L’armée israélienne détruit une école cofinancée par la Belgique

jeudi 15 février 2018

Dimanche matin, l’armée israélienne a rasé deux classes d’une école palestinienne, près de Jérusalem. Ces classes avaient été financées par plusieurs pays européens, dont la Belgique. Israël détruit régulièrement des projets d’aide aux Palestiniens financés par l’Union européenne.

L’armée israélienne explique ces classes ont été construites sans les autorisations nécessaires. Les permis de bâtir sont pratiquement impossible à obtenir pour ces communautés palestiniennes près de Jérusalem. Pour le coordinateur humanitaire des nations unies Roberto Valent : "Abu Nuwar est l’une des communautés les plus vulnérables de Cisjordanie et a besoin d’aide humanitaire." Il estime qu’Israël a créé un environnement coercitif qui viole les droits des habitants qui risquent de subir un transfert forcé.

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Pourquoi cet acharnement sur Abu Nuwar ?
Le scénario se répète en fait année après année. C’est au moins la cinquième fois qu’une partie de cette école est démolie par les autorités israéliennes. Et les habitants d’Abu Nuwar ne parviennent pas à s’habituer à cette violence. Le maire de l’entité de Jahalin, Dawoud Jahalin, raconte : "Nous avons été surpris quand ils sont arrivés à 5 heures du matin, avec les forces d’occupation appuyées par un hélicoptère et la police. Ils sont entrés dans le camp et l’ont déclaré zone militaire fermée. Ils ont arrêté ceux qui essayaient d’atteindre l’école. Ils ont commencé à détruire l’école. Ils ont détruit les 3e et 4e années."

Abu Nuwar est un village bédouin très pauvre, semblable à un bidonville. Les 650 habitants élèvent des chèvres et des moutons. Ils sont sédentarisés là depuis des années. Israël veut les faire quitter cette coline stratégique, près de Jérusalem, en Cisjordanie occupée, dans une zone appelée E1. Un plan de développement y prévoit nouvelles colonies juives, qui relieraient Jérusalem à d’autres grandes colonies à l’intérieur de la Cisjordanie qui serait pratiquement coupée en deux.

Compensations pour les destructions
Les deux classes détruites avaient été financées par un mécanisme humanitaire européen auquel participe la Belgique. Ces destructions de projets belges et européens sont plus en plus fréquentes. On estime qu’environ 400 infrastructures humanitaires financées par l’Union européenne ou ses États membres ont été détruites volontairement par les autorités israéliennes depuis 2009. En décembre, des députés européens avaient symboliquement présenté une facture de 1 million 200.000 euros au Premier ministre Benjamin Netanyahou lors de sa visite à Bruxelles.

La Belgique demande désormais systématiquement des compensations lors de pareilles destructions qui violent le droit international humanitaire. Une demande formelle a été faite l’année passée avec six autres pays après la destruction de panneaux solaires dans ce même village bédouin d’Abu Nuwar.

JPEG - 50.9 ko En beige, les villages palestiniens. En bleu, les colonies israéliennes et la zone E1. - © Tous droits réservés

Source : Daniel Fontaine, RTBF


[*Notre article du 30 janvier*]
Palestine. Les écoles : une cible privilégiée de l’armée en Cisjordanie, afin de contraindre à un « départ silencieux »
Lorsque les enfants de Beit Ta’mar, un village situé au sud-est de Bethléem, ont quitté leur école improvisée pour des vacances d’hiver il y a environ deux semaines, ils ne savaient pas si le bâtiment serait encore debout à leur retour.

Appeler le bâtiment une école, c’est une exagération. Il est composé de cinq salles en béton au sommet d’une colline, construites par les habitants du village, qui ont également construit la route de l’école.

JPEG - 155.3 ko Elèves dans une classe de la communauté de Khar Al-Ahmar, en Cisjordanie, 22 février 2017

« En août dernier, nous avons demandé à l’armée la permission de construire une école pour les enfants du village », explique Hassan Brigiah en route pour le site. Nous n’avons pas reçu de réponse, et après avoir parlé à un avocat, nous avons décidé d’installer six caravanes pour servir de classes d’école. L’armée est venue et a démonté les caravanes. Pendant qu’ils faisaient ça, je leur ai dit : “Mais vous ne nous avez donné aucune réponse.” Ce qui ne nous a pas aidés. Nous avons alors décidé de construire quelques salles de classe en béton, et pendant ce temps, un avocat a réussi à obtenir une décision juridique pour empêcher leur démolition jusqu’à ce que le gouvernement nous donne une réponse. »

L’armée a depuis fourni une réponse négative, comme prévu. Comme toujours, les raisons sont techniques et bureaucratiques. Depuis lors, la menace de démolition pèse sur les premières classes de troisième année du primaire. L’Autorité palestinienne a fourni des tables et des chaises, ce qui est indiqué sur une plaque. « Nous construirons la patrie avec le pouvoir de la connaissance » est peint sur l’un des murs.

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L’école est située dans la zone C [zone sous contrôle total d’Israël pour la sécurité et l’administration, elle représente 62% du territoire de Cisjordanie], mais à proximité de la zone B sous contrôle civil palestinien et dont les terres sont des propriétés privées. Birgiah ajoute que la construction de l’école a été financée par les villageois eux-mêmes.

« Nous sommes très proches de Tekoa et Noqdim, où vit Avigdor Liberman [ministre de la Défense] », ajoute Birgiah. « Les colons ont beaucoup d’influence sur le gouvernement. Presque tous les jours, ils se tiennent sur la colline surplombant l’école et surveillent nos enfants avec des jumelles. L’armée est aussi là tout le temps, se promenant, prenant des photos et s’en allant. Ils veulent nous montrer qu’ils sont là, pour que nous continuions à vivre dans la peur. »

En général, on a le sentiment que les écoles et les établissements d’enseignement sont devenus une cible privilégiée de l’armée en Cisjordanie.

Il y a environ un mois, l’armée a émis un ordre de démolition contre la classe de quatrième année dans une école de la communauté d’ A-Nawer, près de la colonie de Maale Adumim. Le 7 octobre 2017, l’armée y confisque les portes des deux écoles. Selon le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem, les troupes israéliennes ont déclaré l’été dernier que l’école était en zone militaire fermée et ont confisqué les panneaux solaires qui alimentaient l’école.

Un jour avant le début de l’année scolaire en Cisjordanie, l’année passée, des soldats ont démoli une école dans le village de Job a-Dib, laissant 80 élèves sans aucune instruction. L’école était faite de six caravanes, qui ont été démantelées et confisquées par l’armée. Comme l’a rapporté Eli Bitan [un journaliste d’origine ultraorthodoxe qui s’est prononcé en 2017 pour la solution des deux Etats lors d’une manifestation à Tel-Aviv de la Paix maintenant, en mai], pendant la démolition, l’armée a utilisé des grenades assourdissantes contre les habitants.

Un jour plus tôt, une cinquantaine de soldats et de policiers avaient démoli une caravane destinée à servir de jardin d’enfants à Du al-Baba, près d’Al-Azriah. Les 25 enfants de la communauté âgés de quatre à six ans n’ont pas d’autre cadre éducatif. L’armée a également confisqué 10 tables, 30 chaises, deux placards et un tableau noir, qui valaient ensemble des dizaines de milliers de shekels. Environ deux semaines auparavant, l’armée avait confisqué les panneaux solaires qui alimentaient l’école et le jardin d’enfants d’Abu A-Nawar, qui avaient été donnés par une organisation humanitaire.

Le 22 décembre 2017, la Haute Cour israélienne a rejeté une requête des habitants d’Al Muntar, une communauté bédouine près de la colonie de Maale Adumim, contre le projet de l’armée de démolir un jardin d’enfants et une école dans la communauté. A partir du 1er février 2018, les bâtiments pourront être transformés en poussière à tout moment – des bâtiments conçus pour offrir une alternative au long et dangereux trajet que les élèves doivent faire jusqu’aux écoles des villes voisines.

Un transfert silencieux

Entre 1988 et avril 2017, l’armée israélienne a donné 16789 ordres de démolition dans la zone C, dont une quarantaine contre des écoles et d’autres bâtiments utilisés à des fins éducatives, selon les données de l’organisation Bimkom [ONG créée en 1999 par un groupe d’architectes et qui relie les questions de droits humains et d’organisation du territoire]. L’architecte Alon Cohen-Lipshitz, coordinateur du programme de Bimkom en Cisjordanie, explique que « toute cette zone a été planifiée pour la première fois à l’époque du mandat britannique, Cela a été fait dans le cadre de six districts : Haïfa, la Galilée, Samarie (le nord de la Cisjordanie), Jérusalem, Lod et Gaza. » Il ajoute : « Bien que la plupart des terres aient été reconnues comme terres agricoles dans le plan d’aménagement, des constructions étaient permises : bâtiments agricoles, écoles, etc.

« Après l’occupation, dans les années 70, il y a eu environ 2500 demandes de permis de construire par an, dont 97% ont été accordées », explique M. Cohen-Lipshitz. A partir des années 80, ce chiffre est tombé à 33%, et après le recul spectaculaire des Accords d’Oslo : entre 2000 et 2008, seulement 5% des demandes de construction ont été approuvées. Maintenant, le pourcentage est proche de zéro. En conséquence, le nombre de demandes présentées par les Palestiniens a également diminué. »

Il faut regarder une carte des lieux concernés par les ordres de démolition pour comprendre les plans israéliens pour cette zone. Les zones où les Palestiniens peuvent construire légalement constituent moins de 1% de la superficie de la zone C », dit Cohen-Lipshitz. La superficie des colonies est environ 50 fois plus grande. Dans la pratique, il s’agit d’un transfert de population silencieux : utiliser la loi pour pousser tranquillement les Palestiniens à s’installer dans les zones A et B. »

Indépendamment des intentions d’Israël, en tant que puissance occupante, le droit international l’oblige à permettre aux enfants palestiniens d’avoir accès à l’éducation. C’est d’autant plus vrai dans la zone C, où, en vertu des dits Accords d’Oslo, Israël a une responsabilité à la fois civile et militaire. L’Autorité palestinienne, bien qu’elle assure certaines fournitures aux écoles de cette région, n’a ni l’autorité, ni la capacité, ni la responsabilité de créer des écoles ; c’est l’obligation d’Israël. Israël s’est soustrait à cette obligation en adoptant plutôt un régime draconien de permis de construire et de démolitions, ce qui signifie en pratique que les besoins éducatifs des enfants palestiniens vivant dans la région ne sont pas satisfaits.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA-BCAH), 36% des communautés de la zone C (189 sur 532) n’ont pas d’école élémentaire. L’OCHA a établi l’existence de 31 communautés dont les enfants doivent franchir des postes de contrôle militaires (checkpoints) pour atteindre leurs écoles. Dans 29 collectivités, les élèves ont été victimes de harcèlement de la part des colons qui se rendaient à l’école.

Prenons, par exemple, quatre communautés de bergers dans le nord de la vallée du Jourdain : Makhhoul, Al-Hadidiah, Kirbet Samrah et Kirbet Humsa, au total 500 personnes, toutes dans la zone C. Les autorités militaires israéliennes chargées de la planification n’autorisent pas la construction d’une école dans la région. Au cours de l’année scolaire 2010-2011,166 enfants des quatre villages ont été contraints de parcourir entre 27 et 45 kilomètres pour atteindre leurs écoles élémentaires. La moitié d’entre eux devaient passer par l’un des deux postes de contrôle de la zone. Les résidents, ainsi que le chauffeur d’autobus qui conduit les élèves à l’école, ont signalé des cas de mauvais traitements et d’humiliation par des soldats, qui ont exigé que les élèves quittent l’autobus pour être fouillés et subir une fouille-palpation.

Il est difficile de prédire les conséquences futures de la politique israélienne à l’égard des écoliers palestiniens dans le territoire qu’il occupe, mais il est facile de comprendre l’objectif. L’armée israélienne oblige les Palestiniens à faire un choix cruel entre leur terre et l’avenir de leurs enfants.

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Nous avons demandé à un porte-parole de l’armée israélienne de répondre aux questions suivantes :

Contre combien d’écoles palestiniennes dans la zone C y a-t-il des ordres de démolition ? L’armée travaille-t-elle à permettre la construction d’écoles planifiées et autorisées pour répondre aux besoins de la communauté dans cette région ? L’armée suit-elle le nombre de Palestiniens qui ne sont pas inscrits dans des établissements d’enseignement ? Dans les cas où il n’y a pas d’école et où l’armée ne permet pas la construction d’une école, l’armée fournit-elle des services de transport pour que les élèves puissent se rendre à l’école, comme la loi l’exige en Israël ?

Le porte-parole de l’armée a promis une réponse à ces questions, qu’il a reportée de plusieurs jours. En fin de compte, l’administration civile dépendant de l’armée, le gouvernement militaire responsable de tous les aspects de la vie des Palestiniens dans la zone C, n’a envoyé que ce qui suit, en ignorant chacune des questions que nous avons posées : « L’administration civile évalue les plans de construction des établissements d’enseignement conformément aux lois de planification. Dans tous les cas de construction ou de planification non autorisée, l’Administration civile agit conformément à son autorité pour faire respecter l’Etat de droit dans tous les cas de construction illégale. »

(Article publié par le site israélien +972, en date du 24 janvier 2018. L’article a été publié initialement en hébreu. Traduction de l’anglais par A l’Encontre)

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