Penser l’été : L’émancipation arabe et la libération de la Palestine

jeudi 25 juillet 2019

Le problème palestinien trouve ses racines dans la chute de l’Empire ottoman, l’un des nombreux événements de grande ampleur associés à la Première Guerre mondiale qui ont modifié la carte. Les vecteurs de la guerre traitèrent comme des butins la plupart des territoires qui faisaient autrefois partie du califat ottoman et qui constituent aujourd’hui le monde arabe, un monde qui finit par être divisé en pas moins de vingt entités politiques conçues sous la forme des États territoriaux modernes d’Europe.

JPEG - 178.3 ko 30 mars 2019, quartier Shuja’yya à Gaza-ville, les Palestiniens manifestent pour le droit au retour et commémorent la Journée de la Terre (photo Ali Jadallah/Anadolu Agency)

L’émancipation arabe et la libération de la Palestine

Tous, à l’exception de la Palestine, sont théoriquement indépendants et souverains, bien que la plupart d’entre eux ne soient ni indépendants ni souverains. Tout en remettant finalement ces entités aux élites locales clientélistes pour les gouverner, la soi-disant communauté internationale au lendemain de la Grande Guerre avait voulu garder la Palestine afin de la transformer en une entité juive, un foyer pour le peuple juif pour les dédommager de l’oppression qu’ils avaient subie pendant des siècles dans l’Europe chrétienne.

Ainsi, depuis l’arrivée des musulmans en 637 de notre ère, la Palestine n’a jamais été un État indépendant, mais au mieux une province appartenant à une entité beaucoup plus grande dirigée à des moments différents par des dynasties différentes. Mis à part une brève période allant de 1099 à 1291, lorsque les Croisés l’ont envahie et occupée, ces dynasties étaient musulmanes régnant au nom du califat.

Le désir occidental de donner aux sionistes la possibilité d’établir une patrie pour les Juifs en Palestine n’était pas du tout par sympathie. En fait, les dirigeants de certains pays européens à l’époque, notamment ceux de la Grande-Bretagne, étaient des sionistes chrétiens antisémites, qui haïssaient les juifs et ne voulaient plus qu’ils échappent à la persécution en Russie et finissent par atterrir sur leurs côtes. Les sionistes chrétiens, comme Lloyd George et Arthur Balfour, estimaient que le transfert de juifs en Palestine était nécessaire pour ouvrir la voie au second avènement du Christ. Mais ils croyaient aussi que cet État juif dans une mer d’Arabes, qui sont majoritairement musulmans, agirait comme une entité fonctionnelle utile, un avant-poste colonial, afin de maintenir le contrôle et d’entraver la renaissance à la suite du déclin au plus bas illustré par la chute du dernier califat islamique.

Ironiquement, l’opposition à la déclaration Balfour de 1917 émanait du seul membre juif du cabinet, Edwin Montagu, secrétaire d’État aux Indes, qui, à l’instar d’autres hommes politiques antisionistes de l’époque, craignait que le sionisme parrainé par les Britanniques ne menace le statut des Juifs qui s’étaient installés dans diverses villes d’Europe et d’Amérique et n’encourage également la violence antisémite dans les pays combattant l’Angleterre pendant la guerre, en particulier au sein de l’Empire ottoman.

Ceci est cohérent par rapport à l’autre fait important à prendre en compte ici, à savoir que les Juifs qui prônaient la cause d’un foyer juif en Palestine constituaient à l’époque une petite minorité. C’étaient pour la plupart des juifs laïques prêts à être baptisés pour trouver un travail décent dans un milieu européen hautement anti-juif. Des juifs y étaient opposés, soit parce qu’ils y voyaient un moyen de se débarrasser d’eux, soit parce qu’ils croyaient, d’un point de vue religieux, que le projet était diamétralement opposé à la doctrine juive orthodoxe insistant pour que les juifs de la diaspora attendent la venue du Messie avant de retourner à la terre promise.

La création d’Israël en Palestine en 1948 n’aurait pas réussi sans deux facteurs importants. Le premier était la montée du nazisme. Sans Hitler et l’holocauste qu’il a commis contre les juifs d’Europe, très peu de Juifs auraient succombé à la proposition sioniste. Les nazis et les fascistes ont prouvé que les sionistes avaient raison et ils ont convaincu de nombreux juifs que l’Europe n’était plus un lieu sûr pour eux. En effet, Israël n’aurait pas pu être créé sans une population juive massive et rapide. Alors que les sionistes ont essayé et échoué lamentablement pendant près d’un demi-siècle pour vendre leur projet à des juifs européens, Hitler a réussi à le faire pour eux en quelques années.

Le deuxième facteur fut le rôle joué par les États arabes modernes. Bien que les masses arabes de la région entourant immédiatement la Palestine soient, comme les Palestiniens eux-mêmes, opposées avec véhémence à la création d’un État juif dans une Palestine arabe et islamique, les gouvernements gouvernant ces masses en recourant à la force brutale restèrent de marbre pendant que les sionistes massacraient les Palestiniens et les chassaient de leurs maisons. Depuis lors, ces mêmes États ont continué à pacifier les masses et à déposséder les Palestiniens de leur pouvoir. Tout en érigeant des barrières entre la Palestine et les masses arabes, les régimes autoritaires de la région n’ont que très peu aidé les Palestiniens, ou ont contribué activement à criminaliser et à contrecarrer leur lutte pour se libérer de l’occupation sioniste.

Grâce aux régimes despotiques arabes, ce qui était à l’origine un sujet de préoccupation pour l’ensemble du monde musulman a été réduit à une affaire arabe. Ensuite, ces mêmes Arabes ont décidé lors d’une conférence au sommet de la Ligue arabe à Rabat en 1974 de déclarer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) seul représentant légitime des Palestiniens, réduisant ainsi le problème à un simple souci palestinien et ouvrant désormais la voie à l’OLP et au renoncement officiel non seulement aux droits des Palestiniens, mais aussi à ceux des Arabes et des musulmans sur un territoire qui abrite leur première mosquée qiblah et leur troisième mosquée la plus sainte. De plus, en entrant dans des accords de paix avec Israël, par l’Égypte en 1978, l’OLP en 1993 et la Jordanie en 1994, les Arabes ont légitimé l’existence en Palestine d’une entité politique raciste dont le rôle premier est d’empêcher toute tentative arabe de développement et de progrès.

Le lien entre l’autoritarisme dans le monde arabe et l’occupation sioniste de la Palestine n’a jamais échappé à l’attention des masses arabes. Il était clair qu’Israël était le plus grand bénéficiaire d’une situation dans laquelle des élites despotiques et corrompues dirigeaient le peuple arabe. En d’autres termes, Israël était le principal bénéficiaire du déni aux Arabes de leurs droits fondamentaux, y compris le droit à la démocratie. Une telle compréhension s’est manifestée dans les rues des villes arabes pendant les révolutions du Printemps arabe, lorsque les masses ont spontanément crié : « Le peuple veut faire tomber le régime, le peuple veut libérer la Palestine ».

Il n’est donc pas étonnant qu’Israël se sentait menacé par les révolutions arabes comme les autocrates qui gouvernaient les masses arabes. Les sionistes prétendent souvent qu’Israël est la seule démocratie dans un océan de dictature. La vérité est qu’Israël est l’allié de la dictature dans le monde arabe parce que les régimes dictatoriaux lui procurent protection et tranquillité d’esprit. Si les masses arabes avaient été en mesure d’élire leurs propres dirigeants, Israël n’aurait pas rêvé d’hisser un seul drapeau partout dans la région. Ni ses politiciens ni ses athlètes n’auraient bénéficié de la liberté de se promener et se vanter que, malgré les Palestiniens, ils ont maintenant fait des incursions dans les terres du cœur de l’Islam. Pour cette raison, Israël a uni ses forces aux horribles familles régnantes d’Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis qui tuent le printemps arabe, frustrent la quête arabe de démocratisation et rendent le pouvoir à leurs alliés.

Les Arabes aujourd’hui demandent une fois de plus : la libération de la Palestine viendra-t-elle en premier ou l’émancipation de la nation arabe ? Je trouve difficile d’imaginer l’accomplissement des progrès sur n’importe quel front, y compris la libération de la Palestine, aussi longtemps que les Arabes sont enchaînés.

Azzam Tamimi
JPEG - 13.7 ko Azzam Tamimi est un universitaire palestinien-britannique et président de la chaîne de télévision Al-Hiwar. Ses livres comprennent : Hamas : Chapitres non écrits (Hurst, 2007) et Rashid Ghannouchi : un démocrate au sein de l’islamisme (OUP, 2001)

Source : Middle East Monitor
Traduction : MR pour ISM