Les Palestiniens ne "meurent" pas à Gaza, ils sont tués

vendredi 30 novembre 2018

Gaza, qui abrite 2 millions de Palestiniens - dont les trois quarts sont des réfugiés – vient de connaître la pire vague de violence depuis l’invasion israélienne de 2014, qui avait causé la mort de 2.300 Palestiniens, dont plus de 500 enfants. Il est facile de suivre l’escalade des hostilités à partir de la chronologie des événements, mais vous ne le saurez jamais si les médias occidentaux constituent votre principale source d’information.

Les Palestiniens ne ’meurent’ pas à Gaza, ils sont tués

JPEG - 32.9 ko 13 novembre 2018, des Palestiniens de Gaza découvrent les conséquences des bombardements israéliens de la nuit précédente

Si une chose est restée constante dans la lutte palestinienne de libération au cours des 50 dernières années, c’est que les principaux organes de presse continuent de décrire le conflit et la violence d’une manière qui déforme totalement la réalité sur le terrain.

"Un officier israélien tué lors d’un raid à Gaza au cours duquel sept Palestiniens sont morts", titre le journal The Guardian sur Twitter, indiquant ainsi qu’un Israélien a été tué par des Palestiniens, tout en signalant que sept Palestiniens sont décédés de manière quelque peu mystérieuse au lieu de dire qu’ils ont été tués par des balles tirées par Israël.

"Israël et les Palestiniens échangent des tirs", titre The New York Times dans une manchette qui indique aux lecteurs que cette dernière phase de conflit s’inscrit dans un scénario de type « coup pour coup » et, ce faisant, représente faussement l’armée israélienne et la résistance palestinienne comme étant sur un pied d’égalité et ayant la même responsabilité.

Associated Press remporte cependant le prix du commentaire le plus biaisé sur l’attaque israélienne de lundi contre Gaza, avec le titre "Des roquettes, des bombes et des mortiers tirés sur Israël".

Depuis des décennies, les médias occidentaux ignorent le recours quotidien et systématique d’Israël à la violence contre les occupants indigènes des terres qu’il colonise. Ils ont ainsi fait du peuple palestinien un acteur de second plan dans un conflit qui dure depuis plus de 70 ans.

Quand Israël dépossède les Palestiniens de leurs terres, ou les soumet à des lois discriminatoires, ou leur tire dessus parce qu’ils protestent contre leurs souffrances, les médias occidentaux ferment volontairement l’œil. Mais quand les Palestiniens finissent par exercer des représailles violentes, généralement avec des roquettes artisanales frappant rarement autre chose que des terrains vagues ou des routes rurales désaffectées du côté israélien de la barrière de Gaza, les médias sont tout ouïe, couvrant l’incident jusqu’à saturation, tout en blanchissant la réalité aux dépens du récit des Palestiniens.

Les violences ne sont pas sorties du néant, pas plus que les belligérants respectifs - Israël et les Palestiniens - ne sont également coupables ou responsables. Le blâme est ici entièrement imputable à Israël, comme tous les efforts antérieurs de l’État juif autoproclamé pour infliger des formes défiant la Convention de Genève de punition collective à Gaza.

Le Hamas a tiré des roquettes depuis Gaza sur Israël uniquement après que l’armée israélienne a violé un cessez-le-feu naissant dans ce que même Israël a décrit comme une "mission de renseignement qui a mal tourné".

Mais comme le fait remarquer à juste titre le militant palestinien des droits de l’homme Yousef Munayyer, "Imaginez que des Palestiniens passent en Israël et tuent 6 Israéliens, tout l’enfer se déchaînerait, mais on attend des Palestiniens qu’ils acceptent simplement ça."

JPEG - 23.7 ko Autobus israélien incendié par une roquette tirée par la résistance palestinienne à Gaza (AP Photo/Tsafrir Abayov)

Le point-clé ici, cependant, et un point complètement ignoré par les médias, est qu’Israël a violé un cessez-le-feu, envahi le territoire palestinien et mené une opération de renseignement bâclée, mais aucun média n’a fait la une de cette contextualisation.

Par exemple, un titre intitulé "Israël viole le cessez-le-feu et tue 8 Palestiniens lors du raid bâclé à Gaza" informerait les lecteurs de la chronologie réelle des événements.

Les mots "Les Palestiniens ont le droit de se défendre" sont également absents des médias. Nulle part les journalistes, qui devraient être mieux informés, ne contestent les revendications israéliennes qu’il a le droit de se défendre contre les roquettes palestiniennes, d’autant plus que le Hamas a tiré des roquettes seulement à titre de représailles contre l’incursion israélienne et la violation du cessez-le-feu.

Le fait que l’armée israélienne a tué plus de 180 manifestants palestiniens non armés à Gaza et blessé plus de 18.000 autres depuis le début de la Grande Marche du Retour, est également absent de toute contextualisation médiatique.

C’est important parce qu’Israël dit au monde entier qu’il se réserve le droit de tirer et de tuer des manifestants palestiniens non armés parce qu’ils se sont approchés de la barrière de sécurité de Gaza, tout en réservant le droit des soldats israéliens de franchir la barrière de Gaza pour tuer des Palestiniens qu’ils jugent arbitrairement indésirables.

Sont également absents des articles les provisions du droit international, en particulier la résolution 37/43 du 3 décembre 1982 des Nations Unies, qui "réaffirme la légitimité de la lutte des peuples pour leur indépendance, leur intégrité territoriale et leur unité nationale et pour se libérer de la domination coloniale et étrangère et de l’occupation étrangère par tous les moyens à leur disposition, y compris la lutte armée."

De plus, le préambule de la résolution indique clairement qu’elle ne fait pas référence à une entité abstraite hypothétique, mais plus spécifiquement aux droits des Palestiniens. Elle déclare : "Considérant que la négation des droits inaliénables du peuple palestinien à l’autodétermination, à la souveraineté, et au retour en Palestine et les actes d’agression répétés d’Israël contre les peuples de la région constituent une grave menace à la paix et la sécurité internationales."

Au lieu de cela, le public est soumis à un flot incalculable d’experts pro-israéliens qui pontifient à tort sur la manière dont Israël a le droit de se défendre contre la résistance palestinienne, alors qu’en fait il ne l’a pas, ce qui sert seulement à légitimer l’agression israélienne dans les esprits des consommateurs de médias occidentaux tout en délégitimant simultanément la résistance palestinienne légale et légitime.

Les médias jouent un rôle crucial dans la façon dont le monde perçoit et comprend ce conflit et, en refusant obstinément de parler de ces explosions de violence de manière à refléter la réalité, les auditoires du monde restent des observateurs passifs et circonspects de ce qui est déjà la plus longue occupation étrangère au monde, et c’est est exactement ce que veut Israël.
CJ Werleman

CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America (2013), God Hates You. Hate Him Back (2009) et Koran Curious (2011). Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Article original en anglais publié le 14 novembre 2018.

Source : Al Araby
Traduction : MR pour ISM