En Israël, Netanyahou ne cède rien malgré les remous provoqués par la loi sur l’Etat-nation juif
La Knesset a beau débattre, les Druzes manifester, les intellectuels critiquer et les Arabes-Israéliens porter plainte, le gouvernement de Benjamin Netanyahou continue de défendre une loi fondamentale que la plupart des observateurs jugent raciste et discriminatoire.
Malgré les critiques des intellectuels, de l’opposition de gauche ou de la diaspora juive dans le monde, Benjamin Netanyahou ne plie pas. Alors que cinquante-deux députés de la Knesset (sur cent vingt) avaient convoqué une session exceptionnelle au Parlement ce mercredi 8 août pour débattre de la loi sur l’État-nation juif, qui sanctuarise le caractère exclusivement juif d’Israël, le premier ministre n’a même pas pris la peine de se déplacer pour défendre le texte adopté le 19 juillet dernier, mais qui continue de provoquer des remous en Israël et à l’étranger.
Durant cette séance extraordinaire, Tzipi Livni, l’ancienne ministre des affaires étrangères de centre droit et actuelle leader de l’opposition, s’est montrée particulièrement éloquente, en accusant Netanyahou d’avoir trahi le texte fondateur de la Déclaration d’indépendance d’Israël de 1948 qui « assure l’égalité complète et les droits politiques et sociaux de tous ses habitants, quel que soit leur religion, leur race ou leur sexe ». Selon elle, le chef du gouvernement « dissout le ciment de la société israélienne avec son acide empoisonné ». Pendant son intervention, des militants de son parti, l’Union sioniste, ont brandi des copies de la Déclaration d’indépendance avant de se faire expulser.
Malheureusement pour Livni, même si Netanyahou n’a pas daigné lui répondre, un de ses ministres s’en est chargé en rappelant que la première version de cette loi remontait à 2011 et qu’à l’époque, elle avait été signée par une vingtaine de membres du parti qu’elle dirigeait, Kadima. Derrière cette joute oratoire se dissimule une triste vérité : à l’exception des partis de gauche, des Arabes-Israéliens et des Druzes, la plupart des personnalités politiques israéliennes ont contribué, ces vingt dernières années, à un niveau ou à un autre, à l’aboutissement de cette loi « qui révèle la vraie nature d’Israël », à savoir que la judéité prime sur la démocratie.
Le caractère profondément discriminatoire de cette loi fondamentale, c’est-à-dire à valeur constitutionnelle, qui définit Israël comme « l’État-nation du peuple juif », qui ne reconnaît pas les droits des minorités, qui consacre l’hébreu comme langue nationale et relègue l’arabe à un « statut spécial » et qui valide la colonisation en tant que « valeur nationale », est patent pour tous les observateurs. Mais ses promoteurs, qui s’en défendent, ont été pris à leur propre piège, à l’instar de Livni, en “oubliant” la minorité druze. Cette communauté de près de 150 000 personnes parle arabe, sert au sein de l’armée (contrairement aux Arabes-Israéliens musulmans) et est généralement considérée comme « la minorité la plus loyale » à l’État d’Israël.
Or, du fait de la nouvelle loi fondamentale, elle se retrouve reléguée aux marges de l’État, ses membres ayant désormais un statut de citoyen de seconde zone. Se rendant compte de son « erreur », le gouvernement Netanyahou a promis d’amender le texte pour reconnaître un statut particulier aux Druzes. Ce faisant, il a révélé le racisme inhérent à son texte qui établit, selon la formule du député arabe-israélien Ahmed Tibi « un État démocratique pour les Juifs et juif pour les Arabes ». D’ailleurs, lors de la convocation de la première réunion le 6 août d’un comité ministériel chargé de rectifier cette discrimination à l’égard de Druzes, plus de la moitié des ministres n’y ont pas participé, démontrant ainsi leur peu d’intérêt pour la notion d’égalité au sein de l’État.
Les Druzes, qui ont fait connaître leur mécontentement en manifestant massivement le week-end dernier à Tel-Aviv et en s’attirant le soutien de nombreux piliers de la société israélienne (généraux, religieux, avocats, politiciens de tous bords), sont néanmoins confrontés à une épineuse question : tentent-ils d’obtenir une exemption ou un statut particulier dans le cadre de la loi sur l’État-nation juif, ou se battent-ils aux côtés des opposants pour tenter de faire annuler la loi ? Jusqu’ici, les dirigeants de la communauté druze semblent avoir choisi la première option, la plus facile mais la moins morale.
Beaucoup d’intellectuels israéliens ou appartenant à la diaspora juive, et pas uniquement ceux identifiés comme de gauche, n’ont cessé depuis le 19 juillet de se déclarer choqués, salis, humiliés ou blessés par cette loi. Mais, comme le souligne l’écrivain David Grossman dans un texte aussi limpide que concis, « les dernières lois édictées par le gouvernement ne sont pas la moindre des conséquences d’un mode de pensée pervers que cinq décennies d’occupation ont engendré. Elles sont le résultat d’un complexe de supériorité ethnique, de la frénésie de barboter dans je ne sais quel “nous” autojustificateur, nationaliste, de nature à expulser du “foyer” tous ceux qui ne sont pas “nous”, qu’ils soient membres d’un autre peuple, d’une autre religion, ou d’un autre genre ».
À l’appui de ce constat, les sondages effectués depuis le passage de la loi montrent qu’une majorité des Israéliens interrogés la soutiennent. Même si, parmi ceux qui l’approuvent, tous ne la jugent pas nécessaire, et même si certains analystes expliquent que le soutien n’est pas aussi déterminé qu’il n’y paraît, cette législation est le reflet de ce qu’est Israël aujourd’hui : un État décomplexé qui ne cherche même plus à prétendre que les minorités ont des droits équivalents à ceux des Juifs et ni qu’il existe une solution au conflit israélo-palestinien autre que la sujétion complète des Palestiniens, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières.
Mardi 7 août, plusieurs associations défendant les droits des Arabes-Israéliens ont déposé un recours devant la Haute Cour de justice pour faire annuler la nouvelle loi fondamentale. Selon le juriste Hassan Jabareen, qui a rédigé cette requête après avoir examiné les Constitutions de 90 nations, « il n’existe aucune Constitution dans le monde qui exclut l’égalité pour tous, et qui promeut seulement les intérêts de la majorité. En 1983, le régime sud-africain d’apartheid avait rédigé une Constitution qui soulignait que l’Afrique du Sud était le pays des Blancs, des Métis et des Asiatiques, dont le langage officiel était l’anglais. Cette Constitution était un crime contre l’humanité, car elle ignorait les populations noires et indigènes. Aujourd’hui, la loi sur l’État-nation juif est une loi raciste comparable à celles de l’apartheid sud-africain ».
Cet appel à la Haute Cour de justice qui, par le passé, s’est montrée plus attentive aux droits humains et de l’égalité des citoyens que les gouvernements successifs est néanmoins incertain. Cette dernière ne s’est en effet jamais prononcée sur une loi fondamentale et la ministre de la justice, l’ultradroitière Ayelet Shaked, a d’ores et déjà prévenu que si elle se saisissait de la pétition des associations arabes-israéliennes, ce serait « une déclaration de guerre ».
En attendant, soutenu par sa coalition d’extrême droite, par l’administration Trump et par ses nouveaux amis nationalistes d’Europe de l’Est ou d’Inde, Benjamin Netanyahou est parvenu à ses fins : se maintenir au pouvoir en dépit de ses casseroles, tout en bouleversant profondément une société israélienne où les valeurs humanistes, pacifistes et égalitaires sont désormais minoritaires.
8 août 2018 Par Thomas Cantaloube pour Mediapart.
Thomas Cantaloube
Né en 1971. Après de nombreuses années passées aux États-Unis, à Los Angeles, Washington et New York, ainsi que de multiples reportages aux quatre coins de la planète, je suis rentré à Paris en 2008 pour couvrir l’actualité internationale à Mediapart.
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Un poster de Netayahou se reflète dans une vitrine lors d’une manifestation contre la loi sur l’État-nation juif. La pancarte dit : « Le futur de nos enfants est en commun » © Reuters.
Ecouter Thomas Cantaloube lors de l’université d’été de l’AFPS