Israël : la liberté d’expression menacée.
Entraves à la liberté d’expression, pressions financières, campagnes de dénigrement… Le gouvernement Nétanyahou use de tous les moyens, dont un arsenal législatif en croissance constante, pour affaiblir ONG de gauche, institutions culturelles et médias critiques.
La scène se déroule le 6 avril, rue Shirizli à Jérusalem-Ouest, la partie juive de la ville. Ce soir-là, le centre culturel Barbour (« le cygne ») accueille les responsables du mouvement Breaking the Silence, une ONG composée d’anciens soldats témoignant d’exactions menées par l’armée israélienne dans les Territoires palestiniens. Mais l’on compte plus de journalistes et de policiers que de participants. Et ceux qui se font le plus entendre ne sont pas les orateurs annoncés, mais des excités d’extrême droite venus « fermer la gueule des traîtres ». L’ambiance est tendue sans être inhabituelle car, depuis quelques mois, Breaking the Silence et de nombreuses autres ONG sont devenues les bêtes noires du gouvernement de Benyamin Nétanyahou.
Photo : Des militants dénoncent le racisme, l’occupation des Territoires palestiniens et les menaces sur la liberté d’expression, le 1er avril à Jérusalem. Photo Yonatan Sindel. Flash90
En Israël, les ONG dites « de gauche », celles qui dénoncent les violations des droits des Palestiniens et l’occupation, sont beaucoup plus contrôlées que les autres (lire ci-contre). Présentées comme les tenants d’une cinquième colonne, elles voient leur liberté d’expression de plus en plus limitée. Au point de ne plus pouvoir se rendre dans les écoles. Ou de se voir interdire la location de salles par les municipalités proches du pouvoir.
C’est pour dénoncer cette chasse aux sorcières qu’Ami Ayalon, l’ancien directeur général du Shabak (Renseignement intérieur), a décidé de s’afficher ce soir-là aux côtés des responsables de Breaking the Silence. Petit, chauve, sec et nerveux, ce travailliste bon teint a la gueule de son ancien emploi. Mais il est démocrate. Et s’il ne partage pas les options de l’ONG qu’il est venu défendre, l’orientation prise par le gouvernement Nétanyahou l’inquiète au plus haut point. « Un vent mauvais souffle sur ce pays et nous sommes sur une pente dangereuse, explique-t-il à Libération ce soir-là. Je n’exagère pas en disant que nos libertés sont menacées et que nous risquons d’avoir de mauvaises surprises. »
Certes, Israël n’est pas la Turquie d’Erdogan. Il n’empêche qu’en deux législatures, Nétanyahou et ses gouvernements ont multiplié les textes visant à restreindre la liberté d’expression des opposants. Le cas des ONG de gauche est le plus flagrant depuis le vote d’une loi en juillet obligeant celles qui perçoivent plus de la moitié de leur financement de gouvernements étrangers de le mentionner dans leurs rapports et correspondance officielle. Mais d’autres textes en préparation sont tout aussi inquiétants. Parmi ceux-ci, un projet de loi abolissant l’exemption de taxes municipales dont bénéficient ces mêmes organisations, et un texte instaurant des peines de prison pour les ressortissants israéliens « dénigrant leur pays à l’étranger ». Comprendre : les membres d’ONG invités hors d’Israël pour s’exprimer sur la colonisation.
Le « vent mauvais » dénoncé par Ayalon dépasse cependant le cas des seules ONG, car la reprise en main des « mal-pensants » est généralisée. Particulièrement active, la ministre de la Culture, Miri Regev (Likoud), tente également de remettre les artistes au pas en brandissant la menace de la suppression de subsides. Ses bêtes noires : les théâtres arabes et les producteurs de films « présentant une image négative d’Israël ». Ex-officier supérieur de Tsahal, où elle a notamment exercé la fonction de censeure en chef, Regev est appréciée par bon nombre d’Israéliens de la rue en raison de ses sorties sur les « élites » et les « traîtres ». En octobre, elle a en tout cas obligé le théâtre national Habima - qui s’y refusait jusqu’alors - à se produire à Kiryat Arba, une des colonies les plus extrémistes de Cisjordanie.
« Méthodes bolchéviques »
Les médias ne sont évidemment pas épargnés par les attaques gouvernementales. Parmi les cibles de Nétanyahou, de Regev et de leurs amis, figurent aussi les journalistes qui les critiquent, accusés de diffuser des « fake news », d’être des « gauchistes », et « d’employer des méthodes bolchéviques ». En 2016, le gouvernement a d’ailleurs fait voter par la Knesset une loi démantelant l’Institut de radiotélévision publique (IBA), jugé « indocile et persifleur ».
Pour le remplacer, Nétanyahou a d’abord envisagé la création d’un nouvel organisme, qu’il espérait « aux ordres », mais lorsqu’il a compris que ses employés ne seraient pas aussi dociles, il l’a dissoute. Au risque de provoquer une crise avec ses partenaires gouvernementaux. « A quoi cette corporation nous sert-elle si nous ne la contrôlons pas ? » interrogeait alors Regev. Depuis lors, une nouvelle structure - qui commencera à émettre mi-mai - a été mise en place. Mais elle ne diffusera que des programmes récréatifs, car l’information sera confiée à un autre organisme, placé sous haute surveillance gouvernementale.
Par Nissim Behar, Correspondant à Tel-Aviv pour Libération.