Sama Abdulhadi, la DJ qui a lancé la techno en Palestine

mardi 4 septembre 2018

Sama Abdulhadi participera au festival TRANSFORM ! #3 en final (23h) d’une soirée de performances, de musique et de plaisir queer, le vendredi 7 septembre, à KLAP.

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Le programme complet
Le site de Sama
Le lieu : Klap - 5 avenue Rostand - 13003 Marseille
Les tarifs : 8€ / 5€ par spectacle 18€ / 12€ pour toute la soirée + 2€ / 1€ d’adhésion au collectif Idem / Exposition gratuite
Réservations : Par téléphone 06 01 31 60 16 - Par mail : reservation@collectif-idem.org


[*Notre article du 15 août 2018*]
En 2006, la productrice et DJ Sama Abdulhadi est la première à insuffler des beats techno sombres et addictifs dans son pays : la Palestine. Elle signe d’abord ses morceaux sous le nom de Skywalker sans réaliser qu’un prétendu Luke lui volerait la vedette, elle qui n’avait pas vu un seul film de la saga Star Wars. En 2017, elle abandonne ce nom de scène pour retrouver tout simplement le sien : Sama Abdulhadi.

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Numéro l’a rencontrée à Paris, où elle vit depuis un an.

Vous êtes née en 1990 en Jordanie mais vous avez grandi à Ramallah. C’est là que vous avez organisé vos premières soirées électro en 2006...
Sama Abdulhadi : La première soirée que j’ai organisée à Ramallah était vraiment nulle. Personne ne comprenait ce que je faisais, et tout le monde est parti. Après trois tentatives ratées, j’ai finis par rencontrer la scène électro qui émergeait au même moment à Haïfa, en Israël. Finalement, peut-être que les organisateurs de soirées à Haïfa seraient venus à Ramallah par la suite si je ne m’étais pas lancée. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y avait pas de scène électronique avant que je commence. Même si des musiciens jouaient déjà de la musique alternative, du reggae ou du rock, le public avait besoin de s’émanciper de la tradition de l’ancienne génération et de vivre ce renouveau qui s’est incarné par la techno.
C’est en allant étudier à la fac à Beyrouth en 2008, que j’ai vu pour la première fois des DJ du monde entier qui venaient mixer tous les week-ends. Ce fut un choc, je n’en avais jamais entendu en Palestine. Mes études n’étant pas vraiment concluantes, mon père m’a rappelé ce vieux désir que j’avais de mixer et m’a poussée à me lancer. J’ai suivi ses conseils et je suis allée étudier un an en Jordanie l’“audio engineering” puis à l’école SAE à Londres en 2011.

Quel genre de musique écoutiez-vous quand vous étiez enfant ?
Mes parents écoutaient Michael Jackson en boucle à la maison. Moi j’écoutais du hip hop, du rock, du rap, un peu de pop mais jamais de musique arabe car je n’aimais pas ça. En Palestine, il n’y a pas de production d’auteurs palestiniens, la culture musicale est très commerciale. Et ce n’est qu’après mes études à Londres, lorsque je suis allée en Egypte en 2013 que j’ai découvert une autre facette, underground, de la musique arabe et que je l’ai appréciée. J’y ai découvert des artistes comme Tamer Abu Ghazaleh, Maryam Saleh, Mohammed Sami, Ahmed Omran, Dina El Wededi, Nancy Mounir, Maurice Louca, Nadah El Shazly, Shadi El Hosseini, ou Fathy Salama. L’Egypte est au cœur de la création artistique, cinématographique et musicale arabe. Depuis, j’essaie de faire de plus en plus de projets en mêlant ces diverses influences.

Comment travaillez-vous justement à faire évoluer la scène musicale arabe ?
En 2016, j’ai créé Awyav, une entreprise d’édition de musique. On travaille avec beaucoup d’artistes indés originaires de Palestine, du Liban, d’Egypte et de Jordanie. En plus du folklore arabe, ils jouent divers styles : old music, techno, dubstep, drum and bass, hip hop… Nous leur faisons découvrir la techno, nous organisons des résidences d’artistes, nous négocions leurs droits d’auteur, leur copyright, puis nous enregistrons et nous éditons leur musique. Je mène aussi un autre projet avec six autres artistes qui viennent de Palestine, d’Egypte et du Liban, nous communiquons uniquement par Skype pour le moment et nous nous rencontrerons tous en octobre pendant deux semaines en résidence pour enregistrer l’album et pour préparer notre tournée en France. Tous jouent différents styles de musique : du rock, de la folk, de la musique soufie ou expérimentale, et moi je joue de la techno.

En techno, quels sont les DJ qui vous inspirent ?
Je peux jouer en Back 2 Back avec Karamel (du collectif Parallèle) pendant six heures sans même avoir besoin de lui parler. On partage une connexion incroyable, on joue exactement le même style de musique. La première fois que je suis allée le voir mixer, je suis restée bouche bée et je lui ai dit : “Mec, tu joues exactement comme j’aurais joué à ta place !” Et il m’a répondu : “Non tu dis ça pour me rassurer !”. Le lendemain, il est venu à ma soirée, et a eu la même réaction : “Mais tu joues exactement comme je joue !”. J’ai aussi découvert l’artiste français Bamao Yendé qui m’a fait danser sur tout son set.
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“Toutes les femmes DJ qui commencent à mixer sont soudainement propulsées, elles peuvent exploser parce qu’elles sont des femmes, mais elles ne feraient pas danser 80 000 personnes si elles étaient “seulement” des femmes.”

Est-ce que vous préférez qu’on vous définisse par le fait que vous soyez la première DJ palestinienne ou juste comme une DJ parmi d’autres ?
Je suis fière d’être Palestinienne mais je ne veux pas que la perception de mon travail dépende de mon origine. Je n’aimerais pas qu’un festival de musique me programme parce que je suis Palestinienne mais plutôt parce qu’ils aiment la musique que je joue. En général, je dis simplement que je suis une DJ.

Comment vivez-vous le fait d’être une femme dans ce monde très masculin ?
La plupart des secteurs sont dominés par les hommes de toute façon, le monde de la techno y compris. Évidemment la programmation d’une soirée ou d’un festival est constituée en majorité de DJ qui sont des hommes, mais avec le temps, j’espère et je suis pratiquement sûre qu’on va finir par leur botter le cul ! (rires) Toutes les femmes DJ qui commencent à mixer sont soudainement propulsées, elles peuvent exploser parce qu’elles sont des femmes, mais elles ne feraient pas danser 80 000 personnes si elles étaient “seulement” des femmes. Nina Kraviz est un bon exemple, elle réussit à faire danser tout le monde. Donc je pense qu’on est sur la bonne voie. Mais de toute façon, les hommes ne m’ont jamais traitée différemment du fait que j’étais une femme, je n’ai jamais ressenti une quelconque compétition avec eux.

“Maintenant les médias ne peuvent plus nier ce qu’il se passe à Gaza. Des personnes meurent chaque jour, mais d’autres, j’espère, sont en train de se réveiller.”

La violence du conflit israélo-palestinien vous a inspiré le morceau coup de poing Beating Wound (2014) produit à partir de bruits de bombe… Que pensez-vous du regard que les Européens portent sur votre pays et sur le conflit israélo-palestinien ?

Lorsque je suis partie étudier à Londres en 2011, et que j’ai regardé les news à la télé, ça a été le choc de ma vie. J’ai découvert que l’histoire racontée par les grosses chaines de télévision en particulier n’avait rien à voir avec la réalité. Les médias se plaçaient du côté d’Israël et annonçaient non pas “Cent Palestiniens ont été tués par des Israéliens”, mais “Cent Palestiniens sont morts”. C’est pourquoi les gens sous-estiment ce qu’il se passe là-bas et sont toujours choqués par ce que je leur raconte. J’ai l’impression maintenant qu’avec la profusion de vidéos publiées sur Internet ou sur les réseaux sociaux que c’est la première fois que les Européens voient vraiment la violence du conflit [52 Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens le 14 mai 2018 lors de l’une des journées les plus meurtrières depuis quatre ans]. Maintenant, les médias ne peuvent plus nier ce qu’il se passe à Gaza. Des personnes meurent chaque jour, mais d’autres, j’espère, sont en train de se réveiller.

Source : Marthe Rousseau - Numéro.com

Voir aussi notre article du Samedi 4 mars 2017 SKYWALKER La DJ sans frontière de l’électro palestinienne aux Docks du Sud le 18 mars