FAUDA : essai sur la série israélienne

mardi 10 novembre 2020

Par Bernard Favier, en Septembre 2020
Source : agencemediapalestine.fr

Je commencerai ce travail d’analyse en citant une intervention d’Elias Sanbar lors d’un entretien à l’iReMMO, autour du « plan Trump » pour la Palestine, en compagnie de Dominique Vidal. Elias Sanbar est Ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO mais il est aussi un grand cinéphile. A l’occasion de ce rendez-vous, Elias Sanbar a évoqué la similitude qu’il existait entre les deux colonisations : américaine et israélienne. Je le cite :

« Il y a quelque chose de très profond entre les Etats Unis et Israël, ces deux pays sont nés de la même façon, les deux sont nés d’une colonisation. L’effet de miroir qui dit aux USA combien ils sont légitimes se reflète exactement dans l’œil d’Israël. Ces deux pays sont nés d’une colonisation de remplacement et non de la colonisation de peuples autochtones. Et dans l’histoire américaine, chose fabuleuse, quand ils arrivent il y a 400 nations indiennes capables d’exploiter toutes les ressources. Ils les déciment et font venir pour la main d’œuvre des esclaves noirs d’Afrique. Il y a bien quelque chose là de commun, parce que quand les Belges arrivent au Congo ils ne le vident pas ils l’exploitent, comme ont pratiqué les Anglais en Inde. Il y a, donc, un phénomène de reconnaissance. Ces deux pays, Israël et les Etats – Unis pensent qu’il sont tous les deux la quintessence du bien, doublé d’une mission divine. Ne jamais oublier qu’Israël est né en réponse à la barbarie nazie, donc, dans le camp du bien ».

Je vais tenter, à partir de ce qui pourrait être un postulat sur l’occupation de l’espace et l’accaparement des ressources, de voir à travers une série qui se revendique comme une œuvre de fiction, mais, in fine, pas tant que çà, comment ces deux pays ont tenté, et pour les Etats–Unis réussi, grâce à un genre cinématographique, le Western, à faire imprimer la légende comme étant le récit de leur histoire. Fauda serait alors une sorte de miroir du western américain tendu aux spectateurs, dans un autre temps et dans d’autres lieux. A ceci prés que, lorsque le western devient un genre de cinéma triomphant, les Indiens ont déjà été exterminés. La mission du Western consistera, exclusivement, à favoriser la substitution de la légende à l’histoire. Les Palestiniens, eux, malgré la Nakba de 1948, l’expulsion très violente et meurtrière de plus de huit cent mille d’entre eux, sont encore là.

Le principe de cette série consiste, à partir d’un groupe d’une dizaine hommes et deux femmes, à constituer une Unité d’infiltration dont les missions seront d’intervenir en territoire palestinien. Ces missions d’infiltration en territoire ennemi ne sont pas totalement effectuées en terre inconnue puisqu’elles interviennent sur des espaces déjà occupés par l’armée israélienne, même si la série fait politiquement l’impasse sur cette occupation, sauf à deux ou trois exceptions. Le principe de l’infiltration est simple. Une équipe soudée parfaitement bilingue arabe/hébreu, allant parfois jusqu’à se grimer pour paraitre plus arabe, une équipe surarmée et équipée de tous les moyens de transmission et d’observation les plus sophistiqués, va traquer des Palestiniens armés. Mais ce qui est criant, c’est bien la disproportion des moyens dont chaque camp dispose. Surarmement sophistiqué et techniques dernier cri côté israélien, armement rudimentaire avec au passage une note certainement issue du scénario comme une marque de fabrique du terrorisme, un penchant pour les explosifs côté palestinien. Au final ce qui caractérise ces trois saisons, c’est qu’elles sont toutes les trois, imprégnées de ce qui pourrait être l’inconscient d’Israël. Le récit devient, de bout en bout, une métaphore permanente de l’occupation, par l’occupation de l’espace mais , en plus , par une occupation jusqu’à saturation de l’écran par l’Unité d’infiltration au détriment des Palestiniens, à laquelle assistent nos regards, par nature impuissants.

FAUDA Saison 1

La création de la série israélienne la plus célèbre, aujourd’hui, émane de deux personnages dont les histoires personnelles sont le reflet de cette série. Lior Raz d’abord. Il est né et a grandi dans une colonie de Cisjordanie occupée, de parents juifs qui ont émigré d’Irak et d’Algérie. Son père travaille pour le ministère de la défense et sa mère est enseignante.

Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, il rejoint l’unité d’élite de l’armée israélienne Douvdevan. Alors qu’il est à l’armée, son amie Iris Azulai est poignardée à mort par un Palestinien de Bethléem, cette mort aura une influence déterminante sur la construction de la Série. Après son service militaire en 1993, il part aux Etats Unis, Arnold Schwarzenegger l’engage pour être son garde du corps. De retour en Israël il s’inscrit au cours d’art dramatique Nissan Nativ à Tel Aviv. Il est parfaitement bilingue hébreu et arabe.

Le second personnage à l’origine de Fauda s’appelle Avi Issacharoff. Il passe son enfance à Givat Shaul, lui aussi parle parfaitement l’arabe. Après ses études, il devient correspondant aux affaires du Moyen-Orient pour une radio israélienne. En 2014 en reportage télé, Avi Issacharoff et son cameraman sont attaqués par des jeunes Palestiniens masqués alors qu’ils couvrent une manifestation de protestation dont la cible reste indéterminée à ce jour. Il souhaite témoigner dans un livre de son expérience sur le terrain lorsqu’il rencontre son ami Lior Raz devenu acteur et qui, lui, veut témoigner en réalisant un film. La cause est entendue, ils vont coécrire le scénario de la série Fauda. La première saison sera diffusée en février 2015, la saison 2 en décembre 2017 sur la chaîne câblée israélienne Yes. La série recevra de multiples prix en Israël et aux USA.

Fauda signifie Chaos en arabe, précision nécessaire au regard des affrontements souvent à sens unique qui vont avoir lieu. Il était donc indispensable que cette série soit affublée d’un titre arabe, et que ce titre puisse avoir vocation à cibler et à renforcer l’aspect dramatique attribuable, on le verra, aux Palestiniens. Les membres de l’Unité spéciale sont tous parfaitement bilingues, avantage indispensable pour les opérations d’infiltrations qui sont la marque de fabrique de l’Unité. Nous sommes en 2015. A cette époque les Palestiniens ont déjà opté pour la lutte non violente. Une décision prise essentiellement parce qu’ils ont mesuré la disproportion de leurs moyens militaires face à l’armée israélienne surarmée. Les concepteurs de Fauda choisissent, à contrario de la situation réelle en Cisjordanie occupée et sous surveillance permanente, de décrire des Palestiniens surarmés et dans leur majorité membres du Hamas, avec une visée simple et un seul mot d’ordre : tous terroristes.

Dans cette première saison le scénario pour l’équipe d’infiltration consistera à localiser le Palestinien Abou Ahmad ennemi public numéro un et à l’éliminer. Un indic signale qu’il sera présent au mariage de son jeune frère. Mais rien ne se passe comme prévu, les infiltrés rapidement repérés sur les lieux de la noce font usage de leurs armes et tuent le jeune marié.

Abou Ahmad qui s’était grimé en vieillard pour se rendre au mariage, averti en chemin par la pétarade de la fusillade, retourne chez lui. Les douze épisodes seront une battue générale : localiser et abattre Abou Ahmad. Pour faire durer ce scénario le schéma est simple. A chaque localisation, l’unité est sur les dents et débarque sur les lieux. Mais chaque fois Abou Ahmad a disparu, une astuce pour amplifier son insaisissable dangerosité, se renseigner sur le réseau occulte dont il bénéficie, et faire reprendre du service au tous terrorises. L’ennemi palestinien n’est dans aucune séquence valorisé, jamais courageux, plutôt désigné et montré comme un clan violent de fous de Dieu. Jamais série n’a autant correspondu non pas à une réalité vraie, mais à une autre, celle que ce récit devrait graver dans le marbre : une nouvelle légende du peuple juif. Doron Kavillo le personnage principal l’acteur Lior Raz en est aussi le scénariste. Il est issu de Douvdevan l’unité qui l’a formé à ce qui est mis en scène dans Fauda. Scénariste, acteur et conseiller technique. Doron le meneur de cette brigade se faufile en Cisjordanie. Rien ne nous signale que nous sommes sur une terre occupée : aucun check point, aucune action de répression dans la profondeur de champ des séquences filmées. L’imitation des séries américaines est patente. Imitation scénaristique et technologique : écrans de contrôle géants même si une série américaine a été inspirée par une série israélienne, Homeland issue de la série Hatufim. Dans Homeland nous pouvons trouver ce qui manque sur le plan formel à Fauda : du suspens dont le seul axe ne sera pas la violence, mais une vraie géopolitique imaginée à l’avantage des USA, qui construit un récit tenant compte de ces réalités, le contraire d’un scénario à sens unique. Accessoirement des cadrages soignés, un découpage et un montage sophistiqués, et un véritable travail sur la lumière. Dans Fauda, des deux côtés, israélien ou palestinien, on passe toujours en force soit par assassinat soit par enlèvement. La psychologie y est rudimentaire et les sentiments baignent dans une sensiblerie maladroite. La loi du talion reprend également du service, œil pour œil dent pour dent, mais plus justement pour l’Unité israélienne, pour une dent toute la mâchoire. Dès qu’une scène est un peu tendue, le réalisateur filme immédiatement en gros plan créant une intensité sans profondeur. Ce qui peut identifier Fauda aux séries américaines surtout celle des origines 24 heurs chrono, est essentiellement la visualisation permanente de l’espace. Sa concrétisation doit s’approcher de l’accomplissement d’un fantasme, celui d’une ubiquité totale. Nul besoin pour cela d’installer des éléments de surveillance quand on sait qu’ils existent déjà. Parce qu’Israël * exerce sur Gaza et la Cisjordanie un cyber contrôle dont cet Etat s’est fait une réputation universelle. Ou comment contrôler de façon efficace une population de prés de cinq millions de personnes en utilisant l’intelligence artificielle, le big data, les drones et leurs caméras mais aussi les hélicoptères. La cause est entendue, dans Fauda le poste de commandement israélien voit tout, entend tout, mais comme un prérequis. Les groupes palestiniens seront, dans les extérieurs, sous surveillance, partout, de nuit comme de jour. Cette surveillance cessera, c’est une loi du genre, lorsque l’action aura besoin de souffler ou de rebondir. Mais nous voyons bien que le quadrillage de la surveillance auquel les Palestiniens sont soumis dans leur réalité quotidienne, devient un acquis visuel qui n’exige même plus une technologie de surveillance à installer pour exister. Il va de soi que l’œil d’Israël est partout comme un regard surplombant, dont la parabole serait celle d’un regard divin qui verrait tout et entendrait tout. Ce désir d’ubiquité et de contrôle puise ses origines dans le cinéma allemand, ce principe de surveillance est présent dans les trois Mabuse : films de Fritz Lang des années vingt, trente, et soixante dans lesquels un personnage diabolique, principalement celui de 1933, qui dirige, depuis l’asile psychiatrique où il est interné, un gang de malfaiteurs lui rapportant tous leurs méfaits diaboliques. Ce monstre venu des entrailles des puissances du mal absolu, préfigurait pour Fritz Lang, la montée du nazisme. Le docteur Mabuse des années soixante met tous les protagonistes de l’hôtel qu’il dirige sous contrôle, grâce à de multiples cameras dissimulées, affichant ce qui est capté sur un mur d’écrans cathodiques. Première vision d’une mise sous surveillance générale au cinéma. L’autre figure tutélaire de Fauda serait celle du Western avec le rappel des propos attribué au général Yankee Sheridan lors des Guerres indiennes : « un bon indien est d’abord un indien mort ». Propos qui trouve plus qu’un écho, une suite contemporaine, rencontrée sur une place de Tel – Aviv lors d’une manifestation de soutien à Elor Azaria, ce soldat israélien, meurtrier d’un jeune palestinien qu’il acheva d’une balle dans la tête alors qu’il gisait au sol gravement blessé. La principale banderole de cette manifestation était sans ambiguïté : KILL THEM ALL.

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Cette première saison est déjà emblématique de quelques systématisations.

La vie personnelle ou quotidienne, le mode de vie palestinien ne sont jamais évoqués ou montrés autrement que pour servir les intérêts de l’Unité israélienne d’intervention. Ce qui veut dire plus précisément que, lorsqu’ un Palestinien ou une Palestinienne apparait à l’écran, c’est que leur présence est liée à l’action que mène l’Unité d’intervention. Jamais dans une digression humaine : une mère et ses enfants, un repas en famille, une veillée. Ce n‘est pas le cas des proches des membres de l’Unité dont la vie personnelle est très présente pour l’entretien du moral de la troupe : beuveries, coucheries et tromperies comprises. Leur mode de vie hors des opérations « anti terroristes », est assez généreusement exposé pour que nous puissions saisir qu’il y a dans le récit une séparation entre la vie personnelle des membres de L’Unité et leur rôle d’agents d’infiltration.

Dans cette première saison le sexe, élément toujours présent dans toutes les séries internationales, n’est à l’œuvre qu’une seule fois entre une agent et son supérieur pour un coït à la hussarde dans les locaux de l’Unité.

* cf Sylvain Cypel – L’Etat d’Israël contre les juifs – Editions La Découverte.

FAUDA Saison 2

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