Myriam Harry et la Méditerranée


Mardi 25 avril 2017- Conférence dans l’amphithéâtre de la Villa Méditerranée
Avec Cécile CHOMBARD GAUDIN, ingénieur d’études CNRS à la MMSH
GEOPOLITIQUE - En partenariat avec Euromed-IHEDN

Voyageuse intrépide, Myriam Harry parcourt le Maghreb et le Moyen Orient dans le premier XXe siècle. On verra comment son enfance dans la Jérusalem ottomane a marqué son approche des religions et des cultures. On la suivra dans ses écrits où affleurent les conflits entre Français et Anglais au Moyen Orient, entre colonisés et colonisateurs, entre hommes et femmes autour de la Méditerranée. Appelée par le Général Gouraud en Syrie-Liban en 1919, elle y séjourne près de trois ans et fera plusieurs voyages dans tout le Moyen Orient par la suite dans les années 1930. Sa connaissance de l’arabe lui facilite les contacts. Elle rencontre le roi Fayçal d’Irak, l’émir Abdallah de Transjordanie, futur roi de Jordanie, le président de la Syrie. Elle nous parle des Kurdes, des Yézidis. Elle mène une enquête sur les colons juifs. Même si elle n’a été ni une militante politique, ni une militante féministe, on lit ses convictions entre les lignes.

Horaire : 19h
10 €/ Accès gratuit pour les membres d’Euromed-IHEDN et les étudiants.
Par mail à entretiens.euromed.ihedn@wanadoo.fr
Par téléphone au 06 34 19 28 79


Myriam Harry (Jérusalem, 1875 - Neuilly-sur-Seine, 1958)

Myriam Harry naquit en 1875, dans l’empire ottoman, à Jérusalem. Son père, israélite russe, après un séjour en Inde, prit la nationalité anglaise et devint missionnaire anglican, puis antiquaire. Sa mère, une diaconesse allemande, était la nièce du fondateur de cet ordre luthérien, Théodore Fliedner.
JPEG - 38 ko Ci-dessus : Illustration de Renefer, extraite de Siona à Paris, le livre de demain, ed. Arthème Fayard et Cie, 1928.

Elevée dans une école anglaise, Myriam apprit le latin avec un pasteur allemand et le français avec une religieuse maronite. Déracinée après la mort de son père, elle fit des études à Londres et à Berlin, mais choisit la France à partir de t892. A Paris, elle étudia l’arabe aux Langues Orientales et vécut de traductions et de leçons.

C’est un conte, Noël à Bethléem, publié dans La Fronde journal de femmes dirigé par la célèbre féministe, Marguerite Durand, qui la lança dans la littérature. Il fut suivi d’autres contes d’Orient. Passage de BéckJuins, remarqué par un lecteur de la maison d’édition Calmann-Lévy, Marcel Schwob, fut publié en 1898. A cette époque, Jules Lemaître normalien, écrivain dramaturge et critique littéraire incontesté depuis sa conférence sur Racine, membre de l’Académie Française, chroniqueur de la Revue Bleue et de la Revue des Deux Mondes, faisait et défaisait les réputations. Touché par ce récit qui remuait en lui des nostalgies d’Orient, car il avait enseigné à l’École supérieure d’Alger de 1880 à 1883, il encouragea la "mince jeune fille très blonde aux yeux et au drôle d’accent" à poursuivre dans cette veine, lui conseillant d’être simple et naturelle. Commença alors une longue et fidèle amitié qui ne se dénoua qu’à la mort de l’académicien en 1914. Lui, qui signait ses lettres à la "petite Sularnite" le vieux "Taleb", accepta d’écrire un pendant féminin aux Contemporains, afin de la placer "dans le chœur des brillantes Dionysiaques qui, depuis quinze ans, ont victorieusement envahi la poésie et le roman, comme l’une des plus singulières et venue de fort loin, à notre langue et à notre littérature".

D’un long voyage en Indochine et à Ceylan, Myriam tira plusieurs œuvres, mi-roman, mi-­reportage : l’île de volupté et Petites épouses. A son retour, elle apprivoisa le farouche J-K. Huysmans dans sa retraite religieuse. En 1904, elle publie La conquête de Jérusalem. Cette biographie romanesque de son père, un original érudit, brouillon, archéologue naïf et bientôt ruiné, est proposée pour le Goncourt par Huysmans, qui appelle avec humour son auteur "un Pierre Loti mâle". Le livre est en effet considéré comme un "livre d’homme" par la critique. Mais à la place, elle obtient le 28 février 1905, le prix du journal La vie heureuse, qui vient d’être créé par Mme de Broutelles et qui deviendra le prix Fémina. Le jury, présidé par Anna de Noailles, très admirative, comprend "vingt amazones bleues", selon l’expression de Huysmans, dont Judith Gautier, Rachilde, Juliette Adam et Séverine. José-Maria de Heredia, l’auteur des Trophées lui commande des contes et des nouvelles à paraître en feuilleton pour Le Journal qu’il dirigeait. Ses confrères journalistes la surnomment gentiment "petit lion", à cause de sa chevelure mousseuse en crinière. Très en vogue, elle fréquenta les salons littéraires, celui d’Anna de Noailles, puis de Nathalie Clifford-Barney ou de Mme Philippe Berthelot, se liant avec la romancière Lucie Delarue-Mardrus, épouse du Dr Mardrus, l’orientaliste, traducteur célèbre des Mille et une Nuits. En 1904, elle rencontre Emile Perrault (1878-1938) sculpteur-animalier, élève de Frémiet, fils du peintre de genre, Léon Perrault, et l’épouse l’année suivante. C’est dans le salon de Mme de Caillavet, égérie d’Anatole France que se noue son destin. Attentive aux jeunes talents, celle-ci patronne le sculpteur auprès du Conseil supérieur des Beaux-Arts, qui lui accorde une bourse de voyage. C’est Myriam Harry qui choisit la Tunisie. Le directeur du quotidien Le Temps lui demande de lui envoyer chaque quinzaine "une chronique, un récit de voyages, trois cent lignes colorées, anecdotiques, pas trop de descriptions". il y en aura pourtant beaucoup dans ses livres à venir car la grande aventure d’amour avec ce pays a commencé. "Qu’il est loin, qu’il est oublié notre sévère Orient asiatique devant la révélation subite de ce gracieux Orient d’Afrique, tour à tour colonie phénicienne, préfecture latine, province de Byzance, état castillan et où il subsiste encore en dépit de l’Islam et des siècles, quelque chose de la majesté romaine et du sourire hellénique" (in Tunis la blanche).

Cette Tunisie enchantée (1932) l’enchantera à jamais, bien qu’elle reste lucide. Introduite à l’hôpital Siddiqi par sa directrice et médecin-chef, elle donne des descriptions sans complaisance des misères physiques et psychiques. Elle se perfectionne en arabe grâce aux leçons d’un interne tunisien. Gabès lui inspire des pages poétiques et sa vie de garnison, des aperçus pittoresques, même si le roman La divine chanson (1925) se termine tragiquement
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Mais son roman le plus remarquable reste, après La petite fille de Jérusalem, quasi­autobiographique, celui des amours de Madame Petit-jardin et d’un Français, au cœur de la medina de Tunis. Il se conclut sans drame, avec désinvolture, mais infiniment de nostalgie. Le héros a-t-il aimé Lalla Janina ou plus encore le charme oriental ? "Je savais bien, ô Tunis, héritière de Carthage, que nous t’aimerions pour toi ! Tunis, la blanche, la rayonnante avec ses coupoles de neige, ses minarets d’ambre pâle, ses toits plats d’argent, ses bulbes en émail vert, de ci, de là, un palmier rêveur, un cyprès noir et immobile, posté comme un gardien jaloux à côté d’une clarté. Tunis s’étend devant nous, déferle vers la mer ... "

A Ceylan, Madagascar, aux Comores, en Perse, en Égypte, elle sera le correspondant de nombreux quotidiens et revues : Revue de Paris, Revue Bleue, la Grande Revue, Paris-Soir, l’Intransigeant, Candide. De ses périples elle tirera des livres (une quarantaine) Princesse Turquoise, Femmes de Perse, Jardins d’Iran. En 1911, elle "couvre" parmi d’autres correspondants, le voyage du président Armand Fallières, venu à Tunis sur le croiseur La Vérité, et le suit dans son périple : Bizerte, Sfax, El-Djem. D’un reportage de Bagdad au Caire, de Tripoli à Istanbul, publié dans l’Intransigeant en 1931, elle composera Les derniers harems.

Puis elle écrit des biographies : après celle de Cléopâtre en 1934, celle de ses amis, Anatole France, Lucie Delarue-Mardrus et surtout celle de Jules Lemaître en 1946. Son long et indéfectible attachement à la France lui vaut de recevoir la Légion d’Honneur. A son tour, "la petite Hyérosolymitaine"(3) de Huysmans est devenue membre du Prix Femina.

Avant la guerre de 1914, dans sa maison de Neuilly-sur-Seine, près de l’île de la Jatte, dans un jardin luxuriant, elle reçoit, autour d’un couscous tunisien ; "une bohème exotique" dixit Jules Lemaître, toujours fidèle. Lors de ses soirées orientales, elle accueille ses amis de sa voix rauque et mélodieuse, costumée en almée, une amulette au cou, dans l’amoncellement des tapis précieux, des sculptures animalières de son mari et des toiles de son fils adoptif, Faouza, qui descend d’un prince syrien.

Mais nostalgique, solitaire et presque oubliée au fond de son jardin devenu à demi sauvage, à sa table de travail jusqu’au dernier jour, sous les voiles de mousseline grise dont elle s’enroulait pour flâner à son aise dans les bazars, les souks et les médinas, elle s’éteint le 13 mars 1958.

Annie Krieger-Krynicki
Maître de conférences a l’université de Paris IX-Dauphine


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