Le boycott de l’Afrique du Sud : leçons pour la lutte contre l’apartheid en Israël ?

samedi 21 mai 2022

La situation d’apartheid qui règne en Israël n’est plus contestable. Or l’apartheid est un crime contre l’humanité. Lutter contre l’apartheid en Israël est donc un devoir moral qui s’impose aux citoyens et aux États. Cette lutte peut tirer inspiration de la manière dont les citoyens, rejoints par les États, ont contribué à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud. Par Michel Gevers

Le récent rapport d’Amnesty International (AI) accusant Israël de pratiquer l’apartheid a frappé l’opinion publique du monde entier[1]. La raison en est que cette organisation de 10 millions de membres est connue pour son sérieux et sa prudence, et que ce rapport est le résultat de quatre années d’enquête. Outre AI, bien d’autres organisations ont dénoncé les crimes d’apartheid et de persécution de l’État d’Israël envers la population palestinienne, notamment Human Rights Watch, les organisations israéliennes B’Tselem et Yesh Din, et le rapporteur spécial des Nations Unies Michael Lynk. Sans compter de nombreuses personnalités israéliennes, dont deux anciens ambassadeurs d’Israël en Afrique du Sud qui expliquent, en juin 2021, que la mise en place de l’apartheid en Israël a été inspirée par celle de l’Afrique du Sud à l’occasion d’une visite d’Ariel Sharon dans ce pays dans les années 1980[2].

Si l’apartheid est en soi un crime contre l’humanité, il est aussi l’instrument de domination qui permet à l’État d’Israël d’infliger d’autres crimes à la population palestinienne. Rappelons quelques faits. En 2021, année calme, l’armée israélienne a tué 319 Palestiniens selon le journal israélien Haaretz, alors que dans le même temps 11 soldats Israéliens ont été tués[3]. Depuis le début de 2022, l’armée israélienne a déjà tué 8 enfants[4]. Depuis 20 ans, Israël a construit des dizaines de milliers de logements réservés exclusivement aux Juifs en Palestine occupée, tout en démolissant des milliers de logements palestiniens[5].

Les réalités de l’apartheid en Israël

L’État d’Israël exerce son contrôle sur un territoire qui va du Jourdain à la Méditerranée, et qui comprend le territoire d’Israël proprement dit et les territoires palestiniens occupés (la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza). Dans ce territoire vivent environ 6,5 millions de Juifs et autant de Palestiniens, dont 2,3 millions à Gaza. Même si l’administration israélienne n’est pas présente à Gaza, ses habitants vivent sous le blocus de l’État israélien qui leur interdit d’en sortir et contrôle les entrées de produits et matériaux.

La réalité juridique de l’apartheid en Israël et dans les territoires occupés n’est plus à démontrer, comme l’expliquent les rapports cités plus haut. Pour Lev Grinberg, président de la Israeli Sociological Association, la réalité y est même pire que l’apartheid en Afrique du Sud[6]. Les discriminations entre juifs et palestiniens s’exercent à tous les niveaux. Citons la création, dans les territoires occupés par Israël, de plus de 160 enclaves palestiniennes isolées les unes des autres par une fragmentation territoriale : voir la carte jointe. Pour se déplacer d’une enclave à l’autre, les Palestiniens doivent se soumettre à de multiples contrôles exercés par l’armée israélienne où ils sont souvent retenus longuement (les fameux "checkpoints"), alors que les juifs y circulent sans entrave[7]. Les paysans palestiniens doivent parfois faire de longs détours et passer par ces "checkpoints" pour se rendre dans le champ qui borde leur maison. Alors que les colons juifs qui s’installent en Palestine occupée sont soumis aux lois civiles de l’État d’Israël, les Palestiniens y sont soumis aux ordonnances militaires et subissent régulièrement les fameuses "arrestations administratives" par l’armée, pour lesquelles ils peuvent être emprisonnés pendant des mois sans aucune inculpation. Enfin, à partir du mois de mai, l’armée israélienne ira jusqu’à prendre le contrôle d’une série de décisions académiques dans les universités palestiniennes[8].

Afrique du Sud et Israël : la géopolitique de l’apartheid

Face à ce constat, il est utile de rappeler quels ont été les moteurs de la lutte qui a permis de mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud (AS). Comme c’est le cas pour Israël, les gouvernants du monde occidental ont longtemps soutenu le gouvernement blanc d’AS, malgré ses crimes, et ce principalement pour deux raisons. La première est que l’AS était vue comme un allié géopolitique et un rempart contre les mouvements d’indépendance qui agitaient plusieurs pays d’Afrique. La deuxième est que de grandes sociétés minières anglaises et américaines avaient des intérêts considérables en Afrique du Sud. Ces deux éléments sont également présents dans le soutien des gouvernants occidentaux à Israël. Il faut y ajouter la culpabilité européenne par rapport à la Shoah. Ces gouvernants et les médias dominants ont longtemps entretenu le mythe qu’Israël était un îlot démocratique dans un océan de régimes autoritaires, et qu’il est donc un allié naturel. Israël s’efforce d’entretenir ce mythe, même si celui-ci est en train de s’effondrer. Par ailleurs, l’Union Européenne est le premier partenaire commercial d’Israël, suivie par les États-Unis.

Puisque nos gouvernants ferment les yeux sur les crimes commis par Israël[9], la lutte contre l’apartheid ne pourra être menée que par des mouvements citoyens, comme ce fut le cas pour l’AS.

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