Honey Thaljieh, le football contre les murs
Palestinienne, arabe, chrétienne et joueuse de football : Honey Thaljieh partait avec de sérieux handicaps dans la vie. Mais rien d’insurmontable pour cette femme de caractère, cofondatrice et première capitaine de l’équipe nationale de Palestine. Un parcours hors norme !
Midi dans les bureaux de la FIFA à Zurich. Sac de sport au bout du bras, des employés traversent un à un le grand hall au luxe froid pour une pause fitness dans le bâtiment adjacent. Il y a deux FIFA : l’une, politique, qui cristallise les critiques et enchaîne les scandales depuis des années ; l’autre, administrative, où d’authentiques passionnés s’efforcent sincèrement d’améliorer le monde avec l’aide du football. Pour Honey Thaljieh, « For the game. For the World » n’est pas un slogan de la boîte. C’est l’histoire de sa vie.
Il y a quelque chose de Michel Platini jeune dans cette ancienne numéro 10 de l’équipe nationale de Palestine. Même sourire gouailleur, même regard pétillant de malice, même chevelure bouclée. La sienne s’orne de quelques guirlandes argentées qui laissent deviner qu’elle a beaucoup plus vécu que ses 34 ans. C’est qu’il lui a fallu bien du courage, de la résistance et de la résilience pour surmonter tous les obstacles que l’on peut rencontrer lorsqu’on est une jeune arabe chrétienne palestinienne et que l’on veut jouer au football. Elle a patiemment abattu tous les murs, lesquels dans cette région du monde n’existent pas seulement dans les têtes. A elle seule, ou presque, Honey Thaljieh a créé l’équipe nationale féminine de Palestine.
Braver l’interdit paternel
C’est ce parcours de vie qu’elle raconte régulièrement dans des conférences. Elle ne s’en cache pas : elle adore ça. « C’est comme un hobby, plaisante-t-elle. J’aime parler aux gens et j’ai une histoire forte à leur raconter, alors ça les intéresse. Beaucoup ne connaissent rien de nos vies, ils assimilent souvent les Palestiniens au terrorisme. Mais ensuite, ils comprennent que nous sommes juste des gens qui veulent la paix, la justice, l’égalité. »
Au début, Honey Thaljieh voulait juste jouer au ballon avec les garçons dans la rue. Comme elle est douée, ils la laissent participer. Elle y découvre un sentiment jusqu’alors inconnu. « Jouer était notre seul espace de liberté. Dans un monde fait de barbelés, de murs, d’interdits, le football m’a donné le goût de la liberté. » Son père n’est pas de cet avis. « Au début, il m’a punie. Mais malgré les punitions, j’y retournais, je continuais. Et finalement, c’est lui qui a abandonné. Et puis, quand les journaux ont commencé à parler de moi, il a été fier. »
La famille, les voisins, le quartier cèdent un à un face à sa volonté, ce qui ouvre en elle une nouvelle perspective et accroît sa détermination. « Vers 14 ans, j’ai compris que le football était plus qu’un sport, que c’était un moyen de changer la perception du monde et les stéréotypes, que c’était un instrument d’affirmation de l’identité, d’inclusion sociale, de résilience et de résistance. » Mais aucune femme ne joue encore officiellement au foot en Palestine.
En 2003, étudiante à l’Université de Bethléem, elle tombe sur une petite annonce : le service des sports recherche des filles pour former une équipe. Elle fonce. « J’ai mis cette annonce il y a des années et vous êtes la première à vous inscrire », lui répond le directeur. Ensemble, ils relancent le projet, recrutent des basketteuses, des volleyeuses. Elles sont cinq, puis sept, s’entraînent avec des garçons. Les médias en parlent. De nouvelles filles appellent de Ramallah, de Jéricho, parfois leurs parents. « Nous sommes parties de zéro. Aujourd’hui, nous comptons 500 joueuses licenciées, deux ligues, quatre sélections nationales et un stade qui peut accueillir des matchs internationaux », se réjouit Honey (son véritable prénom).
L’espoir, une denrée rare
Selon elle, ce succès s’explique simplement : « Dans notre situation, il est facile de perdre espoir. Avec le football, nous avons retrouvé un espoir. Quand j’étais enfant, j’aurais voulu avoir un modèle qui me ressemble. En créant l’équipe nationale, notre but est devenu de rendre cet espoir à la population. » La Fédération palestinienne de football ne fut pas facile à convaincre. De son point de vue, la situation en Palestine était assez difficile comme ça, il n’y avait pas besoin de compliquer encore les choses avec des filles. « Mais comme 15% de l’argent alloué par la FIFA est assujetti au développement du football féminin, la fédération a cédé. Aujourd’hui, elle se réjouit de nos bons résultats et de notre bonne image. »
Honey Thaljieh n’est plus sur le terrain. Trois blessures au genou ont eu raison de sa passion. Elle joue encore parfois avec des collègues, ou dans le cadre de son travail, dans des camps de réfugiés ou à la Coupe du monde des sans-abri. Elle est aujourd’hui ambassadrice de plusieurs organisations sportives et sociales actives au Moyen-Orient, et reconnue comme « Championne de la paix » par l’organisation Peace and Sport.
A la FIFA, elle s’occupe de la communication et des affaires sociales. L’institution est décriée mais elle s’y sent à l’aise. « Je travaille ici parce que je crois que ce que j’y fais a une utilité. La FIFA a un pouvoir énorme, elle fait beaucoup de bien dans beaucoup de pays. Je l’ai vécu personnellement en Palestine. Je me focalise sur ça, sur la manière dont on peut changer les choses dans la société avec le football. »
En dates
1984 - Naissance à Bethléem.
2003 - Décide de créer une équipe de football féminine.
2005 - Premier match officiel de l’équipe nationale féminine de Palestine.
2011 - Création d’une ligue nationale féminine.
2012 - Master au Centre international d’étude du sport (CIES) de Neuchâtel. Engagée à la FIFA.
2015 - Figure dans la série documentaire « Les rebelles du foot, saison 2 », produite par Eric Cantona.
Source : journal Suisse : le Temps