Annexion : plus facile à annoncer qu’à réaliser

lundi 8 juin 2020

« C’est sur ces territoires que le peuple juif est né et s’est développé. Il est temps d’y appliquer la loi israélienne et d’écrire un nouveau chapitre glorieux dans l’histoire du sionisme. »
Ainsi s’exprimait Benyamin Netanyahou le 17 mai, lors de l’investiture de son nouveau gouvernement. Et il ajoutait : « Les centaines de milliers de résidents de Judée-Samarie [Cisjordanie] resteront toujours chez eux ». L’annexion « ne nous éloignera pas de la paix, elle nous en rapprochera ».

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Paroles verbales ou programme concret ? L’annexion a été au cœur des dernières campagnes électorales du chef du Likoud : il a promis celle de la Vallée du Jourdain, puis des colonies de Cisjordanie – et même de Hébron.
Sauf cette dernière, c’est effectivement le cadeau offert à Israël par le plan Trump. L’accord de coalition semble plus flou : la seule loi prévue et qui sera débattue à partir du 1er juillet concerne certes l’annexion, mais ne la mentionne pas. C’est que le rêve de toujours de la droite israélienne se heurte encore à des obstacles.

Et d’abord en Israël.
Dès avril, un groupe de 220 anciens généraux et officiers de haut rang de l’armée et des services de sécurité a dénoncé des actes unilatéraux d’annexion qui pourraient « compromettre le traité de paix et la coopération en matière de sécurité avec la Jordanie, la coordination avec les forces de sécurité palestiniennes et le caractère juif de l’État ». Même une annexion à petite échelle « risque de se transformer en une annexion à grande échelle », déclenchant « une réaction en chaîne sur laquelle Israël n’aura aucun contrôle ». Un scénario que vient de confirmer l’annonce par Mahmoud Abbas, le 20 mai, que « l’Organisation de libération de la Palestine et l’État palestinien se retirent de tous les accords signés avec les gouvernements des États-Unis et d’Israël, y compris ceux liés à la sécurité »…

À en croire les sondages, l’opinion aussi hésite : mi-mai, seul un quart des sondés (26 %) est pour une annexion, 40 % préférant une solution à deux États, 22 % un désengagement unilatéral et 13 % le statu quo. Même parmi les électeurs du Likoud, seuls 36 % déclarent soutenir l’annexion, 21 % préférant une solution à deux États, 25 % prônant un retrait unilatéral et 18 % contents du statu quo.

Deuxième série d’obstacles : aux États-Unis.
Lors de sa visite à Jérusalem, mi-mai, le secrétaire d’État Mike Pompeo a paru peu pressé de voir Israël annexer 30 % de la Cisjordanie. Et la chaîne israélienne 13, citant un officiel américain anonyme, de préciser que la date du 1er juillet n’était pas « sacrée » : « La feuille de route israélienne n’est pas ferme selon notre point de vue, et ce n’est pas pour nous une question de vie ou de mort. »

À quoi s’ajoute un désaccord sur l’ampleur de l’opération. Car la seule Vallée du Jourdain occupe le tiers de la Cisjordanie ; quant aux colonies, si leur bâti en représente 5 %, leur territoire municipal dépasse 50 %. Cette perspective réjouit les évangélistes, cœur de l’électorat trumpiste, mais pas la majorité des Juifs, de plus en plus hostiles à Netanyahou. D’où sans doute l’absence de tout effort en leur direction du Premier ministre israélien, contrastant avec sa communication en direction des chrétiens fondamentalistes.

Même un pilier néo-conservateur comme Daniel Pipes a expliqué début mai, dans le New York Times, les raisons de son opposition à l’annexion : celle-ci, concluait-il, « va probablement nuire aux bonnes relations avec l’administration Trump, les Démocrates, les Européens et les dirigeants arabes mais aussi déstabiliser la région, radicaliser la gauche israélienne et desservir l’objectif sioniste d’un État juif ».

La position de la Russie frappe par sa nuance.
Certes, Moscou met Israël en garde contre toute initiative unilatérale qui pourrait déclencher une vague de violences de nature à déstabiliser le Moyen-Orient. Mais sans hausser le ton : sans doute, suggèrent certains, parce que des annexions en Cisjordanie rendraient obsolètes les sanctions infligées à Moscou lors de celle de la Crimée…

Dans le monde arabe, l’hostilité à toute annexion s’affirme.
Déjà, le sommet du Caire du 1er février avait déjà rejeté le plan Trump comme « injuste » car « ne respectant pas les droits fondamentaux du peuple palestinien ». Mais l’imminence de la menace durcit les positions, y compris dans un des deux États liés par un traité de paix à Israël : la Jordanie. « Si Israël annexe la Cisjordanie en juillet, alors un conflit d’ampleur avec le Royaume hachémite de Jordanie pourrait éclater », a même lancé le roi Abdallah, qui n’a pas exclu que son pays renonce au traité de paix. Et de conclure : « Nous sommes d’accord avec de nombreux pays d’Europe et la communauté internationale que la loi de la force ne doit pas s’appliquer au Moyen-Orient. »

Autre mauvaise surprise : l’Union européenne est moins divisée qu’Israël l’espérait.
D’abord, le ministère des Affaires étrangères de l’Union européenne Josep Borrell a rappelé que « toute annexion constituerait une violation grave du droit international » et que l’UE « agirait en conséquence ». Puis, le ministre irlandais, Simon Coveney, a mis en garde : « L’annexion de territoires par la force est interdite par le droit international, y compris la Charte des Nations unies (…). C’est un principe fondamental dans les relations entre les États et l’État de droit dans le monde moderne. Aucun État ne peut l’ignorer. » À son tour, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselbaum, rendu public un texte commun, que seules l’Autriche et la Hongrie ont refusé de signer.

Enfin la France a annoncé qu’elle préparait avec d’autres pays européens une « démarche commune » pour tenter de relancer les négociations de paix tout en avertissant Israël qu’il pourrait faire face à une « réponse » européenne s’il annexait. Cette annonce a coïncidé avec la publication d’une déclaration conjointe de cinq pays européens membres du Conseil de sécurité (France, Allemagne, Belgique, Estonie et même Pologne) refusant de reconnaître toute modification des frontières d’avant la guerre de 1967.

Dans ce concert, le silence d’Emmanuel Macron n’est que plus étonnant.

Dominique Vidal
Historien et journaliste, spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient, collaborateur du "Monde diplomatique", membre du Bureau de l’Iremmo, collaborateur bénévole de La Chance.

Né en 1950, Dominique Vidal a étudié la philosophie et l’histoire. Journaliste depuis 1968, professionnel depuis 1973, il a notamment travaillé dans les rédactions des hebdomadaires "France Nouvelle" et "Révolution", puis du quotidien "La Croix". Après avoir coordonné les activités internationales du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), il a fait partie, de 1995 à 2010, de l’équipe permanente du "Monde diplomatique", dont il a en particulier créé le réseau d’éditions internationales et coordonné les Atlas. Spécialisé dans les questions internationales et notamment le Proche-Orient, il vient de publier "Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron" (Libertalia, 2018).
Source : afps