15 mai 1948, commémoration de la Nakba - témoignage de Leila Shahid

dimanche 31 mai 2015

un article de Nathalie Galesne sur le site Babel Med, avec le témoignage de Leila Shahid
JPEG - 56.1 ko

15 mai 1948, commémoration de la Nakba

Le contexte
La Nakba (La catastrophe), c’est ainsi que les Palestiniens nomment le 15 mai 1948, date de leur expulsion de la Palestine. Dans les faits, les Palestiniens ont commencé à fuir leur terre dès décembre 1947 après le plan de partage de la Palestine voté par l’ONU, et six mois avant la proclamation de l’Etat d’Israël par Ben Gourion. Ils durent ainsi faire face durant plusieurs mois aux attaques des organisations paramilitaires sionistes (Hagana, Stern, Irgoun) qui cherchaient à s’accaparer, avec la complicité de la communauté internationale, de plus de territoires que ceux qui leur avaient été octroyés par les Nations-Unies.

Cependant un rapide éclairage historique montre que le projet sioniste commença bien avant cette fracture. La dite « déclaration Balfour » signé le 2 novembre 1917 par le ministre du Foreign Office, Lord Arthur Balfour, annonçait déjà en toute lettres les visées britanniques sur la Palestine mandataire, en soutenant l’implantation d’un foyer national juif en Palestine. De leur côté, les Palestiniens dénoncèrent la menace qui pesait sur leur territoire en assistant à plusieurs conférences internationales, tandis que les premiers fedayins organisaient sur place la résistance.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, au fur et à mesure que le monde découvre l’horreur de la solution finale, les puissances européennes tentent de se racheter vis à vis des juifs -dont ils n’ont su empêcher le génocide- en encourageant la création d’Israël. Aboutissement des logiques coloniales britanniques et françaises, dans une région totalement déstabilisée, le 15 mai 1948 annonce un conflit qui demeure, plus de 60 ans plus tard, irrésolu. C’est en l’occurrence une date clé pour comprendre le conflit israélo-palestinien.

Le témoin
JPEG - 20.4 ko
Figure phare de la cause palestinienne, Leila Shahid a été représentante de l’OLP en Irlande, aux Pays-Bas et aux Danemark, puis déléguée de la Palestine à l’UNESCO et en France de 1993 à 2005. Ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne de 2005 à 2015, elle vient de prendre sa retraite professionnelle et continue son long combat pour la Palestine à travers l’action culturelle.

Le témoignage
Je n’ai pas une mémoire vécue du 15 mai 1948 pour la bonne raison que je n’étais pas née au moment des faits. Ce que je sais, en revanche, c’est que le 15 mai représente pour nous, Palestiniens, un jour historique, tragique, celle de la disparition de la Palestine. La Nakba est en ce sens notre traumatisme fondateur, alors qu’il est considéré par les Israéliens comme un jour historique de grand bonheur, qu’ils commémorent comme l’avènement de l’Etat d’Israël.

J’ai eu conscience dès l’adolescence que cette date était l’enchaînement logique d’une autre date dramatique : celle du partage de la Palestine qui avait été voté quelques mois plus tôt à l’ONU et qui octroyait à Israël 56 % de ce qu’était la Palestine mandataire, tandis que 44 % de ce territoire restait aux Palestiniens. Cette décision de partage fut vécue par les Palestiniens comme une immense injustice puisqu’ils considéraient qu’ils deviendraient indépendants à l’instar des autres pays sous mandat britannique ou français, comme le Liban et de la Syrie sous mandat français, ou l’Egypte sous mandat britannique.

Mais les juifs ne se contentent pas des 56% des terres que l’ONU leur a reconnu. Très vite, ils se lancent dans la conquête des territoires octroyés aux Palestiniens. Commence alors une guerre entre la Hagana et les combattants palestiniens qui tentent de sauvegarder leur territoire en se ralliant dans les villages.

Soutenue par les pays qui ont voté en faveur de la création de l’Etat d’Israël, la Hagana est beaucoup mieux armée et organisée que les groupes palestiniens. Villages après village, territoires après territoires, elle conquiert les terres palestiniennes en se livrant à l’un des plus grands nettoyages ethniques de l’histoire. En effet 90% de la population palestinienne est poussée à l’extérieur de son territoire et remplacée par les réfugiés juifs venant d’Europe. Les palestiniens fuient les massacres et la destruction de leurs villages orchestrés par les Israéliens qui dynamitent leurs maisons afin qu’ils ne reviennent plus. C’est d’ailleurs exactement ce qui va se passer, et qui explique qu’aujourd’hui deux tiers des Palestiniens sont réfugiés en Jordanie, en Syrie, au Liban, dans les pays du Golfe, et dans le reste du monde. Ceux qui habitent en Palestine ne représentant que 40% de la population palestinienne globale.

1948 est donc le résultat de la complicité et de l’apport des puissances coloniales britanniques, françaises et aussi soviétiques à la création d’Israël. Ce sont celles-ci qui reconnurent en premier l’Etat hébreu, dont la proclamation était un acte complétement illégitime obtenu par la violence et par les armes.

En 2015, si cette colonisation et cette occupation perdurent, il ne faut pas sous-estimer la signification, historique pour le mouvement nationale palestinien, des accords d’Oslo. Cette signification réside dans la nature même de ce mouvement, qui est né en exil à l’initiative de réfugiés palestiniens des camps. Ce sont ces derniers qui ont fondé l’OLP et se sont engagés à militer pour leur retour -"al aouada"- en Palestine, et ce longtemps avant l’occupation israélienne de 1967. Oslo est donc le premier accord qui, cautionné officiellement par l’Etat d’Israël, mais aussi par la communauté internationale prévoit ce droit au retour de l’OLP, quand bien même celui-ci n’inclut pas tous les réfugiés mais seulement leurs représentants.

Ce sont ces accords que les Palestiniens ont essayé de mettre en œuvre à partir de 1993 jusqu’à l’assassinat de Rabin. Après cela n’a plus été possible puisque tous les dirigeants israéliens qui lui ont succédé - Perez, Netanyahou, Sharon, Barak, etc. - se sont farouchement opposés aux accords d’Oslo.

Aujourd’hui, mon président (Mahmoud Abbas, N.D.L.R.) a décidé d’interrompre toutes négociations avec Netanyahou puisque celui-ci a pris nettement position contre l’existence d’un Etat palestinien. Il s’adressera désormais directement, à travers les Nations-Unies, aux cent trente-huit Etats qui reconnaissent l’Etat palestinien, souverain en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem pour qu’ils assument leur responsabilité vis à vis des Palestiniens.

Malgré l’échec des accords d’Oslo, l’OLP - mouvement de libération qui a commencé en exil, en Jordanie, au Liban, en Tunisie, en Algérie- est finalement rentré en Palestine de manière définitive. Alors, bien sûr, les gens sont déçus par la persistance de l’occupation militaire, mais ils se sentent chez eux en Palestine, chez eux dans leur patrie. Enfin, si la solution de deux Etats ne voie pas le jour, les Palestiniens se battront pour l’existence d’un même Etat pour tout le monde et mettront les Israéliens dans l’obligation de reconnaître leurs droits civils aux citoyens non juifs. Israël pourra continuer de les leur refuser. Au tel cas il devra assumer cet Etat d’apartheid qu’il sera devenu.

Lors des dernières élections israéliennes, malgré une loi instaurée pour restreindre le nombre de députés palestiniens d’Israël, ceux-ci se sont regroupés en une seule liste et leur nombre est passé de onze à treize. En ce sens, les Palestiniens d’Israël sont un exemple de ce que sont les Palestiniens aujourd’hui : des citoyens déterminés à faire respecter leurs droits, y compris dans un seul Etat qui les respecte.

La commémoration du 15 mai 1948 prend aujourd’hui une valeur symbolique particulière. Les Palestiniens ont bien conscience des troubles qui bouleversent le monde avec la montée du terrorisme jihadiste, la décomposition de certains pays tels que l’Irak, la Libye, le Yémen… ou encore l’accord entre les Américains et les Iraniens. Par conséquent, même si la cause palestinienne est un combat parmi d’autres, elle reste centrale pour la réorganisation des relations internationales dans cette région. C’est un combat qui, s’il est résolu sur les bases du droit et de la justice, peut être porteur d’une vraie coexistence entre les peuples de la Méditerranée.

Nathalie Galesne
Article publié dans le n°92 du Courrier de l’Atlas, Mai 2015