Nakba : la preuve par « Tantura »

mardi 21 février 2023

« Tantura » est un film documentaire qu’on ne peut pas oublier. Même moi qui écrivis, en 1998, le premier livre de synthèse des travaux des « nouveaux historiens israéliens [1] », sa vision m’a sidéré par le rythme haletant de son alternance de films de l’époque et de témoignages, sans oublier les intervention d’historiens spécialisés.

Quiconque veut comprendre la Nakba palestinienne, 75 ans après, doit absolument voir Tantura, d’Alon Schwarz. Ce n’est pas par hasard que ce documentaire a été invité aux grands Festivals de Sundance aux États-Unis, de Hot Docs au Canada et de Doc Aviv en Israël. Et pourtant il n’a toujours pas de diffuseur commercial en France : merci à Jean-Jacques Grunspan, qui aide les associations à le présenter [2].

Dans la nuit du 22 au 23 mai 1948, huit jours après la déclaration d’indépendance d’Israël, la brigade Alexandroni du Palmah (« Unité de choc ») s’empare de Tantura, un village portuaire prospère de quelque 1 600 habitants arabes, à une trentaine de kilomètres au sud de Haïfa. Après de brefs combats, les soldats rassemblent les habitants palestiniens restés sur place. Ils en assassinent entre 200 et 250 et expulsent les autres vers le village voisin de Fureidis, dont des ouvriers devront venir creuser deux fosses communes et y enterrer les cadavres – à côté de la plage, sous l’actuel parking du kibboutz construit sur la bourgade rasée par des bulldozers.

Dénoncée par les Palestiniens, la tuerie « disparaît » jusqu’à ce que les « nouveaux historiens » israéliens se penchent sur les archives de la « guerre d’Indépendance », qui, conformément à la loi, commencent à s’ouvrir trente ans après. C’est pourtant un des plus meurtriers des 70 massacres perpétrés durant les hostilités de 1947-1949 – dont 3 contre des civils juifs.

Cinquante ans après la tragédie, un étudiant, Theodor (Teddy) Katz, soutient à l’Université de Haïfa, sous la direction du professeur Kais Firro, une thèse de maîtrise qui lui est largement consacrée : elle obtient la note exceptionnelle de 97/100 – et, en 1999, il y décroche même un diplôme d’habilitation à diriger des recherches. Il faut dire que ce quadragénaire, natif de la ville et membre du kibboutz Magal, lui-même bâti sur les ruines d’un village arabe, a passé deux ans à recueillir 135 témoignages oraux sur les événements, pour moitié juifs et pour moitié arabes : au total plus de 140 heures d’enregistrements réalisés au domicile de chaque interviewé ! Contradictoires, ceux-ci ne laissent cependant aucun doute : des combattants juifs ont bien perpétré, dans le village qu’ils contrôlaient depuis le matin, un terrible massacre – terme que, toutefois, la thèse n’utilise pas. L’auteur évalue le nombre de victimes à 220, dont 20 pendant les combats et 200 après – des prisonniers tous désarmés…

Le scandale éclate lorsque, le 21 janvier 2000, le quotidien à grand tirage Maariv publie un article d’Amir Gilat fondé sur les travaux de Katz et intitulé « The Exodus of the Arabs from the Villages at the foot of Mount Carmel ». Peu après, un groupe d’anciens de l’Alexandroni poursuit l’étudiant en diffamation. Le procès s’ouvre en décembre de la même année. Selon ses accusateurs, Katz aurait utilisé des citations erronées et, pour certaines, contradictoires. Non seulement la juge n’appelle aucun témoin à la barre pour les confronter à leurs déclarations, mais – comme elle le reconnaît dans le film – elle refuse que le tribunal écoute les enregistrements réalisés par l’étudiant.

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