Les femmes en Palestine occupée

samedi 22 mai 2021

Extrait de PALSOL, publication trimestrielle de l’AFPS (Avril 2021)

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Au cours des dernières décennies, les revendications des femmes palestiniennes pour leurs droits ont mis en avant l’égalité entre les sexes, l’abolition de la discrimination genrée et le développement réel des droits de citoyenneté, conformément aux obligations des conventions sur les droits humains et les textes juridiques internationaux signés par la Palestine. Cependant les femmes souffrent toujours de marginalisation, de discrimination et d’exclusion en raison d’autres lois, des normes sociales et des politiques d’exclusion.

JPEG - 42.6 ko Une Rosie palestinienne, tableau de Malak Mattar

Comme partout les souffrances qui en découlent ont été exacerbées par la propagation du Covid-19, dont les effets sont particulièrement néfastes sur le peuple palestinien en général, mettant en évidence la fragilité de la société, et sur les Palestiniennes en particulier.

Mais avant la pandémie, la première des conditions qui s’impose aux Palestiniennes et aux Palestiniens, c’est le régime d’apartheid sur la totalité d’Israël-Palestine. Celui-ci sert de cadre à la poursuite de la colonisation et de l’annexion, aux vols de terre et aux déplacements forcés. Tous ces actes sont contraires au Droit international, ou aux Droits Humains, s’ils ne sont pas clairement des crimes de guerre, ou contre l’humanité. Cela inclut une vie sous contrôle militaire, où la présence des soldats est érigée en principe, ainsi que la loi du plus fort toujours et partout.

Ainsi va la situation, telle qu’Israël la fait régner et que les États « amis » l’acceptent factuellement. S’ajoute à ce dramatique tableau la volonté stratégique de la puissance occupante de détruire la société palestinienne dans son ensemble. D’où des suites continues de harcèlements et d’emprisonnements. Mais elle cherche aussi à créer une situation de troubles dans la structure familiale : arrestations nocturnes, destructions de maisons, mise en difficulté du rôle parental et des éducateurs. Le gouvernement israélien sait que ce sociocide programmé passe en particulier par des atteintes aux femmes hors et dans les foyers palestiniens.

Ce contexte provoque l’asphyxie politique et paralyse les êtres, mais elle entraîne également des mécanismes de violences et de soumission du faible au fort, du dépendant au puissant, du démuni au riche. Et en Palestine comme ailleurs, les femmes se trouvent trop souvent en bout de ces chaînes d’oppression… Les femmes palestiniennes vivent ainsi une triple oppression : celle de l’apartheid qui s’impose à toute la Palestine mandataire, celle de la situation politique interne que cela génère et celle liée à la condition culturelle et patriarcale, créée essentiellement par les hommes.

Dans ce cadre particulièrement grave et difficile, les femmes se battent aujourd’hui, comme elles se sont battues précédemment, des hommes à leurs côtés, pour le droit à l’égalité, à l’autodétermination de leur peuple, pour la liberté, la sécurité et la justice. Mais également, comme dans de nombreuses sociétés, elles doivent aussi se lever et combattre pour faire valoir leurs droits en tant que femmes ; rappelons que la France n’est pas exempte de discriminations et de différences de droits et traitements genrés : violences conjugales et extraconjugales, féminicides, viols ; différences de salaires, et encore déficits de représentation et d’accès à certains statuts professionnels, ou aux mandats électifs.

Si on ose ici parler des « femmes », sans vouloir les réduire à un stéréotype, donc sans jamais oublier leur individualité et toutes leurs spécificités, on peut essayer de comprendre la réalité quotidienne des Palestiniennes par ce qu’elles disent, l’analyse de rapports, ou l’étude de la législation, même si la réalité quotidienne ne se limite pas à la loi.

Le 1 eravril 2014 la Palestine a ratifié aux Nations unies la CEDAW (Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations envers les femmes). Cet accord international pour les femmes est un signe important, un espoir pour l’amélioration des droits des femmes, d’autant qu’il nécessite de nombreuses évolutions côté palestinien afin de répondre aux termes du traité. Les ministères des affaires étrangères et des droits des femmes (qui existe depuis 2003), les plus concernés par les orientations à prendre, travaillent sur la rédaction de rapports de situation, qui sont présentés régulièrement. Le rapport initial date de 2015, le suivant de mars 2017. Sont également impliquées la Coalition nationale des femmes pour la mise en œuvre de la CEDAW, qui comprend l’Union générale des femmes palestiniennes (dépendant de l’OLP) et des institutions de défense des droits humains. Des liens existent aussi avec des femmes venues de la société civile, présentes dans les comités, qui se préoccupent plutôt de l’application de ces droits.

Le bilan de 2017 présenté par les ministères au CEDAW a reçu un certain nombre d’observations et de recommandations. Une des difficultés majeures semble être l’harmonisation du droit de la famille en Palestine avec les lois internationales pour respecter les termes de la Convention. Mais les lois ne sont pas suffisantes – lorsqu’elles existent – pour changer les mentalités. La conviction doit être inébranlable pour que les changements soient réels sur le terrain ! Et si un comité national a été créé pour tenter d’ajuster le droit de la famille (mariage, divorce, héritage, droit de garde des enfants), ou d’avancer sur le dispositif pénal, l’héritage culturel et le pouvoir religieux freinent les évolutions : le mariage civil n’existe pas, l’homosexualité est un crime, l’avortement toujours illégal est un sujet tabou et cetera.

En effet, bien que la Loi fondamentale palestinienne affirme le principe de l’égalité des droits entre les sexes, et malgré l’adhésion de la Palestine à de nombreuses conventions et pactes internationaux, le plus grand défi reste l’intégration de ces accords aux lois locales, ainsi qu’à la prochaine constitution palestinienne, d’autant plus que l’accord CEDAW n’a toujours pas été publié dans le Journal officiel palestinien. Il y a en Palestine un conflit stratégique entre la nécessité d’évolution du corpus législatif et réglementaire, la nécessité d’avoir d’un conseil législatif à même de valider de nouvelles lois, et l’urgence d’une situation qui relègue bien trop souvent la discrimination envers les femmes hors de l’agenda officiel. Et si une réflexion est en cours sur le cadre et les valeurs d’une Constitution, qui dirait la hiérarchie des normes, l’application des traités internationaux et la législation intérieure, il faut au préalable la création d’un État apte à en faire la déclaration.

Ainsi, les collectifs de femmes déplorent le manque de mesures concrètes, de politiques et d’actions pour changer une « culture » fondée sur la discrimination et une vision infériorisante des femmes, obstacle majeur à l’avancement du statut des femmes palestiniennes.

De fait, selon nombre d’entre elles, la réalité pour les Palestiniennes n’est pas satisfaisante. Et malgré la création en 2019 d’un comité entre les ministères de la Femme et de l’Éducation et la société civile, chargé d’étudier les programmes du point de vue de l’égalité des sexes, les conceptions discriminatoires à leur égard se retrouvent toujours dans les programmes scolaires, où les images et les cours trahissent le manque d’adhésion aux principes d’égalité des sexes.

La violence à l’égard des femmes ne se limite pas au foyer. Elle est présente dans la rue et sur le lieu de travail. Les mesures de protection sociale sont insuffisantes malgré des avancées dues au mouvement féministe, notamment la modification du Code pénal, en particulier la suppression de toutes les justifications de féminicide (une vingtaine par an, en augmentation), ainsi que l’abolition de l’article qui encourageait les victimes de viol à épouser leur violeur, ou la loi sur le statut personnel, qui a porté l’âge du mariage pour les hommes, comme pour les femmes, à un minimum de 18 ans depuis 2020, alors que 33% des contrats de mariage enregistrés dans les tribunaux religieux concernaient des filles mineures (Cisjordanie).

La plupart des résultats obtenus ont été présentés au Conseil des ministres en 2020 et approuvés en première lecture. Mais ils attendent encore d’être ratifiés sous leur forme définitive. Le retard est-il dû au contexte de la crise sanitaire ? Ou à une absence de volonté politique, les responsables préférant se plier aux forces fondamentalistes et conservatrices, comme semble le croire les militantes ?

Dans la population active, si les lois du travail sont en cours de modification, la participation des Palestiniennes est faible et n’a pas dépassé 18% en 2019. Leur salaire journalier moyen est nettement plus faible que celui des hommes(1) : 92 NIS (Nouveau Shekel Israélien), contre 129 NIS.

L’écart entre le chômage des femmes et des hommes se creuse. D’après le Bureau Central de Statistique palestinien, ce taux était de 26% mi-2019 (15% en Cisjordanie), mais de 44% chez les femmes et 22% pour les hommes.

Cette situation explique qu’une enquête sur la pauvreté faite en 2018 ait montré que les femmes et les enfants sont considérés comme faisant partie des segments les plus pauvres parmi les pauvres. Le pourcentage de femmes chefs de famille en Palestine y était de 11% (12% en Cisjordanie et 9% dans la bande de Gaza), à comparer à 8,8% en 2007.

Pour ce qui est de la vie publique et politique, la participation des femmes reste inférieure à celle des hommes. Dans ce domaine le statut des femmes semble stagner. Pourtant, la revendication d’une participation paritaire des femmes à la vie politique est inscrite dans la déclaration d’Indépendance de 1988, dans la Loi fondamentale de l’État de Palestine, dans la Charte des Droits de la Femme Palestinienne de 2008, ainsi que dans les Conventions Internationales que la Palestine a signées, en particulier la CEDAW et la résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations unies sur le Droit des femmes, la paix et la sécurité. Leur représentation est toujours faible malgré la volonté du Conseil central en 2015 et de l’Assemblée nationale en 2018, qui ont décidé d’augmenter le quota de participation des femmes à 30% à tous les niveaux de prise de décisions.

Il est vrai que les limitations et les contraintes imposées par les accords d’Oslo réduisent la capacité de l’Autorité Palestinienne à définir une citoyenneté palestinienne. Mais comme le font remarquer certaines femmes, tout n’est pas à imputer à la responsabilité israélienne quand il y a aussi un manque de volonté politique du pouvoir Palestinien, des divisions internes et la montée du fondamentalisme.

Exemple de la marginalisation des femmes par les partis politiques, lors des dernières élections locales qui ont eu lieu en 2017 : elles n’ont pas participé aux négociations de la formation des listes dans la plupart des partis, qui n’ont alors pas respecté le quota de 30%. À noter que les camps de réfugiés ne participent pas aux élections locales et n’y sont pas représentés. La plupart sont administrés par des comités, sans aucune représentation féminine, ces structures n’étant pas soumises au système de quota. Et pour les élections annoncées en 2021, le taux de femmes sur les listes électorales est fixé à 25-26% seulement ! Comme souvent, la politique se fait dans des structures déjà contrôlées par des hommes et cette activité nécessite une disponibilité parfois peu compatible avec les responsabilités familiales des femmes. Le fait que celles-ci ne possèdent pas, et n’ont pas accès aux ressources productives, limite aussi la portée de leur travail en politique.

Dernièrement, les Palestiniennes ont été la cible de campagnes menées par des groupes et des forces sociales fondamentalistes et conservatrices qui visent à saper leurs droits et à les dissuader de continuer leur combat. Ces attaques se sont intensifiées en 2020. Certains politiciens utilisant la religion, les coutumes et les traditions comme des arguments pour contester la lutte menée depuis des décennies par les femmes pour et au sein du mouvement national. Des manifestations et des menaces directes à l’encontre de cadres et d’institutions de femmes appellent au retrait de l’adhésion de la Palestine de certains accords.

Cependant, à la suite du travail du mouvement féministe, une réunion a été organisée en octobre2020, à laquelle ont participé des factions politiques nationales, des institutions de défense des droits humains et des institutions féministes, ainsi que des personnalités politiques, sociétales et religieuses. Les questions abordées lors de cette réunion ont démontré la volonté politique de la coalition des droits des femmes de continuer à défendre malgré tout les questions les concernant. La ERADA (Coalition des femmes pour la justice et l’égalité) était présente et a obtenu un certain nombre de résultats dont l’approbation du relèvement de l’âge du mariage pour les deux sexes à 18 ans (déjà mentionné) et une série de décisions relatives au droit des femmes sur la « gestion » de leurs enfants mineurs.

À l’occasion du 8mars, les militantes ont exigé que le gouvernement palestinien assume ses responsabilités, malgré l’occupation, par une réforme du système de lois pour remplir les obligations de la CEDAW, y compris sa publication dans le Journal officiel palestinien afin de les rendre contraignantes. Elles attendent l’application et l’harmonisation de la législation nationale et des différentes structures administratives conformément aux préconisations.

L’action des organisations pour les droits des femmes se poursuit en application du principe général que les droits des femmes sont des droits humains et que les questions relatives aux femmes dans le cas palestinien doivent être considérées comme des questions politiques et sociales et donc que les progrès pour la société palestinienne sur le plan national, social et économique ne pourront être atteints qu’avec la participation active des femmes à égalité dans tous les domaines. Ce qui inclut de remédier aux différences de droit entre la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem, et d’améliorer ainsi les réponses aux besoins des femmes, entravés par la fragmentation géographique.

Dans ce sens, le mouvement féministe peut être salué comme un modèle au-delà même de la Palestine, car il s’inscrit dans le travail pour l’émancipation des femmes, mais aussi la transformation fondamentale d’une société et contribue pleinement au mouvement de libération nationale aux côtés de tous les Palestiniens pour se libérer de l’occupation israélienne et de ses politiques régressives. Est-il possible d’espérer que les élections futures faciliteront le consensus sur un programme national avec la participation de tous acteurs politiques et de la société civile, en particulier les femmes et les jeunes ?

MS

Sources : rapports de l’État de Palestine CEDAW / Document du PWWSD pour le 8mars 2021/

(1)1 NIS =0,26euro (29mars 2021)