Un document historique et juridique de référence : L’annexion comme symptôme de l’apartheid Israélien

vendredi 31 juillet 2020

Il y a 100 ans, le 1er juillet 1920 l’armée britannique établissait une administration civile en Palestine. Dans les 25 années qui ont suivies, le Mandat Britannique pour la Palestine allait préparer le terrain pour un processus de colonisation qui perdure toujours. Pendant que le gouvernement israélien continuer d’annexer de nouveaux territoires en Cisjordanie occupée, aussi il est important de revenir sur ce siècle de colonisation motivé par l’effacement, l’expulsion et la dépossession du peuple palestinien indigène.

En 1945, la Charte des Nations Unies (ONU) a rendu définitivement illégale toute utilisation de la force et l’acquisition de territoire par la force. C’est cette base légale, engageant tous ses membres, qui définit la norme péremptoire du droit international pour la prohibition de l’annexion. Pourtant, le 29 novembre 1947, l’Assemblée Générale de l’ONU a recommandé la division de la Palestine]. Cette division viole le principe sacro-saint du droit international tel qu’existant à l’époque en divisant un territoire dans lequel l’auto-détermination des Palestiniens avait déjà été reconnue dès 1920 par la Ligue des Nations.

Au moment de la Nakba, ou « catastrophe » de 1948, l’acquisition de territoire par la force et le délit majeur du transfert de population était déjà interdits par les traités internationaux. Pourtant, les milices sionistes ont mené de larges campagnes de nettoyage ethnique, expulsant 85% du peuple palestinien de leurs maisons, leurs terres, leurs propriétés et détruisant 531 villages palestiniens pendant la guerre. Immédiatement après la Nakba, Israël a scellé cette dépossession en refusant le droit aux réfugiés palestiniens et aux personnes expulsées de retourner dans leurs maisons et sur leurs terres.
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Dans les années qui ont suivi, Israël a institué une série de lois, règlements et pratiques qui ont institutionnalisé la suprématie raciale juive sur le peuple indigène palestinien. Au travers de la Loi du Retour de 1950, la Loi de Citoyenneté de 1952 et la Loi d’Entrée en Israël de 1952, Israël a accordé à chaque personne juive le droit exclusif de rentrer en Israël comme immigrant juif, de recevoir un traitement préférentiel, et d’obtenir la citoyenneté, créant de fait dans le droit israélien le statut supérieur de la « nationalité Juive ». En conséquence, la citoyenneté israélienne n’a jamais été un fondement pour l’égalité des droits]. De plus, Israël a adopté la Loi des Propriétés en Absence de 1950, qui est devenue l’outil légal principal pour confisquer la propriété des réfugiés palestiniens. Elle est toujours utilisée aujourd’hui pour expulser les Palestiniens de Jérusalem. Ce qui en a découlé depuis est un héritage de suppression et dépossession du peuple Palestinien, symptomatique de la création et du maintien par Israël d’un régime d’apartheid.

En 1948, après que des dizaines de milliers de Palestiniens ont été déracinés de Jérusalem et empêchés d’y retourner, Israël a déclaré illégalement la partie ouest de la ville comme « territoire occupé par Israël ». Il n’a pas fallu longtemps pour qu’Israël cimente cette annexion de jure de Jérusalem Ouest en y appliquant illégalement les lois et juridictions israéliennes. Similairement, à la suite de l’occupation de Jérusalem Est, Israël a étendu la surface d’applicabilité de la loi israélienne sur 70 kilomètres carrés du territoire occupé au travers de Loi d’Ordonnance d’Administration de 1967, débouchant sur l’annexion de jure de Jérusalem Est. L’article 11(b) de cette loi donne autorité à Israël d’étendre sa juridiction par décret à « toute partie de la Terre d’Israël », une zone géographique aux contours flous et plus large que décrite dans le Mandat Palestinien.

Après l’annexion de Jérusalem Est, les autorités d’occupation israéliennes ont mis en place des lois, règlements et pratiques discriminatoires visant à créer et maintenir illégalement une large majorité démographiquement Juive-Israélienne dans la ville, tout en continuant à empiler les critères que les Palestiniens devront remplir pour garder leur droit de résidence à Jérusalem. À travers la lourde politique du « centre de vie » qui requiert que les Palestiniens prouvent que leur centre de vie est continuellement à Jérusalem, Israël a révoqué les droits de résidence de plus de 14.500 Palestiniens à Jérusalem depuis 1967, accélérant leur transfert hors de la ville.

En même temps, les autorités israéliennes ont utilisé la planification discriminatoire du cadastre comme outil pour déplacer les Palestiniens des 2 côtés de la Ligne Verte. À Jérusalem Est, les Palestiniens n’ont le droit de construire que sur 13% du territoire, majoritairement déjà construit. Dans les années passées, la municipalité israélienne n’a délivré que 7% des permis de construire pour les résidents palestiniens qui représentent environ 40% de la population de la ville. Israël a systématiquement démoli les maisons palestiniennes à Jérusalem, déplaçant de fait des centaines de Palestiniens chaque année. A l’opposé, Israël a illégalement construit 15 colonies à Jérusalem Est, logeant plus de 209.270 colons israéliens , avec comme objectif d’altérer la nature, le statut légal et la composition démographique de Jérusalem.

En 1980, Israël a appliqué sa « Loi Fondamentale » à Jérusalem, déclarant la ville, « complète et unie » sa capitale . Ce faisant, Israël a réinstauré son annexion de jure de 1967 de Jérusalem Est, et son annexion de jure de 1948 de Jérusalem Ouest, en violation du droit international. Dans la résolution 478 (1980), le Conseil de Sécurité de l’ONU a réaffirmé que « l’acquisition de territoires par la force est inadmissible », et déterminé que « toutes les mesures législatives et administratives prises par Israël, comme pouvoir d’occupation, qui ont altéré ou cherché à altérer la nature et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et en particulier la récente « Loi Fondamentale » sont nulles et non avenues, et doivent être annulées immédiatement ». En 1981, Israël a de la même façon adoptée la « Loi du Plateau de Golan », qui cherche à annexer de jure le Golan Syrien occupé et place le territoire, jusque là sous contrôle militaire israélien, sous le régime de la loi civile Israélienne. Dans la résolution 497 (1981), le Conseil de Sécurité de l’ONU a maintenu que « la décision Israélienne d’imposer ses lois, sa juridiction et son administration dans le territoire Syrien occupé du Golan… est nul et non avenu et sans effet légal international ».

Pendant que le gouvernement israélien planifiait la formalisation de l’annexion illégale de grands morceaux de la Cisjordanie, la réalité est que la zone C était de facto sous annexion israélienne depuis des décennies. Contrairement à l’annexion de jure de Jérusalem et du Golan Syrien, ou les lois civiles israéliennes sont imposées illégalement, les lois militaires israéliennes continuent de s’appliquer à travers la zone C, qui constitue environ 60% de la Cisjordanie. Toutefois, cinq décennies d’occupation ont renforcé la maîtrise israélienne du territoire et accéléré le transfert et l’effacement des Palestiniens au travers de construction et d’expansion agressives des colonies israéliennes, et le découpage cadastral discriminatoire qui créé un environnement coercitif pour les Palestiniens.

PNG - 280.3 ko Enfants du nord de la vallée du Jourdain. Photos : Rana MuharebPhotos : Rana Muhareb

Quelques 250.000 Palestiniens vivaient dans la vallée du Jourdain avant l’occupation israélienne. Environ 88% ont été déplacé de leurs terres durant la guerre de 1967. Eux aussi ont vu leurs droits à revenir bafoués. Cinquante-trois ans plus tard, seul 65.000 Palestiniens restent dans la vallée du Jourdain, plus de 90% de laquelle est désigné comme Zone C, et que les accords d’Oslo ont placé sous le plein contrôle d’Israël. Israël interdit les constructions palestiniennes sur 70% de la Zone C. Dans les 30% restants, les Palestiniens doivent obtenir un permis israélien pour construire. Pourtant, seul 1% du territoire est prévu pour les développements palestiniens. Entre 2010 et 2014, les Palestiniens de la Zone C ont obtenu environ 1.5% des permis demandés. Entre 1988 et 2014, l’administration civile israélienne a délivré, comme outil de déplacement institutionnel, 14.087 ordres de démolition envers des structures Palestiniennes de la Zone C.

Aidé par les chartes discriminatoires des institutions sionistes para-étatiques, telles que l’Agence Juive et le Fond National Juif, Israël domine l’utilisation du territoire, des ressources naturelles, l’organisation et les projets pour les Palestiniens des 2 côtés de la Ligne Verte, avec pour but de limiter l’expansion des villes et des villages palestiniens, tout en étendant les colonies juives. En 2011, Al-Haq a découvert que les 500.000 colons israéliens illégaux en Cisjordanie consommaient 6 fois plus d’eau que n’utilisait les 2.6 millions de Palestiniens sur le même territoire. Seulement environ 11% de l’eau des sources de montagne n’est accessible aux Palestiniens de Cisjordanie, une politique qui a été systématiquement utilisée comme outil de dépossession, et qui a particulièrement touché les moyens de subsistance des Palestiniens de la vallée du Jourdain, la plupart consistant en communauté rurales et de bergers. Ce processus n’en sera qu’accéléré par l’annexion de jure.

L’expérience nous montre que l’annexion israélienne, et tous ses précédents, ne doit pas être considérée seule, mais comme faisant partie d’un effort plus large de colonisation, qui constitue le modus operandi de l’apartheid qu’Israël maintient sur la population Palestinienne. Reconnaître ce crime d’apartheid commis par Israël est la première étape pour aborder les causes premières de l’oppression sur la Palestine. Le droit pénal international a entériné l’apartheid comme crime contre l’humanité dans l’article 7(1)(j) dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le Statut de Rome définit le crime d’apartheid en tant « qu’actes inhumains… commis dans le contexte d’un régime institutionnel d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur un autre et commis avec l’intention de maintenir ce régime ».

PNG - 93.8 ko La plage Kalia, interdite d’accès aux Palestiniens

L’apartheid envers le peuple palestinien est maintenu à travers la fragmentation stratégique du peuple Palestinien en entités légale, politique et géographique distinctes, une division que toutes les annexions futures d’Israël renforceront. Les politiques et règlements israéliens s’étendent du refus au retour des réfugiés palestiniens à la création d’un environnement coercitif, la révocation des droits de résidence, le refus de la réunification des familles et de la liberté de mouvement, des punitions collectives, la torture, les mauvais traitements et l’incarcération arbitraire de masse, y compris de défenseurs des droits humains, l’imposition continue de l’oppression raciale et la domination des Palestiniens, qui, institutionnalisés dans le droit israélien, maintiennent l’apartheid sur le peuple palestinien dans son ensemble, des deux côtés de la Ligne Verte et en exil.

Une première étape essentielle pour vaincre cet apartheid israélien est la reconnaissance de ce régime par la société civile et les états du monde entier. L’annexion doit de ce fait être traitée dans le contexte de cet apartheid, qui est le cadre primordial et le contexte dans lequel Israël commet ses violations systématiques aux droits humains contre le peuple palestinien. Dans un communiqué commun remis au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève le 16 juin 2020, 114 organisations palestiniennes régionales et de la société civile internationale ont appelé les états à reconnaître l’apartheid israélien. Les sociétés civiles ont appelé à la reconstruction du Comité Spécial de l’ONU contre l’apartheid et du Centre contre l’apartheid de l’ONU comme étapes fondamentales vers l’arrêt du régime institutionnel israélien.

Dans ce qui constitue la reconnaissance cumulée du cadre de cet apartheid, les organes de traités de l’ONU, les états membres de l’ONU et les procédures spéciales de l’ONU ont pointé de manière répétée la ségrégation raciale israélienne et l’apartheid comme impactant disproportionnellement les Palestiniens des deux côtés de la Ligne Verte. En juin 2020, 47 experts indépendants de l’ONU ont averti que : « Le matin après l’annexion verrait la cristallisation d’une réalité déjà injuste : deux peuples partageant le même territoire, gouvernés par le même état, mais avec des droits profondément inégaux. C’est la vision d’un apartheid du 21e siècle. »

Les états tiers ont une responsabilité à adopter des mesures efficaces, pouvant inclure des sanctions, pour stopper une situation illégale. Ils doivent adopter des mesures législatives, comme en Irlande, pour interdire le commerce avec les colonies illégales d’Israël. Ils doivent également mettre un terme à l’impunité d’Israël en activant les mécanismes de droit pour poursuivre ces crimes dans leurs propres juridictions et publiquement encourager et coopérer avec une enquête approfondie et exhaustive de la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation en Palestine. Les procureurs de la CPI ont déjà averti que « la large destruction de biens sans nécessité militaire et les transferts de population dans un territoire occupé constituent des crimes de guerre sous le Statut de Rome » qui tombent sous la juridiction de la CPI concernant la situation en Palestine.

La publication par l’ONU, en février 2020, d’une base de données recensant 112 entreprises israéliennes et internationales impliquées avec les colonies illégales d’Israël constitue un autre outil important pour les efforts visant à engager la responsabilité des entreprises pour les crimes commis en Palestine. Bien que cette base de données ne liste pas toutes les sociétés impliquées dans des activités avec ces colonies, c’est un véritable premier pas vers la reconnaissance du rôle que les entreprises jouent dans le maintien et le développement des colonies illégales israéliennes. Qu’elles apparaissent ou non dans la base de données de l’ONU, les états doivent juger les sociétés engagées dans des activités avec ces colonies dans leur propre juridiction. Ils devraient également s’engager à aider à la mise à jour annuelle de cette base de données comme étape supplémentaire vers la fin de la complicité des entreprises en Palestine.

En général, questionner l’annexion israélienne ne doit pas être vue comme le but final, mais comme une étape vers le démantèlement et le dépassement du régime d’apartheid d’Israël. Seule l’adoption de mesures efficaces, y compris des sanctions économiques, et la garantie de l’application du droit international et de la responsabilité pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis envers le peuple Palestinien permettront aux états tiers de commencer à répondre sérieusement à l’annexion comme symptôme de l’apartheid israélien.
La société civile a joué un rôle important dans le démantèlement de l’apartheid en Afrique du Sud. A travers une reconnaissance accrue de l’apartheid israélien et la mobilisation, la même chose est possible en Palestine. Si les expériences passées nous ont appris quelque chose, c’est que les violations des droits humains contre les Palestiniens continueront avec la même violence tant que les causes premières resteront ignorées. Dans le cas présent, ces causes premières sont la colonisation et l’apartheid. Avec ou sans l’annexion, il est temps de reconnaître cette réalité.

Photos d’illustration par Rania Muhareb.

Nada Awad possède une maitrise dans les relations internationales et la sécurité internationale de Sciences Po à Paris. Elle travaille sur les violations des droits humains dans les pays Arabes en tant que responsable du groupe de défense international à l’institut pour les études des droits humains du Caire (CIHRS) et est membre du bureau d’Al-Shabaka.

Rania Muhareb est une chercheuse juridique et responsable du groupe de défense de l’organisation Palestinienne pour les droits humains Al-Haq. Elle possède un Master of Laws en droits humains internationaux et lois humanitaires de l’université Européenne Viadrina de Francfort (Oder) et un Bachelor of Arts en science politique de l’université de Sciences Po à Paris.

Le texte original (en anglais) est consultable ici.
Source : Plateforme des ONG pour la Palestine