Une possible nomination française à l’ONU fait grincer des dents

mardi 29 janvier 2019

L’ancien ambassadeur François Zimeray est soutenu par l’Élysée pour devenir haut-commissaire adjoint aux droits de l’homme de l’ONU. Une promotion que les ONG et certains diplomates au Quai d’Orsay souhaiteraient éviter, car le candidat est jugé trop proche du gouvernement israélien.

Les candidatures à des postes de l’ONU ne sont jamais acquises d’avance, faisant l’objet de tractations serrées entre pays, comme l’échec de Ségolène Royal à la direction du PNUD (programme des Nations unies pour le développement) l’a montré en 2017. Mais l’éventualité d’une nomination du Français François Zimeray au poste de haut-commissaire adjoint aux droits de l’homme de l’ONU (HCDH, Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme) fait actuellement grincer beaucoup de dents, à la fois au Quai d’Orsay comme dans le milieu des ONG qui défendent les droits humains.

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Selon des sources concordantes, Michelle Bachelet, l’ancienne présidente du Chili et nouvelle haute-commissaire depuis septembre dernier, est actuellement en train de constituer son équipe, dans laquelle elle envisage d’intégrer François Zimeray, qui a reçu l’appui de l’Élysée, étape indispensable pour pouvoir décrocher un poste de cet acabit aux Nations unies. Sur le papier, cet avocat de 57 ans possède un profil idoine, notamment en raison de la fonction d’ambassadeur aux droits de l’homme qu’il a occupée au ministère des affaires étrangères français de 2008 à 2013. Mais en pratique, c’est un homme critiqué par la plupart de ceux qui l’ont côtoyé dans ses fonctions, à l’exception de son réseau d’amis influents.

Aujourd’hui, ceux qui alertent sur sa possible accession au poste d’adjoint de Michelle Bachelet, qui répond directement au secrétaire général des Nations unies, le font pour deux raisons : son entrisme et son indéfectible soutien à Israël. François Zimeray a fait toute une partie de sa carrière politique dans l’ombre de Laurent Fabius, dont il est très proche : il fut son témoin de mariage et maire du Petit-Quevilly, dans l’agglomération de Rouen, fief de l’ex-premier ministre. Avocat d’affaires reconverti dans l’humanitaire, il a été très actif dans les années 2000 pour mobiliser sur la question du Darfour aux côtés de Bernard-Henri Lévy et de Bernard Kouchner. Ostensiblement socialiste, il est néanmoins nommé en 2008 (sur ordre de l’Élysée occupé par Nicolas Sarkozy et de Kouchner) ambassadeur de France pour les droits de l’homme.

Cette « décision politique » passe assez mal au Quai d’Orsay, où certains gravissent les échelons patiemment pendant plusieurs dizaines d’années avant de pouvoir prétendre à un tel poste. La CFDT du ministère déposera d’ailleurs un recours devant le Conseil d’État, contestant la manière dont son prédécesseur a été viré du jour au lendemain, sans respecter les formes. Elle ironisera également dans sa lettre mensuelle sur « le Quai d’Orsay, terre d’asile des recalés du suffrage universel, des amis d’amis et des courtisans de tous poils », citant nommément Zimeray.

François Zimeray (main tendue, au centre), accompagnant Emmanuel Macron lors de la visite de ce dernier au Danemark en août 2018. C’est après cette rencontre que le président aurait décidé d’appuyer la nomination de l’ambassadeur au HCDH. © Reuters

Pendant les cinq années durant lesquelles il occupe cette fonction, il suscite des réactions mitigées. Certains louent le fait qu’il se rend régulièrement dans de nombreux pays pour y visiter des détenus politiques et plaider leur cause. D’autres voient en lui « une crapule comme j’en ai rarement vu », selon les mots du président d’une association de défense des droits humains, qui le juge superficiel et intéressé par sa propre promotion.

En 2013, Laurent Fabius devient le patron de la diplomatie et Zimeray est nommé ambassadeur au Danemark. En 2015, il se trouve sur les lieux d’un attentat islamiste à Copenhague. Lors de ses premiers témoignages, il raconte ne jamais avoir été en danger puisqu’il était dans une salle fermée où le public était filtré. Par la suite, il se présentera comme une victime du terrorisme qui a failli mourir. À la fin de son mandat, il crée un « cabinet d’avocats international associant ingénierie juridique et savoir-faire diplomatique ».

François Zimeray remplit bien les trois cases moquées par la CFDT : ami, courtisan et réfugié du suffrage universel. De 1999 à 2004, il a été député européen, placé sur la liste socialiste par Fabius. Mais à la fin de son mandat, il n’est pas reconduit par le PS, qui choisit de l’écarter. Il a fait tiquer beaucoup de socialistes par ses prises de position systématiques en faveur d’Israël et par ses dénonciations de l’Autorité palestinienne. La plupart de ses interventions au Parlement européen concernent en effet ces sujets. Il s’y illustre notamment en dénonçant les manuels scolaires palestiniens, qu’il accuse de prêcher la haine, et pousse l’Office antifraude de l’Union européenne à ouvrir une enquête sur le financement du terrorisme via un détournement des aides budgétaires de l’Europe par l’Autorité palestinienne. Une enquête qui durera une année et ne soulèvera aucun lièvre.

François Zimeray ne cache pas son amitié et son soutien à Israël et à la lutte contre l’antisémitisme. Il est le cofondateur du cercle Léon-Blum, qui remplace en marge du PS l’association Socialisme & Judaïsme, et du groupe MedBridge qui organise des conférences et surtout des voyages de députés européens en Israël, dans les territoires palestiniens et en Jordanie. Tout en prêchant la lutte contre l’antisémitisme (et parfois contre l’antisionisme, quand les deux ne sont pas confondus) et en faveur d’une paix équitable au Proche-Orient, ces organes sont perçus par beaucoup à gauche comme « des lobbys pro-israéliens », selon le mot d’un ancien élu socialiste qui a côtoyé Zimeray. « En soi, ce ne serait pas gênant s’il s’agissait de défendre Israël, mais, bien souvent, ces associations soutiennent les politiques du gouvernement israélien, qui a dérivé à l’extrême droite depuis vingt ans. »

Lorsqu’il est interrogé, François Zimeray explique toujours qu’il défend les aspirations des Palestiniens à leur propre État et qu’il faut adopter une position neutre dans le conflit et « n’être ni pro-israélien ni pro-palestinien ». « Quand on condamne l’un, on devrait être capable de condamner l’autre également », expliquait-il en 2004. Le seul souci est qu’on ne trouve jamais trace de la moindre critique des politiques israéliennes dans ses interventions, qu’il s’agisse de l’annexion illégale de territoires, du déséquilibre dans l’emploi de la violence ou des violations fréquentes des droits humains des Palestiniens – toutes fort bien documentées, entre autres, dans des rapports des Nations unies.

La plupart de ses accusations ciblent l’Autorité palestinienne, les islamistes du Hamas et, le plus souvent, les hommes et les femmes de gauche, en France, qui dénoncent les politiques israéliennes. Il est par exemple toujours prompt à taxer de « révisionnistes » ceux qui comparent Gaza à « un camp de concentration ». Lui préfère parler de « clôture de sécurité » pour le mur encerclant Gaza ou les territoires palestiniens. Selon le directeur d’une association française de protection des droits humains, « Zimeray est la courroie de transmission du gouvernement israélien en France. Il est complètement obnubilé par ça ».

Or l’une des missions récurrentes du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU est d’examiner annuellement la situation de la Palestine et des territoires occupés. C’est un point incontournable de l’agenda de l’organisation, mais qui est de plus en plus contesté. Par les Israéliens eux-mêmes – qui refusent de participer à cet examen périodique que le premier ministre Benjamin Netanyahou voudrait supprimer – et par les États-Unis. « La France, jusqu’ici, avait une position assez claire en faveur du maintien de ce point sur l’agenda, mais c’est en train de changer, raconte un bon connaisseur du HCDH. Certains diplomates français commencent à dire : “Cela ne sert à rien, Israël ne participe pas, etc.” Je ne suis pas naïf, je sais bien que le travail des institutions de l’ONU n’est pas toujours exempt de reproches, mais il a le mérite d’exister et de continuer à enquêter et à produire des rapports de terrain. »

D’après cet observateur, il y a un « agenda politique derrière la promotion de Zimeray : il y a la volonté de satisfaire Israël et de s’en prendre à l’agenda du HCDH ». Plusieurs ONG françaises se disent choquées par deux événements qui vont dans ce sens et qui se sont produits depuis les débuts de la présidence d’Emmanuel Macron. Tout d’abord l’invitation faite en juillet 2017 à Netanyahou d’assister aux commémorations de la rafle du Vél’ d’Hiv’, durant lesquelles il avait accrédité l’idée que le chef du gouvernement israélien représentait tous les juifs du monde. Et puis, plus récemment, le refus du moindre ministre français de venir remettre, comme c’est la coutume, le prix des droits de l’homme de la CNCDH à deux organisations, l’Israélienne B’Tselem et la Palestinienne Al-Haq, qui travaillent conjointement pour dénoncer les violations des droits des Palestiniens, mais qui sont dans le collimateur de Tel-Aviv.

« On assiste depuis la dernière année du mandat de Jacques Chirac en 2007 à un changement de fond de la politique française à l’égard d’Israël, estime le président de l’association de défense des droits humains. La nomination éventuelle de Zimeray s’inscrit dans ce cadre-là. » Elle n’est bien évidemment pas encore assurée, mais l’homme a déjà montré qu’il avait de l’entregent.

24 janvier 2019 Par Thomas Cantaloube - Médiapart


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