Les habits neufs du sionisme de gauche 

vendredi 2 décembre 2022

«  Le rabbin de Loubavitch, qui, à la fin du XIXe siècle s’est opposé de toutes ses forces à Theodor Herzl et au mouvement sioniste, était-il ‘’antisémite’’  ? Marek Edelman, membre du Bund, et l’un des chefs du ghetto de Varsovie, totalement opposé à la colonisation en Palestine, était-il ‘’antisémite’’  ? Les communautés de juifs orthodoxes de New York et de Jérusalem, qui s’opposent au sionisme, parce qu’ils y voient une atteinte à l’essence même de la foi juive, sont-elles ‘’antisémites’’  ? De même, des intellectuels d’origine juive, d’hier et d’aujourd’hui, comme Stéphane Hessel, Éric Hobsbawn, Maxime Rodinson, Harold Pinter, Pierre Vidal-Naquet, Tony Judt, Nom Chomsky, Judith Butler, et bien d’autres sont-ils antijuifs  ? Tout comme les Palestiniens en lutte contre le pouvoir de l’État juif, qui les opprime, sont-ils judéophobes  ? 

Il serait grotesque d’exiger des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes, alors qu’ils subissent une occupation et une colonisation prolongées menées au nom du projet sioniste, qui voit en leurs lieux de résidence la patrie du ‘’peuple juif’’  ?  » 

Shlomo Sand, Une race imaginaire (2020)

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Comment débuter un texte dans lequel il y a tant d’aspects à traiter  ? Peut-être en commençant par expliquer sa raison d’être. Que les militants antisionistes – et l’antiracisme politique de manière générale– soient trainés dans la boue et diffamés n’a rien de nouveau. Nous sommes les cibles de réactionnaires de tous bords depuis bien longtemps. Une chose a pourtant changé récemment : la réaction sioniste se drape souvent d’habits non pas «  progressistes  » mais d’extrême gauche. Il n’est pas vraiment nouveau que la gauche, réformiste comme révolutionnaire, compte de fervents sionistes en son sein. Néanmoins, pendant un temps, ceux-ci étaient relativement isolés du fait qu’ils tenaient à leur appartenance quasi identitaire au camp de la «  Révolution  ». Récemment pourtant, on a vu une certaine convergence des luttes entre la réaction et quelques individus se réclamant d’une certaine extrême-gauche (laquelle  ? nous l’ignorons). Cela permet d’une part à ces individus de trouver un espace «  safe  », loin des islamo-gauchistes propalestiniens, mais cela permet également à la réaction d’avoir de nouveaux relais qui ne sont pas de droite ou d’extrême-droite. Attention : ne surestimons pas ce phénomène, qui est loin d’être un mouvement de masse et qui se limite surtout à un travail idéologique. Ici pourtant, le nombre importe peu. C’est plutôt la diffusion de ces idées qui est inquiétante. Afin de tenter de traiter ce vaste problème de manière dépassionnée (mais politisée), nous nous attarderons sur deux textes qui ont été publiés ces derniers temps : un entretien (mené par Emmanuel Debono) avec Memphis Krickeberg, dans la revue Le droit de vivre (DDL, périodique de l’officine d’anti racisme moral, LICRA) ainsi qu’un texte, également signé par Memphis Krickeberg, dans un ouvrage dirigé par Alain Policar, Nonna Mayer et Philippe Corcuff (Les mots qui fâchent. Contre le maccarthysme intellectuel, éditions de l’aube, 2022). Ces deux textes hautement problématiques méritent que l’on prenne le temps d’y répondre.

L’idée qui semble rapprocher ces textes est celle que l’antisémitisme serait un impensé à gauche, voire que la gauche ne serait pas imperméable à l’antisémitisme. Or, les auteurs expliquent avant tout cette supposée porosité de la gauche à l’antisémitisme à travers la question du sionisme. Ces textes assimilent ainsi l’antisionisme à l’antisémitisme. Cela est d’ailleurs fait de manière assez explicite chez Memphis Krickeberg (M.K.), lorsqu’il répond à la question «  L’antisionisme est-il d’après vous une forme d’antisémitisme  ?  » :

«  Oui. L’antisionisme n’est pas une simple critique de la politique israélienne ou une caractérisation objective de certains traits de l’État juif. Israël a des origines coloniales tout en étant le résultat d’un mouvement de libération nationale. L’antisionisme constitue un dispositif de délégitimation d’Israël qui dénie l’étaticité aux Juifs.  »

C’est à cette idée que nous souhaitons nous attaquer ici, car elle repose sur une méconnaissance assez importante de l’histoire de l’antisémitisme, du sionisme, mais également de l’impérialisme (puisque c’est la gauche anti-impérialiste qui est visée). Ce n’est pas vraiment la personne de M.K. qui nous intéresse ici, mais plutôt les idées qu’il défend et que nous entendons discuter(ici). Il est d’ailleurs intéressant de noter que sa position semble avoir évolué, puisque dans un texte co-signé par M.K. de 2019, déjà assez problématique, on pouvait lire «  notre propos n’est donc pas ici d’affirmer que l’antisionisme ou l’anti-impérialisme de la gauche produiraient d’eux-mêmes, par leur seule structure argumentative et les représentations qu’ils charrient, de l’antisémitisme[1]  ».

Lire l’article complet ICI.