La “coexistence pacifique” de Jaffa, ma ville, s’effondre sous mes yeux

dimanche 30 mai 2021

Décrivant « la violence étatique à laquelle font face ceux qui sont présentés comme des “émeutiers arabes” dans la presse israélienne », ce reportage d’Asaf Ronel n’a pas été publié par sa rédaction, Haaretz (Israël), mais par The Guardian (Royaume-Uni). Voici sa traduction française ainsi qu’un retour sur la démission du journaliste, rendue publique le 21 mai 2021.

JPEG - 50.1 ko Le port de Jaffa aux environs de 1900 © Matson photography, for the American Colony Photo Department

Jaffa est l’une des plus anciennes villes du monde. C’était la métropole de la Palestine historique, jusqu’à ce qu’elle soit conquise par Israël en 1948 – la plupart de ses habitant·es palestinien·nes devinrent alors des réfugiés, et la ville fut absorbée par Tel-Aviv un an plus tard.

Pendant des décennies, le lieu a été considéré comme une simple arrière-cour de Tel Aviv. Mais, ces dernières années, des Juif·ves israélien·nes comme moi ont découvert ses charmes et un processus de gentrification a commencé, poussant les Palestinien·nes pauvres hors de la ville. Ce processus produit de nombreuses tensions. Il est rendu possible par le fait que la plupart des Juif·ves israélien·nes voient Jaffa comme un havre de coexistence où ils peuvent déguster du houmous et d’autres mets palestiniens en paix.

Aujourd’hui, cette représentation de la coexistence est mise à mal. De nombreux·ses résident·es juif·ves ont quitté la ville ces dernières semaines, et les Palestinien·nes sont la cible de ce qui ressemble à une attaque organisée de la part de la police israélienne et de l’extrême droite. Des ami·es palestinien·nes de tous les quartiers de la ville m’ont raconté la façon dont se déroulent leur nuits à présent : éveillé·es, une batte de baseball à la main, assis·es à côté de la porte ou sur le toit, attendant que des assaillants arrivent.

Je vis et j’élève mes deux enfants à Jaffa depuis huit ans : je n’ai jamais rien vu de tel. Cela a démarré la semaine dernière, après l’invasion de la mosquée Al-Aqsa par la police israélienne à Jérusalem et les affrontements avec les manifestant·es palestinien·nes. Le 10 mai, une manifestation pacifique de solidarité à Jaffa, en présence de nombreuses femmes et d’enfants, a été violemment dispersée par la police israélienne usant de grenades paralysantes et de chevaux.

La présence policière à Jaffa a toujours été importante. Mais, après cette soirée les rues de la ville se sont remplies de ce qui ressemblait à un bataillon de patrouilles de la police des frontières lourdement armées. Deux jours après, un Palestinien a été attaqué par une foule entière de manifestants israéliens d’extrême droite dans la ville voisine de Bat Yam, la police était aux abonnés absents.

Les jeunes Palestinien·nes de Jaffa se sont organisé·es pour défendre leurs rues, leurs maisons et leurs mosquées. Certain·es d’entre eux s’en sont pris à des symboles israéliens. Un soldat israélien a été hospitalisé après avoir reçu une pierre à la tête. Quelqu’un a tenté d’incendier une synagogue : le voisin du bâtiment, musulman, a éteint le feu avant qu’il ne se propage.

Le point de rupture est survenu le vendredi 14 mai, lorsqu’une bombe incendiaire a été lancée à travers la fenêtre de la maison d’une famille palestinienne. Un enfant de 12 ans a été grièvement blessé, sa sœur de 10 ans légèrement (il est maintenant dans un état stable).

Le lendemain après-midi, les propriétaires de magasins ont choisi baisser leurs rideaux pour, m’ont-ils expliqué, rentrer chez eux et organiser la protection de leurs enfants avant que le soleil ne se couche. Devant les quelques magasins palestiniens restés ouverts cette nuit-là et les suivantes, des groupes d’adolescents et de jeunes hommes montaient la garde, au cas où des émeutiers viendraient. Ils savaient que si cela se produisait, il n’y aurait personne pour les défendre à part eux-mêmes.

Presque tout le monde à Jaffa a vu de ses propres yeux, ou dans des vidéos montrant d’autres villes mixtes (expression israélienne désignant les villes israéliennes où cohabitent Juif·ves et Palestinien·nes, ndlt) à l’intérieur du territoire [définit par les accords] de 1967, la façon dont des émeutiers de droite ont attaqué des Palestinien·nes pendant que la police détournait le regard – ou aidait activement. Quand, et si, la police arrivait alors que les Israéliens et les Palestiniens s’affrontaient, seuls les jeunes Palestiniens recevaient des grenades paralysantes.

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