Tout devra se payer un jour

samedi 17 août 2019

Gideon Levy, journaliste israélien, consacre un article à un jeune adolescent de 14 ans, amputé d’une jambe après avoir été grièvement blessé par des soldats de l’occupation près de Béthléem, en Cisjordanie occupée. Le régime israélien, non content de l’avoir handicapé à vie l’a maintenu en détention sur un lit d’hôpital pendant près d’un mois sans que son père puisse venir le voir.

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Gidéon écrit : "Durant ses 25 jours passés à l’hôpital, Mahmoud Salah âgé de 14 ans, était aussi prisonnier : Son père ne pouvait pas le voir. La plupart du temps, sa mère n’avait qu’une demi-heure par jour."

Le traumatisme persiste dans la famille, à Al-Khader, près de Bethléhem – choc du tir, blessure, amputation, 25 jours d’hôpital, en détention. Sans son père. Soldats chassant sa mère la plupart du temps. À deux reprises, ils ont même demandé à la police de la renvoyer de l’hôpital.

Un jeune garçon est amputé de la jambe, atteint par des soldats. On empêche ses parents de le voir. Son père, maçon doté d’un permis de longue durée l’autorisant à se rendre en Israël et y passer la nuit, était cependant « un risque de sécurité ». Donc , on ne l’autorise pas à voir son fils. Sa mère ne peut aller à l’hôpital qu’une demi-heure pendant les moments les plus difficiles au point de vue médical, de cette hospitalisation doublée de détention.

Comme par miracle, à sa sortie d’hôpital, les soldats sont partis, tandis que la détention du dangereux terroriste se terminait. Le tribunal militaire de la prison d’Ofer, l’a libéré sous caution, moyennant 1.000 shekels (283 dollars). Sa mère raconte que son existence de 57 ans n’est pas comparable aux 25 jours de rude épreuve, passés à la porte de la chambre de son fils, au service de pédiatrie du centre médical de Shaare Zedek de Jérusalem, sans pouvoir s’occuper de lui convenablement.

Mahmoud Salah est en 3ème. Son frère aîné Ahmed qui a 36 ans, est le père d’un bébé et sa femme est enceinte. Ahmed est dans la prison d’Ofer depuis avril, mais personne ne sait pourquoi.

La famille habite un bel appartement à Al-Khader, le mur de séparation se dressant sur la colline avoisinante. Le père, Hussein âgé de 60 ans, travaillait en Israël jusqu’à cet incident. Le jour où on a tiré sur son fils, il travaillait à Petah Tikva, près Tel Aviv. Sa femme, Aisha est femme au foyer.

Ils ont deux fils et quatre filles. Deux d’entre elles, Amira et Amina qui demeurent à l’étranger, ont pris l’avion après coup de fusil sur leur petit frère, sa détention et sa sortie de l’hôpital. Amira vit en Arabie Saoudite, Amina aux États-Unis. La petite-fille, Jori qui est arrivée d’Arabie Saoudite avec sa mère, regarde un dessin animé assourdissant sur le portable de sa mère.

Le 21 mai, c’était le Ramadan. Mahmoud s’est réveillé tard dans l’après-midi. Après l’iftar qui clôt le jeune, il a pris une douche puis est sorti. Il était environ 21 heures. Une demi-heure plus tard, deux garçons de son âge se sont présentés à la maison, effrayés et affolés, pour annoncer à sa mère qu’il avait été blessé.

Aisha est chez elle avec Ala, sa fille de 13 ans. Son mari passe la nuit à Petah Tikva au chantier de construction où il travaille. Arwa, leur quatrième fille qui est voisine, dit ensuite qu’elle a entendu des coups de feu venant du mur, sans faire attention. Personne n’imagine qu’on a tiré sur Mahmoud.

Aisha qui porte la robe noire traditionnelle et la hijab écarlate, court le chercher près du mur qu’on peut voir de la fenêtre de leur maison sur la colline, mais les voisins la préviennent que tout est bloqué à cause de l’incident, un témoin ajoutant que les soldats l’avaient déjà transporté de l’autre côté – israélien.

Un ambulancier du Croissant Rouge, qui l’a vue, offre de l’accompagner, mais la rue est fermée à la circulation. Il essaie donc de se rendre près du garçon tout seul mais on refuse et il ne sait pas dans quel état il se trouve.

Aisha rentre chez elle et voit sur Facebook qu’on a emmené Mahmoud à un hôpital de Jérusalem, Hadassah ou Shaare Zedek. Pendant ce temps, les gens se rassemblent dans l’appartement. Hussein arrive de Petah Tikva à 4 heures du matin. Aisha n’a pas dormi. Tôt le matin, elle se précipite aux bureaux de la Croix Rouge et au Club des Prisonniers palestiniens de Bethléhem, pour savoir où se trouve Mahmoud. D’abord, personne ne sait. Finalement, on lui dit qu’il est à Shaare Zedek. Elle va donc à Jérusalem.

Elle arrive à l’hôpital, cherche Mahmoud, d’abord en salle d’urgence où une personne de langue arabe pourrait l’aider. Mais sa fille Arwa lui fait savoir qu’un avocat du Club est déjà au chevet du garçon au septième étage, aux soins intensifs. Un docteur et un travailleur social l’accompagnent et lui expliquent que sa jambe est en mauvais état mais qu’on fait tout pour la sauver. Elle n’écoute pas, elle veut voir Mahmoud. Elle raconte tout avec plein de détails, comme si ça pouvait changer quelque chose.

Deux soldats surveillent Mahmoud qui est dans un coma artificiel. Le personnel soignant doit intervenir pour qu’on lui permette de voir son fils. À la vue de son fils, inconscient, des tubes sortant de son corps, sa jambe bandée suspendue en l’air, elle hurle hystériquement. Les soldats ne lui permettent pas de prendre sa photo pour l’envoyer à son père et à ses sœurs, mais elle le fait en secret et envoie les photos à Al-Khader, en Arabie Saoudite et aux USA. Plus tard, les soldats l’empêchent aussi de laisser Mahmoud téléphoner à son père.

Les jours suivants, sa mère ne peut rester que très peu de temps. Au début, il est toujours dans un coma artificiel. Le quatrième jour, on dit à Aisha qu’il n’y a plus aucune chance de sauver sa jambe : La balle a endommagé presque tous les vaisseaux et les efforts de pontage ont échoué.

Aisha signe un consentement pour l’amputation en-dessous du genou. Elle est seule à Shaare Zadek car Hussein, ne peut la rejoindre, malgré son âge et son permis : « Il pourrait se venger » durant le séjour de son fils aux soins intensifs. C’est le règlement !

Elle est maintenant assise seule à côté de la porte de la salle d’opération, lisant des versets du Coran et priant pour lui. À sa sortie, Mahmoud est dans la confusion et ne se rend pas compte qu’on l’a amputé. Quatre jours plus tard, on l’opère de nouveau et, à l’aide de sa main, il découvre qu’il n’a plus de jambe.

Il se met à crier, à s’arracher les cheveux, à se taper et à se pincer. Il est fâché contre sa mère pour lui avoir caché l’amputation : « Où est ma jambe ? » répète-t-il.

Quatre jours plus tard, il est transféré dans une salle commune où Aisha peut rester près de lui et aider aux soins. Les soldats ne quittent jamais son chevet. Deux fois ils veulent voir un permis d’entrer – qu’elle n’a pas – et appellent la police. Elle explique aux officiers qu’elle est entrée en Israël légalement : À son âge, elle n’a pas besoin de permis. Le personnel de l’hôpital la soutient et dit fermement qu’il est important de rester auprès de son fils.

Elle passe 12 jours en salle d’attente et 13 dans la chambre de son fils, dormant dans un fauteuil près du lit. À Eid al-Fitr, la fête qui indique la fin du Ramadan, elle est seule dans cet hôpital étranger. Chaque fois qu’elle doit quitter la salle, Mahmoud crie : « Ne me quitte pas ! »

Lorsque son état physique – à l’inverse de mental – s’améliore, un interrogateur, appartenant probablement au Service de sécurité intérieure israélien, Shin Bet, arrive pour l’interroger. Le 21ème jour de son hospitalisation, en son absence, le tribunal militaire d’Ofer se réunit pour discuter un prolongement de sa détention.

Voilà un garçon de 14 ans qui a perdu sa jambe. L’armée le soupçonne d’avoir lancé une bombe incendiaire par-dessus le mur sur la route avoisinante. Il dit que ce soir-là, il jouait au foot avec ses amis et qu’il s’était approché du mur pour récupérer le ballon.

Au cours de sa troisième interrogation, Arwa téléphone à Aisha pour la prévenir que la cour le relâchait sous caution. Deux jours pour obtenir l’argent. Les soldats partent, Mahmoud sort de l’hôpital dans fourgon de police. Aisha demande aux officiers de les déposer au point de contrôle 300, à l’entrée de Bethléhem, qui se trouve près de chez eux, mais ils exigent qu’on les amène au point de Qalandiya, plus éloigné. Grande joie à la maison. Les sœurs arrivent de l’étranger quelques jours après le retour de Mahmoud.

Cette semaine, le bureau du porte-parole de Tsahal déclare au quotidien Haaretz : « Le 21 mai 2019 au soir, des soldats du Tsahal ont identifié des suspects qui avaient l’intention de lancer des bombes incendiaires en direction de l’autoroute 60, près du village d’Al-Khader qui se trouve dans la zone d’Etzion. Les soldats ont agi selon les règles d’engagement et ont blessé un des suspects qui se préparait à lancer une bombe incendiaire en direction de la route. Le suspect a été appréhendé et a reçu un traitement médical offert par l’armée. On l’a évacué peu après pour lui dispenser un traitement supplémentaire.

« La détention du suspect qui était représenté par un avocat, a été prolongée plusieurs fois par le tribunal militaire qui a décidé qu’il y avait des preuves faisant le lien entre le suspect et les accusations portées contre lui. Le 13 juin 2019, le suspect a été relâché sous caution, les adversaires étant d’accord et vu son état médical ».

Mahmoud est en thérapie un jour sur deux et cherche une organisation qui l’aidera à obtenir une jambe artificielle. Il devra peut-être aller à l’étranger pour sa mise en place. À son réveil de sa sieste sur le canapé, à la vue de deux israéliens dans le séjour, il s’étonne et ne prononce pas un seul mot."

(Traduit par Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine)
Source : Haaretz