Salmane el-Herfi : Tamimi représente une génération qui refuse et rejette l’occupation

vendredi 2 mars 2018

Trois questions à l’ambassadeur Salmane el-Herfi, représentant de la Mission de Palestine en France.

Le procès de Ahed Tamimi, l’adolescente de 17 ans qui avait bousculé deux soldats israéliens en leur donnant des coups de pied et de poing, le 15 décembre dernier, a commencé hier à huis clos devant le tribunal militaire d’Ofer, en Cisjordanie occupée. Le procès pourrait prendre des mois, alors que la jeune fille restera en détention. Depuis la diffusion d’une vidéo, devenue virale sur les réseaux sociaux, où l’on aperçoit l’adolescente aux boucles blondes frapper les soldats armés postés devant sa maison, Ahed Tamimi est devenue l’icône de la lutte palestinienne contre l’occupation israélienne. Elle est inculpée d’une douzaine de chefs d’accusation, non seulement pour les faits du 15 décembre, mais également pour d’autres actes commis sur des soldats israéliens avant cette date (tels que des jets de pierres, des menaces ou des participations à des émeutes). Le point avec Salmane el-Herfi, représentant de la Mission de Palestine en France.

Pourquoi et comment Ahed Tamimi est-elle devenue une icône ?
Tout d’abord, elle a été arrêtée illégalement. C’est la nature de l’occupation israélienne dans sa campagne d’agression contre le peuple palestinien, qui essaye de se défendre et de défendre sa terre. Ahed Tamimi est devenue une icône du peuple palestinien, et surtout des jeunes parce qu’elle représente une génération qui refuse et rejette l’occupation. C’est à cause de cela que l’occupant israélien, et surtout l’armée, qui est une armée d’occupation, essaye de réprimer la résistance du peuple palestinien. Mais ils n’arriveront jamais à éteindre le flambeau de cette résistance. Ahed Tamimi et tous les enfants palestiniens sauront faire face à cette occupation atroce qui sera, je l’espère, la dernière occupation que le monde connaîtra.

Maintenir Ahed Tamimi en détention la rendra-t-elle encore plus populaire ?
Ce n’est pas notre objectif de rendre son image plus populaire. Notre objectif et celui de Ahed Tamimi est de se débarrasser de l’occupation. Nous voulons que le monde prenne conscience de la gravité de la situation, de la haine et la barbarie de l’armée israélienne contre une population civile et des enfants qui sont nés et qui ont grandi sous l’occupation. Le peuple palestinien et les enfants palestiniens n’ont qu’un objectif : vivre libres. C’est pour cela que nous faisons régulièrement appel à la communauté internationale.

La prison est-elle une étape obligée dans la lutte contre l’occupation ?
Dans l’histoire des familles palestiniennes, il n’y en a pas une qui ne soit passée par les prisons israéliennes. Le père de Ahed a décrit ce phénomène de la vie quotidienne des Palestiniens à travers les 50 ans d’occupation depuis juin 1967 et jusqu’à maintenant, dans ses diverses publications en tant qu’activiste. Tous les jeunes, aussi âgés ou plus âgés que Ahed, sont passés par les cellules israéliennes. Si je peux faire une comparaison un peu osée, ce que font les Israéliens avec les Palestiniens est un équivalent de ce qu’ont fait les nazis en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais nous ne voyons malheureusement pas un changement de la situation dans un avenir proche en raison de l’attitude du gouvernement israélien.

Source : L’Orient le Jour


[*Notre article du 24 avril 2017*]
Salman El Herfi : "L’abandon de la violence est un modèle pour nous"

Quel est l’objet de ce déplacement diplomatique ?

Nos relations sont profondes. Je ne suis pas le premier ambassadeur palestinien à venir à Ajaccio. Je prends le relais dans le but de poursuivre ce chemin de collaboration entre la Corse et la Palestine. À l’initiative, l’association Corsica-Palestina qui a organisé cette visite. J’ai rencontré les dirigeants politiques de l’Assemblée de Corse, des responsables d’associations, des membres de la société civile et des médias. L’avenir des relations entre nos deux peuples a été au coeur de nos échanges.
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De quelle nature peuvent être ces échanges ?

Ils sont avant tout politiques. Nous avons invité les présidents Simeoni et Talamoni et nous espérons pouvoir les accueillir bientôt en Palestine. L’expérience en termes de gestion d’une collectivité, de fonctionnement d’une municipalité, de décentralisation nous apparaît très intéressante. Nous observons également comment vous envisagez le développement économique.

De par nos positions géographiques, nous devons devenir partenaires en Méditerranée.

En quoi la Corse peut-elle représenter un modèle pour la Palestine ?

Nous avons évoqué un sujet très important à nos yeux, très sensible aussi. C’est le sort des prisonniers politiques palestiniens, qui impacte directement le processus de paix du conflit qui nous concerne. Nous avons échangé sur nos expériences respectives. Et la façon dont la Corse est parvenue à installer la paix sur son territoire est un exemple pour nous. Nous sommes, comme vous, un peuple qui veut garder son identité, son indépendance, l’affirmation de sa culture. La façon dont vous défendez ces valeurs, tout en ayant renoncé à la violence, est un modèle pour nous. Et pour beaucoup de peuples de la région.

Les convergences sont-elles exclusivement politiques ?

La coopération peut aussi être sociale et culturelle. L’université de Corse a accueilli un étudiant palestinien dans la section cinéma. Il travaille actuellement à Gaza dans l’audiovisuel. La foire de l’olive de Sainte-Lucie-de-Tallano a reçu un oléiculteur de Deir Istiya. On envisage un jumelage entre Ajaccio et Jéricho, le processus suit son cours. On réfléchit à la coorganisation de pèlerinage. Les Corses catholiques pourraient être intéressés par la visite de Bethléem ou Jérusalem. Inversement, nous pourrions promouvoir auprès de nos concitoyens, la destination touristique merveilleuse qu’est votre île. Ces projets de coopération sont notamment portés par l’association Corsica-Palestina et son président Vincent Gaggini. Et sont déclinables à beaucoup de secteurs. Nous pouvons être des acteurs de la paix, en ces temps d’instabilité.

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notre article du 23 mars 2016
Salman El Herfi : Une vie palestinienne

L’histoire personnelle de Salman El Herfi, nouvel ambassadeur de la Palestine à Paris, se confond totalement avec celle de son peuple.

Ni le poids des ans ni le tragique de l’histoire n’ont, semble-t-il, entamé l’optimisme de ce colosse à la voix douce qui vient tout juste de prendre ses fonctions d’ambassadeur de Palestine en France. Salman El Herfi le dit et le redit : « Ils finiront par partir. » « Ils », évidemment, ce sont les colons qui occupent la Cisjordanie. Malgré les plans d’occupation qui se multiplient et le mur qui serpente profondément à l’intérieur du territoire palestinien, malgré la répression, le nouvel ambassadeur en est convaincu : « L’option de deux États est toujours valable parce que la paix n’est pas seulement une nécessité pour les Palestiniens, elle l’est aussi pour les Israéliens. » « D’ailleurs, argumente-t-il, les jeunes Israéliens ne voudront pas appartenir à un pays qui pratique un système d’apartheid. »

Cette conviction chevillée au corps, il la tient de son histoire personnelle. « Très tôt, dit-il, j’ai ouvert les yeux sur la situation. » Il a hérité cette conscience précoce d’un père engagé dans le mouvement national palestinien. Sa famille, d’origine modeste, était de Beer-Sheva, grande ville aujourd’hui israélienne plantée au milieu du désert du Néguev, où Salman El Herfi est né en 1944. Une terre de bergers palestiniens. Ce qui lui a longtemps valu d’être surnommé « le Bédouin », comme le confie l’une de ses amies. Il a tout vu, tout vécu, du déracinement et de l’exil. Sa vie de précarité et d’inconfort est comme un livre d’histoire. Il la raconte sans se faire prier, conscient sans doute que le récit fait partie du combat politique. La famille est d’abord expédiée à Gaza, puis à Hébron, en Cisjordanie. Un souvenir douloureux : « Nous vivions dans des grottes. » Avant d’ajouter, pensif : « Je n’ai pas eu d’enfance. » Il ira ensuite faire ses études en Algérie, puis en Jordanie, où il passe son bac. Avant de reprendre le chemin d’Alger. « Un pays qui a eu une grande importance pour moi. Au moment de la révolution algérienne [l’indépendance de 1962, NDLR], on se disait : ce qu’ils ont réussi, nous pouvons le réussir, nous aussi. »

À Paris après Mai 68

À Alger, Salman El Herfi croise les leaders africains anticoloniaux, le Guinéen Amílcar Cabral et l’Angolais Agostinho Neto, et se forme à des dossiers qui lui permettront de devenir quelques années plus tard le conseiller de Yasser Arafat en charge des questions africaines. Mais un événement interrompt brutalement son histoire algérienne : la guerre des Six-Jours, de juin 1967. « J’ai tout quitté pour rejoindre le maquis », se souvient-il. Le jeune militant du Fatah, le mouvement de Yasser Arafat, devient combattant. C’est le temps des fedayins. La toute nouvelle -Organisation de libération de la -Palestine (OLP) s’affranchit peu à peu de la tutelle pesante de l’Égyptien Nasser. Les Palestiniens rêvent d’indépendance, mais aussi d’autonomie au sein du monde arabe. Un objectif atteint en 1969, quand le Fatah et Arafat prennent la direction de l’OLP.
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Salman El Herfi est alors envoyé en France pour préparer la venue de Mahmoud -Hamchari, le futur représentant de la Palestine à Paris (il n’est pas encore question d’ambassade). « C’était juste après Mai 68, c’était bouillant », se réjouit-il aujourd’hui encore. Il débarque dans un pays qui ignore tout de la question palestinienne. Il s’inscrit à l’université de Dijon, puis part à Tours, où il perfectionne son français. Une langue qu’il manie avec une pointe d’accent. « Mahmoud et moi, se souvient-il, nous avions pour mission de prendre contact avec toutes les forces politiques. » Des efforts pas toujours couronnés de succès.

À plus de quarante ans de distance, il est toujours particulièrement reconnaissant envers les personnalités qui les ont aidés : « Des mouvements de jeunes et des organisations arabes en exil, des Tunisiens, des Marocains, mais aussi des intellectuels comme Maxime Rodinson (qu’il prononce à l’anglaise), Jacques Berque ou Henri Curiel, et l’ancien président du Conseil, Pierre Mendès France. » « Grâce à eux, on a ouvert une bibliothèque au début des années 1970, on a projeté des films, fait connaître la cause palestinienne par des livres et des bulletins, et ils nous ont aidés à approfondir la question juive et à travailler sur la relation israélo-palestinienne. »

Un bel élan brisé net par un événement tragique : « Tout s’est arrêté avec Munich », souffle-t-il dans un murmure. L’attentat commis par un groupe palestinien dissident contre les athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich, en 1972, a ruiné tous les efforts pour gagner la sympathie de l’opinion française. Salman El Herfi doit alors quitter Paris pour Beyrouth. Quelques jours plus tard, il apprenait l’assassinat de Mahmoud -Hamchari par les services israéliens. Un souvenir qui réveille une forte émotion : « C’était un frère pour moi. »

Oslo, espoir et désillusion

Dans la capitale libanaise, il rencontre Arafat et entre au Conseil national palestinien (CNP). « Avec le président Arafat, dit-il avec révérence, on travaillait énormément. Il dormait peu et il fallait toujours que l’on s’endorme après lui et que l’on se réveille avant lui… C’était une expérience extraordinaire, qui a marqué toute ma vie, se souvient-il, il y avait là Abou Jihad et beaucoup de frères qui sont aujourd’hui des martyrs. » Ces années-là, de Paris à Beyrouth et de Beyrouth à Paris, amorcent un tournant dans le mouvement palestinien. C’est l’époque où s’ébauche le plan de paix qui donnera les déclarations de Fez, en 1982, puis d’Alger, en 1988. Autrement dit, la reconnaissance d’Israël et de l’offre d’une solution à deux États qui constituera le socle des accords d’Oslo de 1993. Un grand espoir et une terrible désillusion.
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Pour Salman El Herfi, « c’est Netanyahou qui a détruit les accords d’Oslo, et il en est fier ! ». La voix s’adoucit quand il évoque Yitzhak Rabin : « Un homme courageux que j’ai eu l’occasion de rencontrer avec le président Arafat. Il savait qu’il courait un grand risque face à l’extrême droite. ». Après un temps de silence, il ajoute : « En le tuant, ils ont tué une idée, et nous n’avons plus jamais retrouvé de partenaire pour la paix comme lui. »

Une mission délicate

Au mitan des années 1990, Salman El Herfi change de vie. L’ancien fedayin devient diplomate. Signe des temps ! Les Palestiniens ont moins besoin d’armes que d’arguments. Il est ambassadeur en Afrique du Sud, où il retrouve Nelson Mandela, qu’il était venu accueillir à sa sortie de prison cinq ans plus tôt, et avec qui il noue des relations d’amitié. Il restera dix ans en poste à Johannesburg, avant d’être nommé à Tunis, lieu stratégique qui fait de lui un « délégué général de la Palestine auprès des organisations arabes ». Autant dire qu’il est étroitement mêlé aux événements qui agitent le paysage politique palestinien : la montée du Hamas et la crise de la direction politique du mouvement palestinien.

Quand il évoque le mouvement islamiste, il manie volontiers l’ironie : « Les Frères musulmans [dont est issu le Hamas, NDLR] avaient toujours refusé de rejoindre la résistance et, d’un seul coup, ils se sont mis à faire de la surenchère. » Pour décrire ce brusque revirement du début des années 1990, il use d’un dicton arabe : « Ils sont partis en pèlerinage au moment où tout le monde en revenait. » Salman El Herfi y voit la patte d’Israël. Mais il rejette fermement tout amalgame entre le Hamas et les organisations islamistes qui prônent un jihad global. Pour lui, ça ne fait aucun doute, le Hamas est « une formation nationale palestinienne, et nous allons réussir à former un gouvernement d’union ». « On ne peut pas avoir l’indépendance sans avoir l’unité. »

De retour depuis le mois de décembre à Paris, où il a tant de souvenirs, Salman El Herfi entame une mission délicate dans un pays meurtri par les attentats de 2015, et en proie à beaucoup de confusion. Comment envisage-t-il sa tâche ? « Nous travaillons étroitement avec l’Élysée et le Quai d’Orsay », avance-t-il prudemment. Mais il déplore « les amalgames entre antisémitisme et lutte anti-occupation » (il ne dit pas « antisionisme »). Et il entend « faire ce qu’il faut » pour mettre un terme à cette tentative de criminalisation de la campagne de boycott à laquelle on assiste aujourd’hui : « On ne boycotte pas le peuple israélien, mais une politique d’apartheid raciste. Je n’ai pas oublié ce qui s’est passé en Afrique du Sud. Aider l’occupation, c’est participer au crime… »
Denis Sieffert, Politis, samedi 19 mars 2016 - photo : attac.org