Trésor de Gaza, le retour

mardi 31 janvier 2017

En 2007, à l’issue d’une exposition au Musée d’art et d’histoire, plus de 500 rares pièces archéologiques de la région de Gaza trouvaient refuge à Genève. La situation explosive dans les territoires occupés rendait leur retour impossible. La création récente du Palestinian Museum en Cisjordanie ouvre heureusement la porte à leur rapatriement, dès cette année.

C’est une nouvelle qu’il faut mesurer à l’aune des problèmes inextricables des territoires occupés, poudrières toujours susceptibles de s’enflammer. Que sont des pièces archéologiques en regard de la violence, de la pauvreté, des efforts – sans cesse désavoués – pour l’indépendance ? Précisément : un peuple libre n’est rien sans sa culture. Si la Palestine doit un jour être un pays à part entière, pleinement indépendant, elle pourra s’appuyer sur une histoire extraordinairement riche.
JPEG - 79.3 ko POIGNÉE DE CRATÈRE Cette pièce romaine, aux attaches en forme de cheval au galop, a été découverte lors d’une fouille sous-marine près de Gaza en 2004. © Collection Jawdat Khoudary, Gaza

Un passé dont témoignent les 530 objets archéologiques sauvegardés depuis 2007 dans les Ports francs de Genève, mais bientôt de retour sur leur terre d’origine. Cette année-là, une exposition du Musée d’art et d’histoire avait fait sensation. C’était une première mondiale.

Inaugurée par Micheline Calmy-Rey, alors présidente de la Confédération, et Mahmoud Abbas, responsable de l’Autorité palestinienne, Gaza à la croisée des civilisations déroulait plus de quatre millénaires de civilisations égyptienne, cananéenne, assyrienne, perse, grecque, romaine, byzantine et islamique. Des statues, stèles et amphores, des figurines, chapiteaux et bijoux, autant de témoignages d’une région qui a toujours été, de mémoire d’homme, un passage obligé entre l’Afrique et l’Asie. C’est le trésor de Gaza, l’une des plus anciennes agglomérations du monde.
JPEG - 42.7 ko FIGURINE Céramique perse (VIe-Ve siècle av. J.-C.). © Département des antiquités de Gaza

Chaos politique

L’exposition a ouvert en avril 2007. Deux mois plus tard, les islamistes du Hamas prenaient le pouvoir à Gaza. Chaos politique, réactions internationales, insécurité de tous les instants sur la bande de 362 kilomètres carrés coincée entre Israël et l’Egypte, au bord de la Méditerranée. Le renvoi des pièces vers le Levant au terme de l’exposition devenait impossible. D’entente avec l’Autorité palestinienne, la ville de Genève a gardé le trésor à l’abri en Suisse.
JPEG - 23.9 ko APHRODITE Ou Hécate avec Pan enfant, marbre hellénistique ou romain. © Collection Jawdat Khoudary, Gaza

Les autorités genevoises se sont également entendues avec le second prêteur de l’exposition, le collectionneur palestinien Jawdat Khoudary, pour protéger ses pièces inestimables. Jawdat Khoudary est le plus important promoteur immobilier des territoires occupés. Il sauve depuis des lustres les vestiges du passé qui sont mis au jour lors de ses travaux de construction, au point de conserver aujourd’hui 4000 objets historiques, dûment inscrits à l’inventaire des biens culturels palestiniens.

Jawdat Khoudary avait confié près de 330 pièces à l’exposition du Musée d’art et d’histoire, le reste étant prêté par le service archéologique de l’Autorité palestinienne. Lui aussi était reconnaissant à la Suisse de protéger sa collection.

Projet de paix

En revanche, l’histoire était dite pour le projet commun aux Genevois et aux Palestiniens : la création d’un musée archéologique à Gaza, institution à laquelle la ville romande aurait apporté non de l’argent, mais la mise sur pied d’un concours architectural ou la formation de conservateurs palestiniens au Musée d’art et d’histoire. Le tout avec la caution de l’Unesco.

Belle idée de partenariat, projet de paix aussi, hélas vite caduc. Par après, le retour du trésor de Gaza à ses propriétaires a été maintes fois évoqué, maintes fois mis sous le boisseau en raison de la situation explosive au Proche-Orient, en particulier dans les territoires occupés.
JPEG - 31.4 ko MANCHE de poignard, bronze ancien, 2700-2350 av. J.-C. © Département des antiquités de gaza et école biblique et archéologique française

Pendant ce temps, le trésor de Gaza ne s’empoussiérait pas dans son local sécurisé des Ports francs. Ces témoignages du passé ont voyagé en Allemagne et en Suède pour des expositions. « Ce patrimoine sauvegardé par nos soins nous a beaucoup apporté en termes de notoriété, concède Jean-Yves Marin, directeur du Musée d’art et d’histoire de Genève, archéologue lui-même. Les retombées médiatiques ont été mondiales. »

La ville de Genève a absorbé les coûts de location du dépôt à la Praille, environ 30 000 francs par année, une somme qui a été ensuite divisée par deux grâce à un geste de bonne volonté des Ports francs. « Et 23 pièces du trésor ont été restaurées », ajoute Marc-André Haldimann.

L’artisan du retour

Ancien conservateur du Département d’archéologie du MAH, aujourd’hui chercheur à l’Université de Berne, Marc-André Haldimann était le commissaire, avec Marielle Martiniani-Reber, de Gaza à la croisée des civilisations. Il en avait été l’un des principaux artisans, comme il l’est aujourd’hui du renvoi du trésor dans les territoires.

C’est lors de l’inauguration, en mai 2016, du Palestinian Museum de Birzeit, en Cisjordanie, que le principe du grand retour, enfin, s’est cristallisé. Le nouveau musée accueillera l’ensemble des pièces protégées pendant dix ans à Genève. Dans un second temps, la collection de Jawdat Khoudary lui sera retournée à Gaza, où il a créé son propre petit musée.

Une exposition sur ce patrimoine archéologique sera présentée au Palestinian Museum dans la seconde moitié de 2018. Cette institution privée a connu un départ chahuté avec la démission abrupte de son premier directeur. Désormais dirigée par Mahmoud Hawari, formé à l’Université d’Oxford et au British Museum, elle est maintenant sur de meilleurs rails.

Selon Jean-Yves Marin, le rapatriement des pièces de Gaza aura lieu cette année, une fois les difficultés administratives d’une telle opération résolues. La plus grande partie du trésor, d’un poids total de 24 tonnes, voyagera par bateau, l’autre par avion. Un transitaire israélien devrait s’occuper de l’opération.

Jean-Yves Marin se félicite de ce dénouement pour la réputation de son musée comme havre protecteur de patrimoines en péril. Le MAH a déjà sauvegardé un trésor inestimable : les toiles du Prado de Madrid pendant la guerre d’Espagne. Cet exemple fameux a été mentionné en décembre lors de la conférence internationale d’Abu Dhabi sur la protection des sites historiques détruits par les djihadistes.

Un fonds spécial de 100 millions de dollars, géré par une fondation de droit suisse, devrait être créé encore cette année à Genève. Le proche épilogue de l’affaire du trésor de Gaza – pour peu bien sûr que la situation politique demeure stable dans les territoires – sert la tradition de bons offices de la ville.

Luc Debraine - Journaliste/rédacteur Hebdo Suisse - rubrique Culture
image logo : OBOLE Tête imberbe, entre 410 et 332 av. J.-C. © Département des antiquités de gaza