Film à voir : "This is my Land"
film "This is my Land"
Ce nouveau documentaire explore la manière dont l’histoire du conflit israélo-palestinien est enseignée à l’école
Que se passe-t-il quand l’éducation est utilisée pour empêcher le monde de changer, au lieu de l’encourager ? C’est la question que pose la réalisatrice israélienne Tamara Erde dans son nouveau documentaire This is My Land qu’elle vient de terminer.
This is My Land explore la façon dont l’histoire du conflit israélo-palestinien est présentée et enseignée dans différents systèmes scolaires, aussi bien israéliens (écoles publiques, arabes ou religieuses) que palestiniens.
À travers des portraits captivants de différents enseignants interviewés et filmés dans leur classe au cours de l’année 2013, This is My Land s’efforce de fournir un nouveau point de vue sur le conflit et en examine ses racines.
Le film a été produit par ILIADE & FILMS - SAYA, Tatiana Bouchain, Oury Milshtein, et Julien Loron.
[*Tamara Erde, apprendre et enseigner au cœur du Proche-Orient*]
Entretien de Thomas Vescovi, Conseil national de l’AFPS, mardi 8 mars 2016
Réalisatrice israélienne, Tamara Erde signe son premier long-métrage sous la forme d’un documentaire nommé This is my Land. Annoncé pour le 20 avril dans les salles de cinémas françaises, le film a déjà obtenu un succès d’estime puisqu’il a été présenté au Festival du Film International de Toronto, et diffusé sur la BBC arabe et France 3. Diplômé de l’Ecole des Beaux Arts de Bezalel, à Jérusalem, puis de l’école française des arts contemporains Le Fresnoy, les sujets abordés dans ses créations touchent généralement aux thématiques proches-orientales. Avec This is my Land, elle s’intéresse aux systèmes éducatifs israéliens et palestiniens, et nous plonge au cœur de six écoles, deux juives israéliennes, dont celle de la colonie d’Itamar, deux palestiniennes, et une école mixte située dans le village de Neve Shalom. Au-delà de l’importance du sujet abordé dans le film, l’entretien permet également de saisir les obstacles que la réalisatrice a pu rencontrer, et faire le point avec elle sur les éventuelles perspectives qu’elle a pu saisir au cours de ces mois d’enquête.
Pouvez-vous expliquer l’objectif du film ?
J’ai souhaité mettre en lumière un aspect assez peu évoqué dans le conflit israélo-palestinien, qui est celui du rôle des systèmes scolaires respectifs. Ont-ils pour vocation de former les futurs acteurs d’une résolution du conflit ? Quels rôles jouent-ils dans ce conflit ? L’éducation est l’outil essentiel du futur, et ayant grandi en Israël, j’ai l’impression que cet outil est peu, ou mal utilisé. J’ai voulu m’interroger sur les marges de manœuvres d’un professeur pour aller vers un changement.
Comment avez-vous fait le choix de ces six écoles ?
Ca n’a pas été simple. J’avais plusieurs paramètres, à commencer par multiplier les lieux et les approches, mais me cantonner aux établissements sous égides gouvernementales. J’ai donc mis de côté les écoles ultra-orthodoxes juives ou coraniques, car elles sont semi-privées ou privées. Il a fallu aussi vérifier que le programme était enseigné, car je voulais des écoles représentatives, et parfois, comme en France, certains enseignants ou certaines écoles aménagent le programme en fonction d’autres agendas.
Ensuite, j’ai recherché des professeurs qui faisaient un travail approfondi avec leurs élèves, qui les amène à s’interroger. Quelque part, je ne voulais pas de défaitistes, mais des individus avec l’ambition de changer les mentalités, et qui ont une réflexivité sur ce qu’ils enseignent. J’ai ainsi pu rencontrer beaucoup de professeurs, et j’ai fait mon choix suivant leur manière de s’exprimer, leur timidité face à la caméra, et aussi sur la capacité des élèves à rester naturelle. Sauf que ces critères m’ont davantage guidé côté palestinien que israélien.
En Israël, j’ai d’abord dû envoyer une liste d’enseignants au ministère de l’Education pour qu’il donne, ou pas, son autorisation à filmer. Tous les professeurs classés à « gauche » ou « trop pacifistes » ont été mis de côté, j’ai essayé d’en savoir plus mais impossible, soit je m’y accommodais soit je ne filmais nulle part. Evidement, j’avais un grand choix parmi les écoles des colonies, où je souhaitais filmer également. J’ai donc dû refaire une liste en prenant en compte les critères de l’Etat, et j’ai pu obtenir des autorisations, même si les principales voix critiques ont été empêchées.
Effectivement, côté palestinien, de l’instituteur Ziad à Nour dans les camps de réfugiés, ils ont une forte personnalité, et ne nous laissent pas indifférents, alors que les enseignants israéliens, mis à part celui de la colonie d’Itamar, donnent l’impression de marcher constamment sur une ligne de crête. Si les sujets qu’ils abordent mettent parfois mal à l’aise leurs élèves, eux ne semblent pas épargnés par ce sentiment.
Ils représentent la plupart des Israéliens. Ni d’extrême droite ni d’extrême gauche, mais dans un centre que la société israélienne nommerait « gauche libérale », mais qui reste compliqué à définir du point de vue français. Ils reconnaissent les problèmes du système israélien, mais craignent le tremblement de terre qui peut survenir si on s’attaque à des piliers d’Israël. Leur position est éminemment conflictuelle, et malgré tout, il faut reconnaître à certains l’audace d’aborder certaines problématiques, d’essayer de faire ressentir à ces élèves des sentiments qui ne sont pas censés être développés par le programme scolaire officiel.
Malgré tout, il faut relever que dans le film, côté israélien, nous abordons presque toutes les facettes de la société. Ce qui n’est pas le cas côté palestinien puisqu’il n’y a pas de scènes avec des filles, ni d’écoles de Gaza, ni de camps de réfugiés hors Cisjordanie.
J’ai d’abord des contraintes personnelles, puisque je suis israélienne, je ne pouvais pas me rendre où je voulais. J’ai aussi tourné dans des contextes où les scènes politiques de la région sont en train de se fracturer, et cela rendait certaines zones plus compliquées à filmer. D’ailleurs à l’origine, je n’avais pas envisagé toutes ces barrières, et ne comptais donc jamais apparaître à l’écran. Puis, peu à peu, en comprenant les limites qui s’imposaient à moi, j’ai décidé qu’il fallait, dès le début du film, me mettre en scène pour que les gens comprennent bien qui filme, et de quel point de vue les images sont prises.
La question de Gaza revient fréquemment, avec notamment l’argument que les programmes scolaires n’y ont rien à voir avec ceux de Cisjordanie. J’ai pu vérifier cela, et c’est faux, puisque le cadre des programmes reste le même. La seule chose qui varie, ce sont les enseignants, mais à ce moment là, chaque école peut être différente d’une autre. J’avais envisagé d’envoyer quelqu’un pour y filmer, mais lorsque j’ai compris que les programmes étaient les mêmes, j’ai préféré garder la main sur le tournage et rester en Cisjordanie.
Pour ce qui est des camps de réfugiés du Liban, ou de Jordanie, j’y ai aussi pensé mais j’ai eu la sensation que ces lieux ouvriraient encore d’autres questions, plus complexes, qui pourraient dépasser le cadre du film en amenant d’autres dimensions qui seraient propres aux sociétés jordaniennes ou libanaises. Dans un documentaire qui dure déjà 90 minutes, cela ne me paraissait pas judicieux.
Pour la question des filles palestiniennes, je rappelle que mon premier critère était l’enseignant, sa personnalité et son caractère. En accrochant sur Nour, professeure dans une école de garçons d’un camp de réfugiés, à la personnalité forte, j’ai donc choisi de la filmer, même si cela signifiait une autre classe de garçons au détriment des filles.
Sans dévoiler la conclusion du documentaire, comment définiriez-vous aujourd’hui les systèmes scolaires israélien et palestinien ?
Le plus significatif c’est qu’au-delà des contextes géopolitiques de la région, ou de la tension entre Israéliens et Palestiniens, il y a des individus qui dans cet espace géographique très restreint essaient de construire quelque chose. Ils se battent pour faire de l’espace scolaire un lieu d’apprentissage et de questionnement.
Les gens doivent avoir en tête que ces enfants viennent à l’école avec beaucoup d’autres éléments qui influent sur leur mentalité : les idées politiques des parents, l’actualité diffusée par les médias… Et pour les Palestiniens, c’est aussi les checkpoints traversés quotidiennement, l’occupation… C’est là aussi l’intérêt du film : observer dans ce lieu qu’est l’école jusqu’où des enseignants peuvent aller, à quoi ils sont confrontés, de quoi les élèves sont conscients ou pas.
La plupart des reportages ou films qui traitent du conflit israélo-palestinien se terminent souvent par une note positive d’espoir, même si cela est parfois très utopique voire dépolitisée. Pas dans votre film, puisque vous montrez que même dans une école mixte, où les enfants juifs et arabes sont censés « vivre ensemble », il y a séparation.
Pour être sincère, c’était aussi mon objectif, à savoir trouver un lieu pour un happy end, une fin joyeuse. Je ne connaissais pas Neve Shalom et son école mixte, mais lorsqu’on me l’a décrite, je l’ai imaginé comme un lieu où juifs et arabes vivent ensemble. Avant de tourner, j’y suis resté quelques temps pour comprendre comment ils fonctionnaient, et j’ai tout de suite vu les limites du projet. J’aurais pu décider de ne sélectionner que des images heureuses, où les enfants jouent ensemble, dansent ensemble, et mettre de côté le reste. Cela n’aurait pas été honnête.
Je voulais retranscrire ce que j’avais vu et ressenti dans cette école, à savoir que ces deux sociétés sont tellement chargées de colères que même dans un environnement où l’objectif est de rassembler pour dialoguer, on n’y parvient que de manière partiale. Les enseignants que j’ai filmés dans cette école ont bien conscience de ces limites, mais ils partent du principe qu’être ensemble pour voir et entendre les désaccords, c’est toujours mieux que d’ignorer complètement l’autre, d’effacer son avis.
C’est d’ailleurs ce que fait aujourd’hui la société israélienne, à l’image de cette scène où un élève de la colonie d’Itamar me demande « Qu’est ce que cela veut dire « conflit » ? ». Pour les Israéliens, les débats autour d’une résolution du conflit n’existent quasiment plus, puisqu’il n’y a plus d’ennemis à proximité, ils sont derrière un mur ou sous blocus. Du coup, il n’y a plus de problèmes, puisque l’on ne s’intéresse pas à quelque chose que l’on ne voit pas. Et cette situation, sans aucun doute, est plus dangereuse qu’une école mixte qui reste imparfaite.
Justement, durant le film, on pourrait s’attendre à ce que vous organisiez une rencontre entre deux élèves, Israélien et Palestinien. Vous l’aviez envisagé ? Pourquoi ne pas l’avoir fait ?
Ca n’aurait pas été simple, il aurait fallu multiplier les démarches administratives, mais ça aurait été possible. D’ailleurs, il y a des associations qui organisent ce type de rencontre. Sauf qu’au final, quel est le résultat ? Quel est l’objectif de ce type de rencontre sporadique ? Si le seul intérêt est de dire « Salam, Shalom » pendant une heure ou deux, ça ne m’intéressait pas pour le film, même si ça reste des actions importantes à faire sur le terrain. L’école mixte incarne cette rencontre, et ce lieu nous permet de comprendre toutes les problématiques que soulève cette rencontre, à savoir que même lorsqu’on y parvient, sur une longue durée, il reste beaucoup de barrières à franchir. Le message final du film c’est : regarder tout ce qui est fait pour que ces rencontres ne puissent pas avoir lieu. Des raisons tant géographiques que politiques, mais aussi dans le quotidien.
Si nous devions comparer, à partir de votre film, les deux systèmes, il apparaît chez les enfants palestiniens, une connaissance assez poussée du conflit, contrairement aux enfants israéliens qui mélangent tout au point de considérer que « les Palestiniens colonisent Israël ».
Comment voulez vous qu’un Palestinien ignore le conflit ? Il le vit, le subit, dans sa famille, dans son espace quotidien. L’occupation est omniprésente pour lui. Côté israélien, il y a une volonté de créer cette bulle où tu vis normalement, tu protèges ton quotidien. Je pense qu’Israël ira de plus en plus vers cette voie qui n’est pas la résolution du conflit, mais effacer le problème, le masquer, pour vivre « normalement ». A défaut de résoudre le problème, on l’ignore.
Au final, où est le droit international dans tout ça ?
Dans les camps de réfugiés palestiniens, il est évoqué, puisqu’il constitue la base de leur lutte. Et c’est une règle générale pour les écoles palestiniennes, pour rappeler aux élèves que la situation qu’ils vivent n’est pas normale, et qu’ils ont le droit de s’exprimer, le droit d’avoir un Etat, le droit d’être souverains. En Israël, cela revient au malaise évoqué précédemment. Il y a des notions du droit international qui sont évoquées dans le programme israélien, mais puisque dans plusieurs cas la politique israélienne se retrouve en contradiction avec les valeurs invoquées, il est souvent mis de côté par les enseignants.