Coupe du monde au Qatar : L’indignation des Blancs, le colonialisme et le jeu de la cupidité capitaliste

vendredi 9 décembre 2022

Alors que le coup d’envoi de la Coupe du monde de football a été donné la semaine dernière, les attaques libérales européennes et américaines contre le bilan du Qatar en matière de droits de l’homme, notamment un rapport d’Amnesty International, ont envahi les ondes et les médias sociaux, en se focalisant sur les travailleurs migrants, les droits des LGBTQ et la religiosité du pays.

JPEG - 71.2 ko Entretemps, la Coupe du Monde a donné lieu à des manifestations massives de soutien à la cause palestinienne, soulignant le rejet par les opinions publiques arabes de la normalisation avec Israël. Photo : Showat Shafi / Al Jazeera.

Joseph Massad, 28 novembre 2022.

Les passions que le football a suscitées au fil des décennies semblent toutefois ignorer l’histoire coloniale, raciale, nationale et capitaliste de ce sport.

En effet, la question des droits de l’homme ne semblait pas perturber les libéraux blancs avant les jeux de 2018 en Russie, ou ceux de cette année au Qatar.

Le fait que les préoccupations libérales en matière de droits humains reflètent le plus souvent pleinement celles des pays impérialistes américains et européens n’est guère une coïncidence.
 

L’hypocrisie libérale

Lorsque l’Angleterre a accueilli la Coupe du monde en 1966, l’homosexualité était encore illégale, et elle l’est restée en Écosse jusqu’en 1980 et en Irlande du Nord jusqu’en 1982. Lorsque la loi a finalement été modifiée, elle s’est contentée de « dépénaliser les actes homosexuels privés entre hommes âgés de plus de 21 ans, tout en imposant des peines plus lourdes pour les délits de rue ». 

En ce qui concerne les droits des travailleurs, la discrimination permanente à l’encontre des travailleurs non blancs est endémique, y compris dans les syndicats britanniques. 

La Grande-Bretagne maintient ses possessions coloniales dans le monde entier, de la Rhodésie, colonie de colons blancs alors rebelle, à Hong Kong et aux îles Malouines (Falkland), en passant par les crimes encore récents contre le peuple kenyan qui venait d’obtenir son indépendance en 1963. Les défenseurs des droits de l’homme ne s’en préoccupaient guère. 

Le Qatar lui-même était à l’époque sous domination coloniale britannique.

À l’époque, comme aujourd’hui, la Grande-Bretagne avait encore des lois sur le blasphème et l’Église d’Angleterre reste sa religion officielle. Pourtant, elle a accueilli la Coupe du monde sans que les défenseurs des libertés civiles en Europe, et surtout Amnesty International, ne se plaignent.

En 1974, lorsque l’Allemagne de l’Ouest accueille la Coupe du monde, la population de ce pays connaît sa dernière vague de répression gouvernementale. 

En 1972, le gouvernement ouest-allemand a commencé à purger les « radicaux » de la fonction publique (qui comprenait alors 20 % de la main-d’œuvre ouest-allemande). Les syndicats ouest-allemands expulsent régulièrement les membres « militants ». L’Office fédéral pour la protection de la Constitution a enquêté sur 2,5 millions de citoyens. 

En fait, 800.000 candidats à des emplois dans la fonction publique ont fait l’objet d’une enquête sur leur « allégeance » à la Constitution. Il s’ensuit une politique de mise sur liste noire, ou Berufsverbot – pour avoir signé des pétitions, participé à des manifestations, etc. 

La répression dans les universités, le renvoi des enseignants et le retrait « volontaire » des livres « douteux » par les éditeurs sont à l’ordre du jour. Alors que les lois nazies anti-homosexuelles, qui sont restées en vigueur, ont été abrogées en 1969, la discrimination officielle contre les homosexuels s’est poursuivie dans le pays jusqu’en 2000.

Le racisme ouest-allemand à l’égard de la main-d’œuvre immigrée turque était également endémique. En effet, la plupart des dirigeants du ministère ouest-allemand de la Justice entre 1949 et 1973 étaient d’anciens membres du parti nazi, dont des dizaines d’anciens membres des SA [sections d’assaut] paramilitaires. 

Mais l’Allemagne de l’Ouest a accueilli la Coupe du monde sans que les défenseurs des libertés civiles en Europe, et surtout Amnesty International, ne s’en plaignent (elle a été priée d’intervenir en faveur des prisonniers de Baader-Meinhof qui ont mené une grève de la faim dans les prisons allemandes pour protester contre la torture. Amnesty a refusé de les soutenir, car les allégations de torture, selon Amnesty, n’étaient pas « justifiées »).

Lorsque la Coupe du monde s’est déroulée aux États-Unis en 1994, la moitié des États américains avaient des lois anti-sodomie et anti-homosexualité, et l’affirmation largement diffusée selon laquelle le sida était une « maladie gay » n’avait pas encore disparu. Le pays poursuivait à l’époque ses sanctions contre l’Irak, qui ont entraîné la mort d’un demi-million d’enfants irakiens. 

Les meurtres et les passages à tabac d’hommes noirs par la police dans les rues des villes américaines sont devenus un scandale public en 1991, lorsque la vidéo des violences policières contre Rodney King à Los Angeles a fait le tour du monde. Sans parler du nouveau système Jim Crow d’incarcération des Noirs dans les prisons américaines, auquel l’administration de Bill Clinton a largement contribué, de l’utilisation des prisonniers comme esclaves, comme le permet le 13e amendement de la constitution américaine, et de la violation permanente des droits des Amérindiens.

Mais les États-Unis ont accueilli la Coupe du monde sans que les défenseurs des libertés civiles européens et américains ne se plaignent, et encore moins Amnesty International (dont le rapport de cette année-là critiquait la peine de mort, les brutalités policières et le rapatriement forcé des réfugiés haïtiens, mais pas les lois anti-homosexuelles, et encore moins les mauvais traitements infligés aux travailleurs migrants, etc.).

Lorsque les États-Unis ont accueilli les Jeux olympiques en 1996 à Atlanta, en Géorgie, le rapport annuel d’Amnesty n’a même pas mentionné les Jeux olympiques et a répété ses critiques habituelles sur la peine de mort, les violences policières et le rapatriement forcé des réfugiés haïtiens qu’elle avait formulées les années précédentes. Elle a toutefois publié une brève déclaration condamnant l’exécution d’un homme par l’État de Géorgie.

En revanche, Human Rights Watch (HRW) a publié en 1996 un rapport sur la peine de mort, les lois anti-sodomie, le racisme et les politiques anti-pauvres de l’État de Géorgie, critiquant le fait que la ville accueille les Jeux olympiques malgré ce mauvais bilan (dans son rapport de 1994 sur les États-Unis, HRW n’avait pas mentionné les lois anti-sodomie).

Toutefois, aucun de ces groupes n’a participé à une campagne internationale orchestrée contre l’organisation des Jeux olympiques aux États-Unis. En effet, alors que les États-Unis, le Canada et le Mexique accueilleront la prochaine Coupe du monde, aucune campagne n’a encore été lancée contre les violations des droits de l’homme commises par ces trois pays.

Il convient de noter que les États-Unis ont remporté la candidature conjointe pour accueillir les jeux de 2026 en 2018, sous l’administration de Donald Trump.

Des racines coloniales

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