LE CRI DES PEUPLES : ‘Faut-il éliminer Yahya Sinwar ?’ De gauche à droite, les sionistes appellent en choeur au meurtre

dimanche 15 mai 2022

Par Gideon Levy, Haaretz, 7 mai 2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

JPEG - 42.7 ko Yahya Sinwar

Voilà à quoi ressemble un discours incendiaire : les médias et les réseaux sociaux sont inondés d’appels à assassiner le leader d’un mouvement politique —même s’il s’agit d’un mouvement religieux, radical et violent— dans une quête sanguinaire de vengeance. C’est aussi à cela que ressemble un chœur rauque uniforme : du Meretz de gauche (Uri Zaki) aux kahanistes, des journalistes Amnon Abramovich (TV Channel 12) à Ben Caspit (Maariv), chacun d’entre eux appelle à l’élimination du chef du Hamas Yahya Sinwar. Un État, une voix.

Ils rivalisent pour trouver l’épithète appropriée et digne de lui, crapule ou ordure. Oh, quels patriotes ! Si seulement c’était possible, le lapider en place publique attirerait des multitudes aux festivités. La nation se contentera au moins de provoquer sa mort par tout autre moyen. C’est la seule réponse que l’État d’Israël, emmené par les médias incendiaires, peut offrir à la suite d’attaques palestiniennes.

La dernière en date était particulièrement horrible : elle a été perpétré à la hache. Mais le meurtre à la hache est-il vraiment plus cruel que tout autre type de meurtre ? La hache est emblématique de la faiblesse de quelqu’un qui pourrait rêver de tuer en avion au milieu de la nuit. Mais il n’avait pas d’avion, ni même de canon.

Évidemment, le meurtre à la hache est barbare, mais en quoi est-il différent du meurtre d’une jeune fille de 19 ans voyageant innocemment en taxi avant d’être abattue par un soldat ? En quoi, dans l’intention ? Le soldat n’avait-il pas l’intention de tuer en tirant à balles réelles sur un taxi rempli de femmes à Jénine ? Quelle autre intention avait-il ?

De telles questions se posent après chaque attaque palestinienne, tout comme la réaction instinctive d’Israël, qui se répète d’une manière qui ne peut que conduire au désespoir. N’oubliant rien et n’apprenant rien, combien de fois l’assassinat sera-t-il proposé comme solution, alors que toutes les fois précédentes, il n’a servi à rien, causant dans la plupart des cas encore plus de dégâts ?

Même si l’on met de côté la question de la légalité ou de la moralité d’un État exécutant des personnes sans procès, il reste la question de son efficacité, qui n’a jamais été prouvée.

On peut aussi, d’une certaine manière, ignorer l’image répugnante et pathétique des médias, qui se sont presque unanimement lancés dans une campagne, demandant plus d’assassinats, plus d’invasions, plus de conquêtes.

On ne peut oublier qu’en Israël, les assassinats sont aussi une affaire politique. Ce ne sont pas seulement les cibles qui sont politiques —des personnes qui, dans des États respectueux de la loi, ne sont pas des cibles légitimes—, les meurtres proprement dits sont politiques. Ils sont destinés à satisfaire des besoins et des objectifs politiques, en montrant au public que « quelque chose est fait ». Une solution instantanée.

Il est douteux qu’il existe un domaine dans lequel les médias israéliens soient aussi unifiés et influents, exprimant le désir obscène des masses, poussant à mener des attaques violentes de vengeance. « Faut-il éliminer Sinwar ? », demandait une légende sur les fils d’actualité en début de semaine, comme s’il s’agissait d’une émission de télé-réalité. Des meurtres à la demande. Le grand nombre de ces meurtres a masqué l’atmosphère illégitime dans laquelle se déroule la conversation sur la réponse à apporter à ces attaques.

Sinwar n’est pas le pire des ennemis. Son successeur sera pire. Sinwar ne sera pas non plus le premier Yahya du Hamas qu’Israël élimine en vain. L’élimination de Yahya Ayyash, son prédécesseur, n’a rien donné d’autre à Israël qu’une vague d’attaques-suicides au cours desquels 60 Israéliens ont été tués.

Réduire le problème posé par les attaques palestiniennes à un seul dirigeant est une façon lâche d’éviter de s’attaquer aux véritables problèmes. Comme si la terreur ne découlait pas du blocus, de l’occupation, de la brutalité des policiers à la mosquée al-Aqsa, de la violence des colons et du meurtre d’innocents en Cisjordanie. Comme si la terreur était personnifiée par Sinwar, seulement Sinwar. Si la terreur est Sinwar, tuons-le, et le calme reviendra.

Si la terreur est liée à l’échange de prisonniers contre Shalit, dans lequel Sinwar a été libéré après 23 ans de prison, alors il y a une solution facile. Pas de libération de prisonniers, seulement des assassinats, la « dissuasion », et la paix sera rétablie. Israël a essayé cela mille et une fois sans succès. Cela ne marchera pas non plus maintenant.

Évidemment, nous ne pouvons pas rester silencieux face à la terreur. Au contraire, nous devons en parler. Avec le Sinwar vivant. Lui parler, directement ou indirectement, de la levée du blocus. Lui parler des droits dont son peuple a été privé, de sa dignité bafouée. Nous n’avons jamais, mais jamais, essayé de le faire sérieusement.