons n’importe quelle forme pour s’adapter et résister à une telle occupation raciste, de manière pacifique ou provocante, cette dernière de mon point de vue étant plus puissante, plus humoristique et ayant finalement le plus d’influence sur les gens ordinaires. Si la soi-disant « évolution » ne cesse de séparer les êtres humains les uns des autres, alors nous finirons tous par nous transformer en ... »

Nidaa Badwan http://www.nidaabadwan.com/

Née à Abou Dhabi en 1987, Nidaa Badwan vit à Gaza depuis 1998 et obtient en 2009 le diplôme de la faculté des Beaux-arts de l’université Al-Aqsa de Gaza. Entre 2009 et 2012, elle occupe le poste de formatrice en arts plastiques, expression artistique et photographie au Tamer Institute for Community Education.
100 jours de solitude , 2014
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Nidaa Badwan est une « fille-en-dehors » au sens de l’Outsider de Colin Wilson : hors du monde, hors des normes de sa société. Cent jours de solitude est la narration visuelle d’une artiste « qui n’appartient à rien » pour reprendre ses mots. Plus qu’un simple clin d’œil au roman de García Márquez, ce projet est le fruit d’une retraite que l’artiste s’est imposée pendant plus d’un an : au milieu d’une prison à ciel ouvert de 360 kilomètres carrés, l’artiste décide de rester confinée dans les quelques mètres carrés de sa chambre et d’en « trouver la beauté ». La rhétorique du contraste se révèle dans la dialectique extérieur / intérieur. Dehors, c’est une Gaza conservatrice ruinée par des guerres à répétition et par un blocus persistant, dehors, c’est la mort. Dedans, c’est un foisonnement intérieur et une créativité sans limite, dedans, c’est la vie.

Badwan plonge le spectateur au cœur de son univers intérieur, le quotidien d’une femme sans visage : compositions picturales maîtrisées, clairs-obscurs délicats et couleurs chaudes travaillées. L’artiste compose à l’aide de matériaux de fortune : légumes ramenés du marché, escabeau transformé en balançoire, fils de fers barbelés en guise de décoration d’intérieur… De cette économie de moyens émane un « art de l’urgence » qui s’éloigne de la représentation directe de la violence ; une œuvre subversive qui offre une vision existentialiste du monde. Badwan propose ainsi une rhétorique plus intimiste et critique sur sa réalité locale, et attribue à son œuvre une portée aussi originale qu’universelle.
Dans cette isolation créative, l’artiste raconte l’histoire d’une Gaza aussi belle que rebelle.

source : présentation des artistes : Marion Slitine, doctorante en Anthropologie (EHESS), spécialiste de l’art contemporain palestinien
site expo : http://lapalestinealima.jimdo.com/