le voyage d’Abbas chez Gantz était plus qu’une question d’argent

mercredi 12 janvier 2022

Amira Haas / Haaretz

JPEG - 75.1 ko

Même si l’objectif d’Abbas lors de sa rencontre avec Gantz était purement diplomatique, les bonus économiques promis, s’ils se concrétisent, sont importants pour la survie de la direction palestinienne.

Mahmoud Abbas ne s’est pas rendu chez le ministre de la défense Benny Gantz pour entendre parler de gestes économiques et humanitaires, qui ont de toute façon déjà été convenus lors de réunions à un niveau inférieur. Il ne s’y est pas non plus rendu pour entendre parler des mesures que la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international recommandent à Israël de prendre depuis des années. C’est ce qu’a déclaré un responsable de l’OLP avant d’être informé des détails de la réunion. Ce responsable était convaincu, au vu du caractère et du comportement d’Abou Mazen (Abbas), que le président palestinien s’est donné la peine de se rendre chez Gantz pour discuter de questions politiques et diplomatiques.

La question est de savoir s’il s’est rendu sur place parce que la partie israélienne avait promis à l’avance que des progrès seraient réalisés sur le plan diplomatique, ou s’il a voulu faire passer un message politique qui semble plus crédible et résolu lorsqu’il est délivré directement, lors d’une rencontre en face à face, et non sous la forme d’un rapport médiatique. Compte tenu des politiques de droite du gouvernement israélien, il est difficile de croire que la réunion ait pu inclure un message diplomatique à l’intention des dirigeants palestiniens, qui s’inquiètent de leur position et de leur existence même. Il est plus probable qu’Abou Mazen soit venu à cette réunion pour délivrer un message indiquant que la situation est au bord de l’explosion : Vous pouvez me parler, et je suis toujours dans un rôle et une position qui pourraient faire avancer le processus diplomatique afin d’éviter une explosion. Mais le temps presse, et une explosion ou un changement de position est imminent.

Le problème, c’est que ce message est exprimé par Abbas et ses associés tous les quelques mois, voire plus fréquemment, et que le public palestinien a cessé de prendre ses avertissements au sérieux. C’est ce même public qui, à 75 %, demande la démission d’Abbas, selon le dernier sondage du Palestinian Center for Policy and Survey Research. Il est très probable que les dirigeants palestiniens considèrent Gantz comme le seul haut responsable de l’actuel gouvernement de droite susceptible de prêter attention à ces avertissements. C’est pourquoi Abbas a fait ce geste et a pris un autre risque pour son image en se rendant chez quelqu’un qui, aux yeux des Palestiniens, est un criminel de guerre responsable de la mort de milliers de Palestiniens.

Les conjectures concernant l’essence de la réunion sont liées à une autre réunion, tenue dans le bureau d’Abbas à Ramallah il y a une semaine. Il avait invité une centaine d’universitaires - intellectuels, écrivains, journalistes et représentants de la société civile palestinienne. L’un des invités a déclaré à Haaretz que l’on s’attendait à ce qu’il délivre un message important sur les affaires internes et politiques palestiniennes. Mais à la surprise générale, il s’est longuement étendu sur les origines des Juifs ashkénazes (des Khazars qui se sont convertis au judaïsme, selon lui) et sur les différences entre les Ashkénazes et les Mizrahim, les Juifs des pays arabes et islamiques. Selon cet invité, à un moment donné, Abbas a déclaré qu’il en avait assez du gel diplomatique et que le Conseil central de l’OLP se réunirait dans deux mois afin de prendre des décisions cruciales. Dimanche dernier, le ministre palestinien des Affaires étrangères, Riyad al-Maliki, a réitéré la même promesse/alerte. Dans une interview qu’il a accordée à la station de radio officielle Voix de la Palestine, il a déclaré que la direction palestinienne n’attendrait pas beaucoup plus longtemps étant donné qu’Israël se distancie des accords qu’il a conclus, et qu’à la fin du mois de janvier, le Conseil central se réunirait et prendrait des résolutions importantes. Il n’a pas détaillé ce que celles-ci pourraient être, mais ce même conseil a décidé en octobre 2018 de ne plus respecter les engagements pris dans le cadre des accords d’Oslo, en raison de la poursuite de la construction dans les colonies. Cette décision n’a jamais été mise en œuvre.

Un jour après l’interview, al-Maliki a rencontré ses homologues jordanien et égyptien au Caire, afin de discuter de l’impasse du processus diplomatique entre Israël et les Palestiniens et des moyens de la surmonter. Un communiqué officiel publié à l’issue de la réunion indiquait qu’"une option pour ouvrir un nouvel horizon politique a été discutée, une option qui permettrait d’atteindre une solution globale et juste... basée sur deux États dans les frontières du 4 juin 1967." Les médias palestiniens ont rapporté que les Américains ont considéré cette réunion d’un œil favorable.

Ce n’est pas un hasard si l’expression "horizon politique" est apparue dans un tweet de Hussein al-Sheikh, chef de l’Autorité générale des affaires civiles, qui a également participé à la réunion du Caire ainsi qu’à celle qui s’est tenue chez Gantz. Majed Faraj, le chef des services de renseignements généraux palestiniens, était également présent à cette dernière réunion. Malgré leur caractère vague et formel, ces déclarations soulignent la nature diplomatico-politique de la réunion avec Gantz, du moins en ce qui concerne les Palestiniens. Cela contraste avec la nature économico-paternaliste de l’assouplissement des restrictions qui a été soulignée dans les rapports israéliens. "La réunion est un défi et une dernière chance avant une explosion, avant que nous nous retrouvions sur une route sans issue", a tweeté al-Sheikh. "C’est une démarche sérieuse et audacieuse, une tentative d’ouvrir une voie diplomatique fondée sur la légitimité internationale, qui mettra fin aux actes d’escalade contre le peuple palestinien." Dans un autre tweet, al-Sheikh a déclaré que "l’importance de créer un horizon politique qui conduirait à une solution a été discutée."

La formulation est suffisamment vague pour que les lecteurs palestiniens puissent en déduire qu’un accord a été trouvé par les deux parties pour ouvrir une telle voie, ce qui indique que des progrès ont été réalisés. Le journaliste Mohammed Daraghmeh de l’agence de presse Asharq a donné des détails, basés sur des rapports qu’il a entendus de la part de hauts responsables palestiniens, sur les demandes faites par les Palestiniens lors de la réunion. Il s’agit notamment du rétablissement de l’autorité palestinienne en matière de sécurité sur les villes, telle qu’elle existait avant la deuxième intifada (à savoir, limiter les raids militaires israéliens dans la zone A), de l’extension de la zone dans laquelle l’Autorité palestinienne a compétence en matière de sécurité (à savoir, un renouvellement du processus par lequel les FDI se redéploient, transférant des zones de la catégorie B, où l’Autorité a l’autorité pour planifier et construire, sans autorité en matière de sécurité, à la catégorie A), et du retour du personnel de sécurité de l’Autorité palestinienne au passage du pont Allenby en Jordanie. Daraghmeh a souligné que ces responsables ne prédisent pas une percée diplomatique. Ils ont ajouté que Gantz, qui a parlé d’instaurer la confiance, n’a donné aucun signe de retour à la voie diplomatique à ce stade.

Après la réunion, les responsables palestiniens ont laissé les Israéliens rendre compte en premier lieu des gestes et de l’assouplissement des restrictions, principalement de l’octroi du statut de résident à 6 000 conjoints de Palestiniens dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, et de l’augmentation du nombre de permis de voyage pour les hommes d’affaires et les personnalités de l’Autorité palestinienne. Dès dimanche, le vice-ministre des affaires civiles, Ayman Qandil, a déclaré publiquement aux militants du mouvement prônant la réunification des familles palestiniennes que d’ici la fin de la semaine, ils entendront parler d’une longue liste de personnes ayant obtenu le statut de résident. Cela indique l’existence d’accords préalables entre les parties sur des questions importantes pour les Palestiniens, qui, si Israël avait respecté les accords d’Oslo, ne seraient jamais devenues un sujet de discussion entre le président et le ministre de la défense.

Une enquête menée en décembre par le Center for Policy and Survey Research a révélé que, malgré la mauvaise image du Fatah et d’Abbas, 60 % des personnes interrogées étaient intéressées par des mesures de confiance avec Israël, qui amélioreraient leurs conditions de vie quotidiennes en Cisjordanie et à Gaza. Ainsi, même si l’objectif d’Abbas lors de cette réunion était purement diplomatique, les bonus économiques promis, s’ils se concrétisent, sont essentiels à la survie de la direction palestinienne qu’il dirige. C’est un message auquel non seulement Gantz, mais aussi d’autres ministres, peuvent s’identifier.

Traduction : AFPS

Lire l’article ICI.