un article écrit par un journaliste Israélien de confession juive : Le massacre de la Pâque à Gaza

dimanche 8 avril 2018

Pendant des décennies, les sionistes ont accusé les Palestiniens d’être responsables du projet colonial en cours d’Israël. « Si seulement les Palestiniens avaient un Mahatma Gandhi », s’exclamaient de nombreux libéraux israéliens, « alors l’occupation prendrait fin ».

Mais si l’on voulait vraiment trouver le Mahatma Gandhi palestinien, il suffisait de regarder les images des manifestants dans les bulletins de nouvelles de vendredi soir. Environ 30 000 Palestiniens ont rejoint la marche non-violente du Retour, qui visait à installer quelques camps à plusieurs centaines de mètres de la barrière militarisée entourant la bande de Gaza. Leur objectif était de protester contre leur incarcération dans la plus grande prison à ciel ouvert du monde ainsi que la confiscation massive de leurs terres ancestrales – n’oublions pas que 70% de la population de Gaza est issue de réfugies de 1948 dont les familles possédaient des terres dans ce qui est devenu Israël.
JPEG - 83.4 ko Jabalya, bande de Gaza, le 30 mars - Des manifestants palestiniens portent secours à un jeune, blessé par les tirs israéliens - Photo : Mohammed Zaanoun/Activestills.org

Alors que les habitants de Gaza marchaient vers la barrière militarisée, je me suis assis avec ma famille en récitant la Haggadah pour la fête de la Pâque, qui nous dit que « à chaque génération, il est de son devoir de considérer quiconque d’autre comme s’il venait lui-même de sortir d’Égypte. » En d’autres termes, alors que les soldats tiraient à balles réelles sur les manifestants pacifiques, on demandait aux parents de ces soldats d’imaginer ce que signifiait vivre à Gaza et ce qu’il faudrait pour se libérer d’une telle captivité. Et comme ma famille continuait à chanter : « Assez d’esclavage, laisse partir mon peuple », les agences de presse ont rapporté que le nombre de Palestiniens tués avait atteint 17, tandis que plusieurs centaines avaient été blessés.

L’accusation selon laquelle les Palestiniens n’ont pas su adopter des méthodes de résistance non-violentes, et porteraient donc la responsabilité de leur soumission et dépossession par Israël, désavoue non seulement complètement l’énorme asymétrie des rapports de force entre colonisateurs et colonisés, mais ne parvient pas non plus à prendre en compte l’histoire politique des luttes anti-coloniales, et en particulier la lutte palestinienne elle-même. En effet, cette accusation ignore complètement le fait que le projet colonial israélien a été soutenu par une violence épuisante, prolongée et généralisée, et, malgré ce que certains médias occidentaux pourraient prétendre, les Palestiniens ont développé une longue tradition de résistance non-violente. De plus, l’exigence d’adopter une idéologie non-violente élimine complètement l’histoire des autres luttes de libération : de l’Algérie au Vietnam et jusqu’à l’Afrique du Sud.

Non-violence palestinienne

La Grande Marche non-violente du retour, ce vendredi, et la réponse d’Israël ne sont en aucun cas une exception dans la longue histoire de la résistance palestinienne. La marche était organisée pour coïncider avec l’anniversaire de la Journée de la Terre, qui commémore elle-même ce jour tragique de 1976 où les forces de sécurité israéliennes ont réagi à une grève générale et à une manifestation organisée par des citoyens palestiniens d’Israël dont les terres avaient été confisquées. Dans cette manifestation pacifique, six Palestiniens ont été tués et cent autres blessés par l’armée israélienne.

En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les choses ont toujours été bien pires, car toutes les formes de résistance palestinienne non-violente ont été interdites juste après la guerre de 1967. Tenir des réunions politiques, lever des drapeaux ou d’autres symboles nationaux, publier ou distribuer des articles ou des photos à connotation politique, ou même chanter ou écouter des chants nationalistes – sans parler des grèves et manifestations organisées – étaient illégales jusqu’en 1993 (et certaines sont encore illégales dans la Zone C). Toute tentative de protestation par l’une de ces manières a inévitablement rencontré en retour la violence israélienne.

Trois mois seulement après la guerre de 1967, les Palestiniens ont lancé avec succès une vaste grève dans le système scolaire en Cisjordanie ; les enseignants ont refusé de se présenter au travail, les enfants sont descendus dans les rues pour protester contre l’occupation, et de nombreux commerçants n’ont pas ouvert leurs magasins. En réponse à ces actes de désobéissance civile, Israël a imposé de sévères mesures policières allant des couvre-feux nocturnes et d’autres restrictions de mouvement à la coupure de lignes téléphoniques, à la détention de dirigeants et au harcèlement croissant de la population. Ceci, à bien des égards, est devenu le modus operandi d’Israël face à la résistance non-violente palestinienne.

En effet, il semble qu’il y ait une amnésie répandue concernant la réaction d’Israël aux tactiques de style Gandhi. Lorsque les Palestiniens ont lancé des grèves commerciales en Cisjordanie, le gouvernement militaire a fermé des douzaines de magasins « jusqu’à nouvel ordre ». Quand ils ont essayé d’imiter la grève des transports de Martin Luther King, les forces de sécurité ont complètement immobilisé la flotte locale d’autobus. De plus, au cours de la première Intifada, les Palestiniens ont adopté des stratégies massives de désobéissance civile, notamment des grèves de commerçants, le boycott des produits israéliens, une révolte fiscale et des manifestations quotidiennes contre les forces d’occupation. Israël a réagi en imposant des couvre-feux, en restreignant la liberté de mouvement et en procédant à des incarcérations de masse (pour ne citer que quelques-unes des mesures violentes). Entre 1987 et 1994, par exemple, les services secrets ont interrogé plus de 23 000 Palestiniens, soit une personne sur 100 vivant en Cisjordanie et à Gaza. Nous savons maintenant que beaucoup d’entre eux ont été torturés.

Ainsi, la tragédie est que le massacre de la Pâque à Gaza rejoint simplement cette longue liste de résistance non-violente qui, historiquement, a été confrontée à la violence et à la répression d’Israël.

« Les émeutes sont le moyen de s’exprimer de ceux que l’on n’entend pas »

Imaginons un instant ce que signifie vivre dans une prison à ciel ouvert, année après année. Imaginons que nous soyons prisonniers et que le gardien ait le pouvoir de décider quelle nourriture nous pouvons manger, quand nous aurons de l’électricité, quand nous pouvons recevoir un traitement médical particulier et si nous pouvons avoir assez d’eau à boire. Imaginons aussi que chaque fois que nous marchons près de la clôture, nous devenions des cibles pour les gardes. Quels actes de résistance non-violente nous resteraient-ils vraiment réellement ? Voulez-vous marcher paisiblement vers la clôture ? Des milliers de Palestiniens l’ont courageusement fait, et beaucoup ont payé le prix le plus lourd.

Bien que Gaza soit, à bien des égards, unique, des peuples autochtones se sont historiquement trouvés dans des situations similaires. Cela a été reconnu par les Nations Unies, quand elles ont reconnu « la légitimité de la lutte des peuples pour la libération de la domination coloniale et étrangère par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée ». Gandhi lui-même pensait que dans certains cas la violence était un choix stratégique adéquat. « Je crois, écrivait-il, que là où il n’y a que le choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence … Aussi, je préconise l’entraînement au maniement des armes pour ceux qui croient à la méthode de la violence. Je préfère voir l’Inde avoir recours aux armes pour défendre son honneur, plutôt que de la voir lâche ou le témoin impuissant de son propre déshonneur.

On peut souhaiter qu’il en soit autrement – et c’est très certainement mon cas – mais aucun projet colonial n’a pris fin sans que les colonisés recourent à la violence contre leurs oppresseurs. Demander ou même exiger avec colère la libération n’a jamais permis d’aboutir.

Ironiquement, c’est aussi l’un des messages clés du Seder de la Pâque. L’histoire [mythologique] de l’Exode raconte comment Moïse a approché Pharaon à plusieurs reprises, lui demandant de libérer les enfants d’Israël de la servitude. Pourtant, encore et encore, Pharaon refusait. Ce n’est qu’après la violence horrible déployée contre les Égyptiens que les Israélites ont pu partir.

Ceci, bien sûr, n’est pas quelque chose que nous devrions souhaiter, mais quand on regarde la réponse d’Israël à la marche palestinienne non-violente. Ce qui est clair est que nous devons trouver un moyen urgent d’inverser la question des sionistes afin d’empêcher de futurs effusions de sang. Plutôt que de demander quand les Palestiniens produiront un Mahatma Gandhi, nous devons nous demander quand Israël produira un chef qui refusera la soumission des Palestiniens à travers l’emploi d’une violence meurtrière ? Quand, en d’autres termes, Israël se débarrassera enfin de son éthos pharaonique et réalisera que les Palestiniens ont droit à la liberté.

JPEG - 7.5 ko Neve Gordon est un politologue et historien israélien. Il est l’auteur de Israel’s Occupation, et de The Human Right to Dominate (co-écrit avec Nicola Perugini).

1e avril 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine

Voir aussi :

* "La résistance palestinienne : des armes à la non-violence" - un article de Bernard Ravenel, agrégé d’histoire,