« Mort lente » : Israël ouvre les barrages et inonde les cultures de Gaza avant la récolte

samedi 22 février 2020

Pendant cinq mois, des agriculteurs palestiniens comme Naim al-Khaissi ont cultivé et irrigué leurs terres dans la bande de Gaza assiégée, en attendant la fin du mois de janvier pour récolter les légumes des terres agricoles situées à l’est, près de la barrière de séparation avec Israël.

JPEG - 39.8 ko Une vue générale des terres inondées à l’est de Gaza ville (MEE/Mohammed al-Hajjar)

Mais après tout leur dur labeur, les agriculteurs palestiniens se sont réveillés en apprenant que les autorités israéliennes avaient vidé le réservoir d’eau de pluie situé à proximité, inondant de fait les cultures de Gaza quelques jours seulement avant la saison des récoltes.

Selon le ministère palestinien de l’agriculture, l’ouverture des écluses du barrage par Israël a causé des dégâts d’une valeur de plus de 500.000 dollars sur plus de 332 hectares de terres rien qu’en janvier.

Les terres agricoles de la "zone tampon" imposée par Israël près de la barrière de séparation constituent une source de subsistance pour des centaines de familles palestiniennes et sont la principale source des fruits et légumes de Gaza.

L’inondation intervient au milieu d’autres mesures qui, selon les Palestiniens, sont délibérément appliquées par les forces israéliennes pour affecter l’approvisionnement alimentaire du territoire assiégé appauvri et pousser les agriculteurs à quitter leurs terres.

JPEG - 34 ko Le fermier palestinien Naim al-Khaissi inspecte le blé qui a pourri à cause des (MEE/Mohammed al-Hajjar)

Terres agricoles inondées

Khaissi, 75 ans, est agriculteur depuis 1962. Il possédait près de 10 hectares de terres avant 2005, lorsqu’Israël a évacué les colons de la bande de Gaza. Mais il a perdu l’accès à la grande majorité de ses terres tombées dans la zone tampon.

"J’ai grandi comme agriculteur quand mon père et mon grand-père m’ont appris le métier, mais les choses ont beaucoup changé depuis. Nous avons perdu une grande partie de nos terres et pouvons à peine atteindre le reste", a-t-il déclaré à Middle East Eye.

"J’ai planté tellement de sortes de cultures en septembre dernier, notamment du chou, des pommes de terre et des oignons, et j’attendais la fin du mois de janvier pour les récolter. Mais après qu’Israël ait ouvert la réserve d’eau de pluie quatre fois le mois dernier, les cultures ont été complètement détruites".

Pour Khaissi, l’inondation des terres palestiniennes était un acte délibéré.

"Les israéliens ont inondé les terres agricoles à cette époque de l’année, en particulier après s’être assurés que nous mettions tous nos efforts et dépensions beaucoup d’argent pour faire pousser nos cultures et que nous soyons enfin prêts à récolter", a-t-il déclaré.

Khaissi a déclaré avoir perdu plus de 10.000 shekels (2 900 dollars) à cause des dégâts causés par les inondations - mais il se considère chanceux par rapport aux autres agriculteurs.

"J’ai perdu beaucoup moins que mes voisins parce que je n’ai actuellement que deux acres [un peu moins d’un hectare], mais ceux qui ont cinq ou six acres ont perdu une fortune", a-t-il déclaré.

L’agriculteur estime que les pratiques israéliennes - telles que les inondations, le défoncement des terres par les véhicules de l’armée et la pulvérisation d’herbicides chimiques - lui ont coûté plus de 111.000 dollars de dommages depuis 2004.

"Ils font cela systématiquement pour nous forcer à abandonner nos terres et à partir", a déclaré M. Khaissi. "Mais quoi qu’ils fassent, nous ne pouvons tout simplement pas partir. C’est le fait de prendre soin de la terre qui nous maintient en vie".

“Dommages maximum”

Peu après l’inondation des terres agricoles, les agriculteurs palestiniens disent avoir vu des avions israéliens pulvériser des produits chimiques que l’on croit être des herbicides dans la bande de Gaza.

"Nous avons vu des soldats israéliens brûler un pneu près de la clôture pour identifier la direction du vent", a déclaré Aref Shamali, un agriculteur de 40 ans. "Lorsqu’ils ont vu que la fumée soufflait vers l’ouest, ce qui signifie que les produits chimiques pouvaient atteindre de vastes zones à l’intérieur de Gaza et causer un maximum de dégâts, ils ont envoyé le pulvérisateur et ont pulvérisé toutes les cultures".

L’armée israélienne affirme régulièrement que les herbicides sont utilisés pour nettoyer la végétation dans la zone tampon du côté de Gaza de la clôture afin d’avoir une vue plus claire de la zone à des fins militaires. Mais les Palestiniens affirment que cette politique inflige des dommages importants aux habitants de Gaza.

JPEG - 31.5 ko Aref Shamali montre des pois qui ont pourri à cause de l’inondation des terres agricoles dans l’est de Gaza (MEE/Mohammed al-Hajjar)

"Les produits chimiques et les herbicides qu’ils pulvérisent n’endommagent pas seulement les terres agricoles, ils ont aussi des conséquences catastrophiques si les gens mangent les récoltes pulvérisées", a déclaré Shamali à MEE. "Il y a quelques jours, des représentants du ministère de l’Agriculture se sont précipités sur les marchés où certains agriculteurs vendaient ce que l’on pensait être des cultures pulvérisées, et ont détruit tous les produits avant que les gens les achètent".

Shamali et ses frères possèdent environ 24 hectares de terres, dont la quasi-totalité a été endommagée avant la récolte de janvier, causant une perte estimée à 20.000 dollars.

"Aucun agriculteur n’a eu de chance ou n’a été en sécurité", a-t-il déclaré. "Ils [les Israéliens] prétendent qu’ils ne font que pulvériser des pesticides, mais qui est assez naïf pour croire qu’ils prennent soin de nos terres agricoles gratuitement ?

"Cette zone nourrit presque tous les résidents de la ville de Gaza, c’est pourquoi ils la ciblent toujours", a ajouté Shamali. "Ils veulent déplacer les agriculteurs et leur prouver que leurs efforts n’en valent pas la peine".

Effets à long terme

L’expert palestinien en agriculture et environnement, Nizar al-Wahidi, affirme que les dommages causés par Israël à l’agriculture palestinienne ont des conséquences politiques, économiques, environnementales et sociales.

Selon lui, les produits chimiques pulvérisés abîment non seulement les cultures, mais aussi le sol, nuisent aux agriculteurs et aux animaux et polluent les eaux souterraines.

"Même s’ils [Israël] veulent pulvériser du parfum [à Gaza], ils n’ont pas le droit de le faire sans coordonner avec la partie affectée pour convenir mutuellement de la substance, de sa quantité et de la façon dont elle est pulvérisée", a-t-il déclaré au MEE. "Pourquoi ne se coordonnent-ils pas au moins avec la Croix-Rouge pour que les agriculteurs et leurs enfants ne soient pas touchés ?

L’expert a déclaré que le contenu exact et l’impact des pesticides restaient difficiles à déterminer.

"Nous ne pouvons pas déterminer dans quelle mesure ces produits chimiques sont toxiques. De tels examens nécessitent des appareils qui ne sont pas disponibles dans la bande de Gaza, et Israël interdit strictement toute tentative d’envoyer ces substances hors de Gaza pour examen", a-t-il déclaré. "Le processus est très compliqué".

Bien que la corrélation n’ait pas été officiellement établie, les agriculteurs palestiniens accusent les produits chimiques des problèmes de santé auxquels ils sont confrontés depuis des années - et ont exprimé la crainte que de telles conséquences négatives puissent également affecter ceux qui mangent les produits contaminés.

"Je souffre de problèmes respiratoires chroniques", a déclaré l’agriculteur Ismail Abu Zor, 46 ans, au MEE. "Il y a tellement de raisons pour lesquelles nous avons des problèmes respiratoires. Par exemple, la dernière fois que je travaillais ma terre avec mon fils, les soldats israéliens ont tiré une grenade lacrymogène juste entre nous deux. Nous n’avons rien fait de mal, ils voulaient juste que nous arrêtions de nous occuper de nos cultures dans le secteur".

Il a déclaré que les soldats israéliens déployés le long de la zone tampon ouvrent souvent le feu sur les agriculteurs pour les empêcher de travailler.

"Vous n’avez pas besoin de marcher près de la clôture ou de les attaquer pour être pris pour cible ; tailler un arbre peut être une raison suffisante pour qu’ils vous tirent dessus", a déclaré Abu Zor. "Tous les agriculteurs de la bande souffrent des conséquences des pratiques israéliennes qui les prennent régulièrement pour cible, eux et leurs terres agricoles. Leur message est clair : ils ne veulent pas que Gaza dépende de ses propres produits pour rester en vie.

"On peut dire que les habitants sont condamnés à une mort lente".

Source : Middle East Eye
Traduction : MR pour ISM