Chronique d’Hébron. Un étudiant raconte son quotidien en Palestine

mardi 15 septembre 2015

Chronique de Palestine : Jour 10. Je commence ici une chronique personnelle pour vous raconter ou plutôt les raconter ; ces palestiniens et ces palestiniennes (que j’ai la chance de rencontrer). Tous accueillant ne demandent qu’à témoigner, de leur histoire comme de leur quotidien.

photo AFP

rubrique d’Hébron N°1
Ils me disent souvent - est ce si grandiloquent comme penseront certains ? - « que le monde doit savoir ». J’entends bien essayer humblement de leur donner voix au chapitre. C’est à Hébron (Al Khalil) que je me suis installé. Grande ville palestinienne où des colons se sont installés au cœur même de la vieille ville, elle est un symbole du conflit. Ainsi je préviens le lecteur : je ne serai pas objectif. Ni représentative ni fictive, ni exhaustive ni concise, ma chronique ne sera qu’une modeste tentative de vous y emmener, en Palestine, l’espace d’un instant.C’est l’heure des premiers pas, des premiers contacts, des premiers check point. J’avais beaucoup imaginé par mes lectures la Palestine mais la surprise fut totale. La foule qui fréquente la vieille ville d’Al Khalil peine à compenser le vide des ruelles où les magasins fermés se suivent les uns après les autres. Pourtant, la vie continue et les sourires fleurissent. Les palestiniens ne font même plus attention aux drapeaux israéliens qui flottent aux étages des bâtiments où se sont installés les colons tandis que je semble être le seul à être étonné du vrombissement des avions le soir. En dehors de la vieille ville sous contrôle israélien, Al Khalil dépend de l’Autorité Palestinienne, le conflit s’il peut l’être semble moins pesant ou plutôt moins visible. Le contact est facile. En tant qu’Européen, je suis salué dans la rue et assené de « bienvenue ! » en toutes les langues. Les palestiniens sont très fiers de nous voir passer le mur qui les sépare d’Israël. Dans la journée, la chaleur et le jeûne du ramadan dissuadent toute activité. D’ailleurs, les restaurants et autres échoppes sont pratiquement fermés. Seul le souk et ces multiples opportunités offre un plaisir certains par sa chaleur humaine et ces couleurs pittoresques et fait presque oublier les odeurs désagréables qui émanent de ces lieux historiques et précaires que certaines associations tentent malgré bon gré de réhabiliter.

Balbutiant quelques mots d’arabe, j’arrive très vite à être invité le soir pour boire un thé ici et là. La gentillesse des intéressés est sans limite. A tel point qu’il peut paraitre pénible d’être l’invité permanent, ne payant rien mais toujours au centre des attentions. Pour autant, les rencontres ne s’épanchent pas en banalités. Très vite, les histoires fusent. Ici c’est un cousin en prison, là bas c’est un ami humilié, la liste est longue… Ce qui pourrait sembler comme du ressentiment ne l’est point forcément car toutes ces histoires finissent cependant par deux idées, l’envie d’une paix mais pour cela d’un pays. C’est cela que je vais vous raconter.

Chronique d’Hébron N°2 : Le cortège des martyrs

L’actualité me frappe de plein fouet et je cède à la tentation d’interrompre ma chronique, pourtant à peine naissante. Comment ne pas parler de ce qu’il s’est passé, de ce qu’il se passe ? Ali Dawabsheh, 18 mois est mort. Victime de la barbarie coloniale.
Grafiti au camp de réfugiés d’al-Azza - FlickR
C’est au moment où je vous écris que j’apprends que son père a succombé à ses blessures. Je ne suis pas journaliste, mais je peux vous raconter ce que vous ne trouverez pas dans les articles de presse. Les larmes et la rage, la tension diffuse qui s’est ressentie cette semaine. Quelques affrontements nourris par la colère ont éclaté ici et là. Des jeunes lancent des pierres à la fin d’une manif et voilà que l’armée tire, fait un nouveau martyr. J’ai surtout l’impression que drame après drame, l’horreur ne semble jamais prendre fin.

Le sujet est sur toutes les lèvres, et si dans mon quotidien je suis souvent arrêté avec joie dans les rues du vieux souk, cette fois-ci les visages sont marqués par l’effroi. Les multiples politesses des jours normaux laissent place très vite à leur souci de le faire savoir, nous faire savoir. J’ai le sentiment que même évoquée brièvement, la mort de ce jeune enfant fait surtout ressortir le cortège funèbre de ces violences continuelles. En effet, de cette affaire, je retiens ce festival d’histoires que l’ont m’a racontées. Bienvenue dans la société d’après le mur ! De la fausse couche provoquée par le jet d’une grenade, aux humiliations physiques en passant par les tags racistes, les pressions psychologiques, et le vol de maison, de terres vous n’imaginez pas comment la liste est longue. Pourtant, je ne rentrerai pas dans les détails. Ce qui compte, c’est de ne pas croire à l’acte solitaire, au loup isolé qui frappe sans raison. Toutes ces atrocités font système, il y a le feu à la bergerie et sincèrement c’est le berger qui l’a foutu ! Encore aujourd’hui, des colons ont tenté de s’approprier illégalement une maison palestinienne à Al Khalil. Bien que délogés par la police israélienne, suite à l’action rapide en justice d’organisations palestiniennes, l’incitation à s’en emparer vient du gouvernement. Ce même gouvernement dont les partis les plus extrêmes ne se cachent même pas de leurs velléités expansionnistes et de leur racisme affligeant, pour toute personne qui se respecte.

Des morts, il y en a eu d’autres et quand certains ne les voient que comme une statistique dans un pays lointain et dénuée de sens, il est impossible de ne pas les voir comme le symptôme d’une société malade. C’est simple, ces histoires sont toutes différentes mais il en ressort une chose : l’impunité. Le gouvernement semble aveuglé par le mur qui nous sépare s’Israël, amnistiant par la même occasion les colons. Mais détrompez-vous, Israël sait. D’ailleurs, son peuple a réagi avec force et nombreux sont les israéliens qui ne sont pas dupes de ces agissements. Le fanatisme les a d’ailleurs frappé, en plein cœur. Sachez qu’on peut y mourir pour aimer. Vous me direz c’est malheureusement probablement le cas partout. Pourtant, difficile de ne pas faire le lien, entre ces assassins de la gay pride et ces fanatiques d’après le mur. C’est un même monde, une même idée, un même projet et généralement un seul peuple qui en fait les frais. Laissez-moi le temps de trouver les mots pour le dire et le temps pour l’écrire. La prochaine fois, je vous raconterai comment on tente de faire mourir une ville et comment ils résistent.

Chronique d’Hébron N°3 : Open Shuhada street
La rue Shuhada, autrefois très commerçante, est fermée par des checkpoints - AFP
Quiconque a l’œil curieux observera cette étrange inscription, Open Shuada street (rouvrez la rue Shuhada), sur les murs de la vieille ville. Il ne vous faut pas longtemps pour réaliser ce qu’elle signifie.
Imaginez une rue commerçante dans votre ville de naissance. La plus importante, celle où vous avez vos habitudes. Ici, l’échoppe où vous faites votre marché. Là-bas, le magasin de votre oncle où vous aviez le plaisir de passer, le temps d’une tasse de thé. Au centre de la ville, cette artère pleine de vie était sur votre chemin quelle que soit la course qui vous poussait à passer le pas de la porte de votre maison. Cette rue, vous ne la reverrez plus jamais. Vos enfants, aujourd’hui ne l’ont jamais empruntée. Les magasins, interdits d’accès, sont fermés, les maisons sont abandonnées. La déambulation est désormais interdite si vous n’êtes pas un colon.

On m’a demandé récemment de dire ce que j’appelle colon. Je vais vous dire ce que j’en pense. Les colons sont des fanatiques religieux et persuadés d’avoir hérité la terre de Palestine au nom de Dieu. Pour se l’approprier et y vivre, ils n’excluent aucun moyen : vols, violences, mensonges… C’est ainsi qu’un récent rapport d’organisations palestiniennes recense près de dix-mille attaques de colons ces dix dernières années. Résumons la situation, désormais la rue de Shuhada leur est dévolue. Si vous avez volé des terres au nom d’un extrémisme religieux, vous êtes le bienvenu, si vous y habitez vous êtes priés de partir.

Quand cela a-t-il commencé ? Après un attentat. En 1994, un colon a ouvert le feu dans la mosquée d’Abraham tuant une trentaine de personnes. C’est alors que la tentative d’asphyxie de la ville a commencé. L’excuse officielle ? La peur des représailles. Ainsi, on interdit d’abord l’ouverture des magasins, puis la circulation de véhicules enfin celle des Palestiniens. Voilà le cœur de la colonisation : au nom de la sécurité de ces voleurs de terres et de maisons, s’installe un contrôle militaire par le biais d’expropriations et de lois martiales. Priver la ville de son artère principale, de sa station de bus et d’une de ses écoles ne suffisait pas. Désormais, vous vous habituerez aux miradors sur les toits, où les jeunes soldats sont prompts à observer vos faits et gestes mais restent silencieux quand les colons vous jettent briques, ordures, sacs d’excréments et tout autre projectile. Pour seule protection vous aurez des filets métalliques au dessus de vos têtes. La vieille ville historique, jouxtant la rue Shuhada a en effet payé le prix fort. Il existe aujourd’hui plus d’une centaine de murs, de barbelés, de checkpoints qui transforment les rues en cul de sac lorsqu’elles permettaient avant, de rejoindre la rue Shuhada. La rouvrir, tous le demandent et je me joins volontiers à eux. Open Shuada street.

Si la vieille ville est aujourd’hui habitée, ce n’est que grâce aux efforts colossaux d’associations palestiniennes qui rénovent des bâtiments (parfois vieux de neuf cents ans comme ma résidence actuelle) et qui luttent ardemment pour réinstaller des familles, rouvrir des commerces, créer des espaces publics, ré-oxygéner ce poumon malade. En dix ans elles, estiment avoir fait passer le nombre d’habitants de la vieille ville de 600 à 6000. « Fight ghost town » comme disent les graffitis. La puissance occupante elle, ne cesse de multiplier les stratagèmes pour empêcher le retour de la vie dans le vieux Al-Khalil. Batailles judiciaires qui durent des décennies, interdiction de rénover ou de s’installer dans les bâtiments dans un rayon de cent mètres d’une maison de colons ou d’un bâtiment militaire... Pourtant certaines maisons en ruine menacent, faute de travaux, de s’effondrer. Peu importe le danger après tout, il menace les Palestiniens. La « sécurité » colons vaut apparemment plus. C’est ça, le projet colonial. Une réalité d’un froid consternant. La responsabilité du gouvernement israélien la voilà. Pour ceux qui doutent de ses intentions coloniales, apprenez qu’il est au minimum complice. Oui, qu’on ne vienne pas me demander de ne pas faire de lien entre les colons et l’Etat israélien. Le lien est là, le lien est fort. L’Etat est présent, qui d’autre que ses soldats fouillent au quotidien les palestiniens qui ne demandent qu’à circuler dans leurs propres rues ?

L’un des nombreux checkpoint de la rue Shuhada - Reuters
D’ailleurs c’est fréquemment que je les entends lancer un « Welcome to Israël » lorsque je m’aventure au delà d’un des checkpoints qui donne sur une des principales colonies, au centre de la ville. Je lis d’ailleurs la déception sur leur visage lorsque j’emprunte immédiatement la rue tournant à droite, un des seuls passages autorisés pour les Palestiniens qui habitent toujours sur le flanc de la colline. Pour les Palestiniens de la colline ce sont des allers-retours incessants entre la nouvelle ville et leurs habitations, en passant par la case checkpoint, fouilles, insultes... Il n’est pas rare de voir de jeunes colons qui apportent boissons et nourritures aux soldats leur demander de ne pas manquer de contrôler le Palestinien qu’ils ont laissé passé cette fois sans une fouille avancée. Vous pourrez également voir les soldats jouer avec les plus jeunes à chat perché, le fusil en bandoulière. Certains m’ont demandé mon passeport, c’est à se demander qui fait la loi ! Bref, je ne peux imaginer ce quotidien, je l’observe simplement, consterné et non sans colère…

Puis, un jour c’est arrivé. Un samedi, en rentrant chez moi après avoir fait quelques courses dans le marché aux légumes qui s’est installé au début du souk (après son éviction de la rue Shuada), je me retrouve nez à nez avec un nombre important de soldats dans la vieille ville. C’est samedi, le « tour des colons » où, sous importante protection militaire ceux-ci déambulent dans les rues alors qu’elles leur sont interdites selon l’accord de séparation de la ville de la fin des années 1990. Vous les y entendrez dire qu’ils ont inventé l’houmous et que « les arabes ont volé leurs terres ». Bien qu’aucun d’entre eux n’ait jamais réussi à prouver un moindre lien de parenté avec la petite communauté juive qui a existé dans la ville par le passé, ils s’en sentent héritiers. Un soldat, me voyant pressé, m’interpelle en arabe : « Es-tu arabe ? ». Un peu fatigué et revenant de cours, je lui réponds dans la même langue « Non je suis français ». Croyant probablement à une blague, celui-ci me demande d’ouvrir l’ensemble de mes sacs et de me préparer à une fouille. La fouille fut succincte car arrêtée net à la découverte de mon passeport. Mes tomates n’étant probablement pas intéressantes je suis invité à continuer ma route sous le regard dépité de cette trentaine de colons qui semblaient avoir pris un malin plaisir à me voir interpellé. Eux qui prétendent que Al-Khalil est principalement habité par des terroristes ou bien encore que les mères palestiniennes ne donnent pas naissance à des enfants mais à des « serpents » attendaient peut-être quelque chose de plus succulent !

Comme d’habitude je me perds dans mes écrits, je passe d’une histoire à l’autre, sachez simplement qu’il est possible d’y vivre. Les Palestiniens m’impressionnent par leur capacité à tenir, à ne jamais céder. C’est une guerre des patiences. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » disait Lafontaine, les Palestiniens lui font honneur aujourd’hui. La prochaine fois je vous parlerai de ce qu’ils nomment eux même la nouvelle résistance palestinienne. Non violente, intransigeante mais patiente, espérons lui un futur !

Chronique d’Hébron N°4 : Le Grand découpage
Photo : Paul Elek
"J’ai dormi à Susya. Du moins aux abords du village, dans le sud de la Cisjordanie. Nous sommes en zone C. C’est à dire sous le contrôle de l’armée israélienne. "
Vous n’en avez sans doute jamais entendu parler, pourtant ce village est tristement célèbre. Conduit sur place par une association de jeunes militants d’Al Khalil venus en solidarité, j’arrive lorsque la nuit tombe. Quelques modestes tentes semblent destinées à nous accueillir au milieu d’une terre rocailleuse où poussent péniblement quelques oliviers. J’y rencontre des Palestiniens venus de tout le pays, venus s’enquérir des nouvelles. Celles de la lutte contre la démolition de leur village par l’armée.

La soirée s’épuise autour de feux de camps et de chants traditionnels. Mon arabe me laisse difficilement le loisir de suivre avec attention toutes les conversations qui se croisent, se complètent et s’étirent dans la nuit. C’est au moment de regagner ma tente que je vais alors vivre une expérience qui me ravit encore aujourd’hui. Je m’attèle à chercher mon logis, marchant ainsi dans la pénombre en direction d’une lumière en contrebas du champ. Quand je parle de tente, oubliez celle de votre dernière fête de l’Huma. Il s’agit de tentes assez conséquentes, sols bétonnés avec eau et électricité. Bref, un logement en somme précaire mais habitable. Autour, un poulailler et ce qui semble être à la fois une petite bergerie et une étable. Je salue alors mon hôte en arabe avant d’aller me coucher. Ravie de me voir pratiquer sa langue ce dernier m’invite alors à faire un tour de la propriété. Nous nous élançons alors dans les champs équipés de lampes torches.

Il me raconte, le combat qu’il y mène. Lui, ancien combattant auprès d’Arafat semble prendre une plus grande fierté encore à aujourd’hui résister pacifiquement contre l’avancée de la colonie dont on aperçoit au loin les maisons luxurieuses illuminer la plaine. Avec ses amis et ses voisins ils font des rondes, tous les soirs pour empêcher les colons de déraciner les oliviers qu’ils plantent. Tous les jours ils replantent ceux qui n’ont pas résisté aux assauts incessants. Oliviers et Palestiniens, leurs racines sont sur ces terres que l’armée veut s’approprier pour isoler entre elles les zones où l’autorité palestinienne est en charge. C’est le grand découpage. Il suffit de regarder la carte de Palestine, pour comprendre les dynamiques de cet archipel en voie de disparition.

Il me dit, lui qui a connu la guerre et le cri des fusils, que la violence ne peut plus vaincre. Ce qu’il appelle lui-même la nouvelle résistance palestinienne, c’est ce Sisyphe heureux qui ne se lasse pas de conjuguer le mot résister au présent selon le fameux adage d’Aubrac. La guerre des patiences est une guerre de villes et des campagnes, des palestiniens et des israéliens. Du soutien, il en a reçu de la société civile israélienne. De Bstelem à Breaking the Silence en passant par une myriades d’associations, la médiatisation du village s’est faite avec ceux et celles qui en Israël refusent de considérer que la « croissance naturelle » des colonies est une raison valable pour expulser des Palestiniens. Pourtant le danger est toujours présent. Les timides appels de l’Union Européenne à « ne pas voir la décision d’expulsion appliquée » semble insuffisant à stopper le chant des bulldozers qui siffle à l’horizon comme la prémonition d’une mort annoncée pour ce petit village. Nous nous installons ensuite dans sa tente pour déguster du humus et l’unique œuf pondu de la journée. C’est autour d’un thé à la menthe que la conversation dérive sur le football. C’est son pêché mignon. Me montrant fièrement comment sa télévision capte de fameuses chaînes sportives que je n’ai pas moi-même le loisir d’avoir en France, sa passion nous emporte dans la nuit. Malgré mes faibles connaissances en la matière j’apprécie cette irruption de la normalité, elle ne fait que confirmer ma conviction qu’il n’est de combats justes que ceux qui sont menés avec sincérité. Ici on ne recherche pas le strass, les paillettes et la gloire, ici on respire le vrai, on vit ou du moins on s’y essaye.

Je me réveille, le soleil tape fort sur cette pleine aride qui révèle enfin sa beauté que la nuit avait dissimulée. Je reviendrai, pour lui, son thé, sa télé, sa lutte.
source : PAUL ELEK - août 2015 - humanité.fr