le livre du lundi : Parcours d’un militant palestinien- de chauffeur de taxi parisien à ministre de la culture

lundi 27 août 2018

J’ai fait mon métier de chauffeur de taxi comme un palestinien, j’ai parlé de la cause palestinienne à chaque fois que je pouvais le faire avec un client. ça m’a beaucoup appris, maintenant je témoigne. Paris, 1993. Anwar Abu Eisheh, réfugié politique palestinien, vient juste d’inaugurer sa plaque de chauffeur de taxi lorsqu’il apprend la signature des accords d’Oslo. C’est un long parcours qui commence, depuis les courses à 20 francs jusqu’au poste de ministre de la Culture palestinienne en 2013.
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Une tranche de vie entre la France et la Palestine, qui dépeint toute la complexité de deux sociétés en transition, avec les mots simples de celui qui raconte, et toujours en filigrane, l’espoir d’une vie en paix.

Titre : Parcours d’un militant palestinien
Auteur : Anwar Abu Eishen
Editions : La Croisée des Chemins
Prix : 18 €

Article dans le journal le Parisien du 14 septembre 2013 :
La ville d’Arcueil a honoré hier l’un de ses concitoyens au parcours atypique. Ce militant palestinien, taxi pendant cinq ans, est devenu ministre.

Il y a des parcours de vie qui pourraient inspirer des films. Celui d’Anwar Abu Eisheh est de ceux-là. La remise hier du titre de Citoyen d’honneur de la ville d’Arcueil, devant un parterre d’officiels, à ce Franco-Palestinien de 62 ans, qui a longtemps vécu dans la commune val-de-marnaise, a permis de mieux connaître celui qui est depuis quelques mois ministre de la Culture et de la Communication de l’Autorité palestinienne.

« Quand je suis arrivé en France (NDLR : en 1978), j’étais dans une logique armée, avance le sexagénaire, barbe blanche bien taillée et costume tiré à quatre épingles. C’est en parlant avec les Français que j’ai changé. J’ai appris le dialogue et la non-violence. Maintenant que je suis en responsabilité, j’essaie d’appliquer les principes de justice sociale que j’ai vus ici. Je suis un vrai Franco- Palestinien ! »

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Un véritable hommage à la ville d’Arcueil, où il a vécu une bonne dizaine d’années et qu’il fréquente régulièrement grâce au pied-à-terre qu’il possède. « Ici, je me sens chez moi », lâche-t-il. Pourquoi Arcueil ? Tout simplement parce qu’il y obtient un logement social dans la cité du Chaperon-Vert. Alors qu’il est étudiant en droit, Anwar Abu Eisheh devient représentant des étudiants palestiniens, puis membre du Conseil supérieur des sports de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), puis représentant de la Palestine au Comité international olympique.

C’est en partie à lui que l’on doit l’organisation du premier match de football avec une équipe nationale palestinienne à Arcueil en 1982. Une vie exposée, non exempt de drames. Il a failli être tué plusieurs fois. Mais la vie continue, avec ses aléas. En 1988, il se retrouve sans allocation car l’OLP n’a plus d’argent. Anwar devient alors chauffeur de taxi pendant cinq ans ! « Ça m’a appris à connaître le plan de Paris, mais surtout les Français. Moi qui avais l’habitude d’être entouré de militants, je me suis aperçu que le peuple avait d’autres préoccupations que le conflit israélo-palestinien ! J’ai alors compris le rôle que pouvaient jouer les médias. »

En 1993, les accords d’Oslo changent la donne. Alors qu’il pensait définitivement être établi en France avec sa femme, Chantal, et leurs deux enfants, on lui propose un poste de professeur de droit civil, sa spécialité, à l’université palestinienne d’Al Quds, à Jérusalem-Est. Le couple vit depuis de nombreuses années à Hébron, ville de Cisjordanie, avec laquelle Arcueil est jumelée et où Anwar a également des responsabilités à la mairie. Depuis 1997, ils ne cessent de jeter des ponts entre la France et la Palestine grâce à l’association d’échanges culturels Hébron - France, qu’ils ont créée et qui a appris le français à plusieurs milliers de petits Palestiniens.

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Sur le site : The Dissident le 2 octobre 2013
The Dissident : Dans la préface de votre livre Mémoires palestiniennes, écrit durant votre exil en France en 1982, on trouve cette phrase d’Elias Sanbar : « Les Palestiniens sont depuis 1948 des porteurs de pays ». Comment êtes-vous devenu un porteur de pays ?
Anwar Abu Eisheh : Je déteste le désespoir, même lorsque je me dis qu’il n’y a rien d’encourageant. Cette résistance… En fait, c’est au sein du Fatah que j’ai appris des mots comme « laïcité », bien qu’il ne me convainquait pas tellement. À l’époque, nous prêchions la lutte armée. On était très influencé par Nasser, qui disait que ce qui a été pris par la force ne peut être repris que par la force. Mais j’ai été aussi influencé dans ma vie par mes instituteurs à l’école primaire et par mes professeurs de droit à l’université. En 1974, le Conseil National Palestinien a décrété que l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) était prête à pratiquer son autorité [y compris par la lutte armée, ndlr] sur n’importe quelle parcelle de la Palestine qui serait libérée. J’étais tout à fait contre, mais ce n’est qu’en 1976 que j’ai commencé à penser la non-violence.

Ce processus de réflexion est-il tout d’abord né de vos lectures ?
Non, ce sont d’abord les faits. J’ai vécu des atrocités. J’ai vu tout le monde autour de moi en subir. J’ai connu la prison, où j’ai été torturé et où j’ai vu qu’on pouvait être sauvagement humilié. En prison, à ce moment-là, il y avait l’élite de la société, avec laquelle j’ai noué des liens – et avec laquelle j’ai continué la lutte armée. Puis quand je suis venu en France, j’ai surtout eu des dialogues avec mes amis de la Palestine et des associations : je n’avais jamais entendu l’expression « résistance non-violente » avant de venir en France. Avant, je disais que c’était de la résistance politique, c’était évident pour nous qu’il fallait utiliser toutes sortes de luttes, économiques, diplomatiques, politiques, juridiques… Finalement, la dernière guerre à laquelle j’ai participé, c’était en 1978, dans le Sud-Liban, et je crois que je ne pouvais plus être un bon soldat. Je suis devenu quelqu’un qui hait la guerre et la violence, un homme de dialogue.

Êtes-vous en dissidence par rapport au Fatah ?
Non, mais j’ai toujours eu une voix critique au sein du Fatah, c’est d’ailleurs pour cela que je ne suis jamais monté dans l’échelle du parti. C’est à cette époque que j’ai choisi de travailler avec Issam Sartaoui [numéro 2 de l’OLP, assassiné en 1983 à Lisbonne, ndlr], qui défendait un accord de paix avec les Israéliens. C’est d’ailleurs dommage qu’à cette époque nous n’ayons pu faire ce qui serait plus tard les accords d’Oslo. Un autre tournant personnel évident est la guerre civile au Liban. À cette époque, je faisais des cauchemars, je voyais des ennemis venir me tuer. Au moment de son assassinat, Sartaoui m’habitait, je rêvais qu’il venait me parler. Tout cela s’est arrêté quand j’ai commencé à être chauffeur de taxi en France.

Ces années en France ont-elles été dures ? Quelle est leur place dans votre de parcours de résistant ?
Pendant la guerre en Irak et l’invasion du Koweït, j’étais tellement désespéré qu’à mon retour en Palestine, après les accords d’Oslo, je n’y croyais pas. Je me sentais attaqué 24 heures sur 24 avec les experts, à la radio, qui disaient du mal des Arabes et des musulmans. Je ne reconnaissais plus la France, je me suis véritablement senti comme un ennemi public. Dans mon taxi, j’ai appris à faire la différence entre l’élite et l’homme de la rue. J’ai découvert l’influence que les médias ont sur les gens et j’ai compris que leur première préoccupation, c’est leur quotidien, leur travail. La Palestine vient après. J’ai également beaucoup échangé avec des amis de la cause palestinienne. En France, je suis chez moi, je me sens chez moi, mon épouse est Française… Je n’ai d’ailleurs qu’un passeport français ! En Palestine, aujourd’hui, je suis Français, Mahmoud Abbas m’appelle « le Parisien ». C’est aussi car je suis le porteur de propos nouveaux ou inhabituels, sur la laïcité par exemple, qui font d’ailleurs naître chez les extrémistes et conservateurs une peur du colonialisme culturel français.

Vous avez aussi fondé l’association d’échange culturel Hébron-France…
Oui, à mon retour en Palestine. Nous avons choisi de travailler dans la vieille ville, c’est-à-dire la zone totalement occultée où les exactions des colons et de l’armée sont nombreuses, où il y a une volonté de faire partir les gens. Il n’y a là que des gens pauvres, qui ne peuvent être ailleurs. J’ai découvert qu’ils ressentent de la haine pour tout ce qui est étranger, que ce soit moi, le touriste, le soldat israélien. Ils sont isolés : le premier et le dernier étranger qu’ils ont l’habitude de voir, c’est le soldat armé. Je constate que l’ennemi numéro un de tout groupe humain, quel que soit l’endroit ou la religion, plus que la situation économique difficile, c’est l’isolement. Et la colonisation, cela veut dire l’étouffement des Palestiniens, elle les isole. Voilà pourquoi l’association cherche à multiplier les échanges, avec des étrangers qui viennent, discutent avec les gens. Les choses changent quand on sort les jeunes de cet isolement, quand on leur apporte de la tendresse, de l’amour, même simplement de l’attention. C’est une expérience forte pour moi de travailler avec ces jeunes.