La critique comme construction d’un mouvement : les rapports sur l’apartheid en Palestine

dimanche 24 avril 2022

12 avril 2022

Par Tareq Baconi, 29 mars 2022

Nous devons commencer par ce que la plupart des Palestiniens considèrent comme des vérités incontournables. Le sionisme est un mouvement colonial de peuplement déterminé au mieux à nous effacer, au pire à nous éliminer. C’est une idéologie raciste enracinée dans la croyance de la suprématie juive en Palestine. Toute la Palestine est palestinienne ; c’est une unité unique, indivisible, malgré la colonie de peuplement israélienne qui a été normalisée dans ce pays. Le Nord global, mené par les Etats-Unis et les Etats membres européens, est biaisé en faveur d’Israël et rapide à diaboliser les Palestiniens qui rappellent ces faits. Il s’ensuit que les médias occidentaux ont pour la plupart ridiculisé, sous-représenté et/ou ignoré les voix palestiniennes en faveur des analystes israéliens ou occidentaux, à qui ils accordent plus de crédibilité qu’à l’expérience vécue des Palestiniens pour forger des récits et décrire les réalités sur le terrain. Et, enfin, le droit international et le système juridique international sont façonnés par le puissant, appliqués de manière hypocrite et ils nous ont largement laissé tomber. Pourtant, en grande partie, les Palestiniens continuent à s’y accorcher, en tant qu’outil pour notre libération à venir.

Ce sont les données. C’est à l’intérieur de ce contexte que, en 2021, des organisations israéliennes et internationales ont commencé à publier des rapports accusant Israël du crime d’apartheid contre le peuple palestinien. Après des décennies de travail inlassable de Palestiniens pour mettre en avant l’accusation qu’Israël pratique l’apartheid, les dominants rattrapent enfin leur retard. En janvier 2021, B’Tselem, l’organisation principale de défense des droits humains d’Israël, a publié un rapport intitulé sans ambiguité Un régime de suprématie juive du Jourdain à la Méditerranée : c’est un apartheid. Trois mois plus tard, Human Rights Watch, la principale organisation internationale de défense des droits humains, a fait écho à ces conclusions en publiant un rapport exhaustif, incluant une analyse juridique étendue et qui a conclu de manière accablante que les autorités israéliennes commettent des crimes contre l’humanité, sous la forme d’un apartheid et de la persécution du peuple palestinien. Un an plus tard, en janvier 2022, Amnesty International, une organisation qui a plus de dix millions de membres dans le monde entier, a publié un rapport intitulé Apartheid d’Israël contre les Palestiniens : un système cruel de domination et un crime contre l’humanité.

Etant donné le racisme latent qui façonne l’ordre du monde — actuellement très manifeste dans la couverture de l’invasion russe en Ukraine comparée avec celle des interventions armées occidentales passées et en cours dans le Sud global — ces rapports ont reçu plus d’attention que deux décennies de plaidoyer palestinien sur cette question. C’est, à juste titre, un désappointement et un rappel douloureux de la hiérarchie des narratifs globalement — quels narratifs sont estimés dignes d’attention et quels autres rejetés — et c’est une hypocrisie sur laquelle beaucoup de Palestiniens se fixent. Pourtant ce n’est pas une surprise ; si les Palestiniens n’étaient pas déshumanisés sur la scène mondiale, nous ne serions pas en train de lutter pour notre survie. Cet effacement est, après tout, précisément la réalité que nous travaillons à changer.

Ce n’est pas une surprise, non plus, que ces organisations proposent des rapports qui sont imparfaits et qui, à différents degrés, vont moins loin que ce que les Palestiniens ont défendu depuis longtemps. Le rapport de B’Tselem, par exemple, ne fait aucune mention des réfugiés palestiniens, tandis que le rapport de Human Rights Watch suggère que l’apartheid israélien s’est manifesté après qu’un « seuil » a été franchi pendant les années du gouvernement de Trump, et non en 1948, à l’instant même de la création d’Israël. Le rapport d’Amnesty, en comparaison, enracine son analyse en 1948 et appelle au retour des réfugiés palestiniens comme un élément critique pour la décomposition du régime [d’apartheid] d’Israël. Il s’abstient, néanmoins, en tant qu’organisation de défense des droits humains, de prendre position sur l’auto-détermination et la souveraineté palestiniennes, qu’il voit comme des décisions politiques.

Différents universitaires et analystes palestiniens ont critiqué ces rapports et expliqué leurs perspectives sur des plateformes palestiniennes. Le principal point de discorde est que, en employant un cadre de droits humains et de droit international, les rapports minimisent la nature coloniale de peuplement du régime d’apartheid d’Israël et son intention de domination raciale. Dans ce cadrage libéral de l’apartheid, il s’ensuit que la résolution de la lutte palestinienne serait la démocratisation et l’égalité offerte à tous les citoyens à l’intérieur du dit régime, plutôt que le complet démantèlement, ou décolonisation, du système d’apartheid. Dans des termes simplifiés, ce serait la différence entre le modèle colonial de peuplement américain où les habitants autochtones et les Afro-Américains atteignent l’égalité dans les plis de la suprématie blanche, versus le modèle sud-africain qui est une lutte continue pour démanteler l’apartheid. Ce mois-ci, le Rapporteur spécial des Nations Unies Michael Lynk a explicitement attribué l’apartheid d’Israël au colonialisme de peuplement, en limitant cependant son analyse à la Cisjordanie plutôt qu’à l’intégralité du régime du fleuve à la mer.

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