Les juifs de France se fracturent sur Éric Zemmour

vendredi 15 octobre 2021

La candidature probable à l’Élysée du partisan du « grand remplacement » provoque une onde de choc dans la communauté juive française. Beaucoup de juifs affirment vouloir voter pour Éric Zemmour, au grand dam de figures communautaires. On peut y voir un feu de paille, mais aussi la conséquence d’erreurs d’analyse sur l’islamophobie et le soutien constant à la politique israélienne.

« Voilà c’est dit. Pour mémoire ». Maître Patrick Klugman conclut ainsi son « billet d’humeur »1 le mercredi 6 octobre 2021 au micro de RCJ, la radio communautaire du Fond social juif unifié. Sujet : Éric Zemmour et la question juive. « Le héros de l’extrême droite française est un juif revendiqué », déplore-t-il. La rhétorique raciste de Zemmour, ses obsessions anti-arabes et anti-musulmans et son audience croissante chez une partie des juifs français inquiète Me Klugman, et de nombreux autres, comme Serge et Arno Klarsfeld qui dans Le Monde du 11 juillet 20212 implorent les juifs de « se tenir à l’écart de l’extrême droite ». Klugman s’afflige de « voir des juifs revendiqués le soutenir », d’entendre : « Quand même, il dit quelques vérités »… « Il n’y a rien en dehors de sa naissance qui rattacherait Éric Zemmour au judaïsme », déplore-t-il.

Me Klugman est aussi membre du comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et a présidé l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Au Parti socialiste, il a joué un rôle éminent à la mairie de Paris de 2014 à 2020 comme adjoint aux relations internationales. Ce proche de l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë puis de la maire actuelle Anne Hidalgo a été en 2015 l’artisan en sous-main de l’opération vivement contestée « Tel-Aviv–Plage ». Figure du camp des partisans plus ou moins fatigués d’Israël, il affiche son antiracisme historique — il fut membre de l’association SOS Racisme — et sa répulsion face à l’islamophobie galopante d’une partie de l’opinion, y compris juive. Le contraire de son confrère Gilles-William Goldnadel, islamophobe patenté et militant pro-colonies acharné qui penche de plus en plus nettement en faveur de Zemmour.

Le billet d’humeur de Klugman est bien envoyé, car il touche une corde sensible. Lui, moi, plusieurs de mes proches avons des parents, des relations qui, bien que juifs, ne sont pas dérangés par l’idée de voter Zemmour, bien au contraire. Disputes, tensions ou soupirs un peu lâches, toute une branche des juifs de France se cache le visage de honte en apprenant que l’une ou l’autre vante « les bonnes idées » du non-déclaré nauséeux. En exprimant leur soutien à Zemmour dans le cercle familial et communautaire, un nouveau pas est franchi, sans que l’on puisse dire avec certitude s’il s’agit d’un feu de paille ou d’une secousse tellurique profonde.

C’est en soi une nouvelle assez déprimante. Mais la consternation ne doit pas faire oublier que cela ne date pas d’hier. Plus de 1 200 personnes avaient payé pour assister à la conférence de Zemmour se livrant à un éloge appuyé du pétainisme dès 2016 à la grande synagogue de Paris, rue de la Victoire, en compagnie du grand rabbin Gilles Bernheim : une onction partielle lui avait déjà été fort malencontreusement accordée.
« La dernière chance avant l’exil »

Abreuvés de CNews et « d’informations en continu » par des chaînes promptes à faire la part belle au supposé candidat, souvent retraités (mais pas toujours), les supporters juifs de Zemmour sont sortis du bois depuis que la sauce monte dans les médias — leurs médias. Connaissant sans doute parfaitement la sociologie de son audience, Noémie Halioua, rédactrice en chef au bureau parisien d’I24news, la chaîne pro-israélienne de Patrick Drahi a fait une forme d’allégeance sur le site de Causeur, le magazine d’extrême droite d’Elizabeth Lévy, le 27 septembre. « Depuis plusieurs semaines, à la fin de la prière dans les synagogues consistoriales, la confrontation des idées tourne à l’affrontement voire à l’insulte. Au “T ’as pas honte ? Tu veux voter pour un pétainiste ?!” s’oppose un “Zemmour est notre sauveur, celui que Dieu a mis sur notre route pour nous défendre !” », écrit la journaliste. Pour beaucoup de juifs d’Afrique du Nord issus des milieux populaires, poursuit-elle, « Zemmour incarne “la dernière chance” avant l’exil. Un rempart à la disparition, la perspective d’une vie nouvelle possible qui vaut bien de fermer les yeux sur quelques excès ». Fermer les yeux, tout est dit en somme.

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