En Cisjordanie, les derniers bergers de la vallée de Humsa

mardi 20 avril 2021

Dans la vallée du Jourdain, les habitants du lieu-dit de Humsa al-Bqai’a ont été visés par les autorités israéliennes à plusieurs reprises. Toute une communauté est menacée d’expulsion.

JPEG - 134.3 ko Photo : Wafa

La citerne vert émeraude luisait en contrebas du campement de la famille Abou al-Kabash. Luisait, parce qu’elle a été confisquée le 22 février dernier par les autorités israéliennes, sous les yeux de Nitham, qui contemplait, impuissant, le désastre : « Les soldats ont vidé l’eau, puis emporté les citernes. Nous n’avons plus de réservoir, ni pour nous, ni pour les bêtes. Pour l’instant, ça va encore, c’est l’hiver. Mais cet été, comment va-t-on faire ? » L’homme, 31 ans, a grandi dans cette vallée. Il parle, la voix calme, le ton égal, assis à même la terre qu’il se refuse à quitter.

La citerne était le bien le plus précieux des Abou al-Kabash. Avec la famille Abou al-Awawdeh, elle vit dans le lieu-dit de Humsa al-Bqai’a, une communauté de bergers d’une centaine de personnes, au cœur des basses terres de la vallée du Jourdain.

En mars, c’est encore l’Écosse en pleine Palestine. Les collines sont couvertes d’une herbe tendre au milieu de laquelle coulent de petits ruisseaux. Mais, bientôt, les rayons du soleil frapperont de toutes leurs forces, et transformeront la belle vallée en désert aride. Alors, il n’y aura plus rien à boire. Pourtant, un puits se trouve à quelques centaines de mètres du hameau. Mais cette eau est interdite à ses habitants. Exploitée par la compagnie nationale Mekorot, elle est destinée aux colonies de la région, qui abritent quelque 11 000 personnes, selon l’ONG israélienne B’Tselem.

La confiscation de la citerne était le dernier acte d’une série de pressions qui a commencé le 3 novembre 2020. Ce jour-là, les soldats détruisent méthodiquement les campements, dans la plus importante entreprise de démolition en Cisjordanie depuis 2016, selon l’OCHA, l’agence des Nations unies chargée de la coordination humanitaire.

Des tentes, des lits, des panneaux solaires, les abris pour les bêtes, les bâches pour le fourrage sont démontés, détruits ou enlevés. Les trois quarts de la communauté, soit 70 personnes, dont 40 enfants, se retrouvent sans ressources alors que le froid arrive. Les hivers, dans la vallée du Jourdain, sont aussi rigoureux que les étés sont ardents. Un vent puissant fouette les collines. Les averses transforment la terre sèche en une boue aussi collante que fertile.

« C’était dur. Nous avons reçu des équipements de la part de la communauté internationale, mais nous avions peur que l’armée débarque à tout moment pour tout casser. Les enfants manquaient de vêtements, et les bêtes, à cause du froid et de l’humidité, sont tombées malades. Toute une saison a été perdue », explique Nitham, 31 ans.

Le temps passe. Les autorités israéliennes menacent, passent régulièrement, sans intervenir. Mais au mois de février, elles reviennent à cinq reprises, démolissant et confisquant toujours un peu plus – jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. À chaque fois, les communautés se déplacent et sauvent ce qui peut l’être, un peu à l’écart, laissant les ruines du campement précédent frémir sous les rafales de vent, souvenirs d’une vie précaire, sans cesse menacée par les démolitions, qui peuvent arriver demain, dans deux semaines, dans deux ans.

Quelques restes émergent, ici et là : un poêle en fonte, un canapé. Un chiot se gratte la nuque, dans un jerrycan de fer-blanc qui lui sert de niche. Des volontaires, ONG ou individuels, apportent du matériel – vêtements, tentes, chaussures – en espérant que celui-ci ne soit pas saisi dans l’heure.

Ces Palestiniens vivent pourtant en Cisjordanie, sur un terrain qu’ils louent 1 500 shekels (un peu moins de 400 euros) par an à des propriétaires, eux aussi palestiniens. Mais Humsa al-Bqai’a, depuis les accords d’Oslo, se trouve en zone C, un territoire géré par l’État hébreu, plus précisément par l’Administration civile, une agence israélienne qui dépend du ministère de la défense.

Plus encore, le site a été décrété zone militaire – la n° 903, pour être précis. Il est interdit de construire ici, maison, tente ou simple barrière, à moins de disposer d’un permis presque impossible à obtenir quand on est palestinien. Entre 2016 et 2018, seules 21 demandes sur 1 485, soit 1,41 %, ont été approuvées en zone C, selon l’ONG israélienne Bimkom. Et ladite zone couvre 90 % de la vallée du Jourdain.

Ces difficultés administratives ne semblent pas se poser pour les colonies israéliennes qui se trouvent à l’entrée de la vallée, en fermant presque l’accès, avec leurs cultures luxuriantes, abritées par des serres. Beka’ot, fondée en 1972, a étendu son territoire de quelque 70 000 mètres carrés dans la zone du camp d’entraînement militaire entre 2004 et 2020.

Autour de Hemdat, habité en continu depuis 1997, sont placées des barrières pour protéger les 10 000 moutons des colons, selon Bashar Majed Bani Odeh, un notable palestinien de la vallée du Jourdain. Or, la colonie est située entre une réserve naturelle et le champ d’entraînement, où même planter un piquet nécessite une autorisation.

La famille Abou al-Kabash a tenté un recours par la voie juridique. Leur avocat, Tewfiq Jabbari, raconte une longue bataille judiciaire où Kafka semble emprunter à Orwell : « J’ai déposé sept plaintes pour eux, la première en 2012. On commence par contester les ordres de démolition, en demandant de pouvoir au moins déposer des permis de construire, ce que l’Administration civile refusait jusqu’à maintenant. On obtient de pouvoir les déposer et ils sont refusés. En 2017, on soumet un plan détaillé pour légaliser l’existence de la communauté au sein même de la zone militaire – comme Israël le fait avec ses colonies. En 2019, la cour déclare qu’elle ne peut se prononcer et qu’il faut voir avec les autorités militaires. Je retire la plainte pour m’adresser à l’armée, mais ce recours a été rejeté en octobre 2020. Quelques jours après, Humsa al-Bqai’a était démoli. J’ai déposé une nouvelle plainte en février dernier, pour légaliser l’existence de trois campements construits hors de la zone militaire, mais en zone C. Au passage, j’ai demandé la démolition d’avant-postes de colons israéliens, construits dans cette même zone, la 903 – donc illégaux, au regard de la loi israélienne. »

Pour faire bonne mesure, la Cour suprême a ordonné de suspendre la démolition de ces campements construits en dehors de la zone C.

La loi israélienne n’est pas la seule à être contredite. « La pression qui s’exerce sur Humsa al-Bqai’a est sans précédent. La communauté entière risque d’être déplacée, ce qui est une violation très grave du droit international », s’inquiète un cadre d’une organisation humanitaire. Israël, en tant que puissance occupante, ne peut transférer de force la population civile d’un territoire occupé, quel que soit le motif.

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