J’ai peur pour les enfants de Gaza

samedi 30 novembre 2019

Vivre à Gaza est un véritable cauchemar pour les enfants. Ils manquent de nourriture, l’eau toxique les rend malades, et ils sont terrorisés par les bombes qui tombent sans arrêt.

Ces derniers jours, alors qu’Israël intensifiait son opération militaire à Gaza, je n’ai pas cessé de penser à Ela’a, ma nièce d’un an qui vit avec d’autres membres de ma famille dans un camp de réfugiés là-bas.

JPEG - 71.6 ko 13 juillet 2014 - Des enfants palestiniens se dirigent vers une école de l’UNRWA pour fuir les bombardements israéliens et chercher refuge après avoir évacué leurs maisons près dans la ville de Gaza - Photo : Nations Unies/Shareef Sarhan

Bien qu’elle soit toute petite, elle a déjà appris à se cacher derrière une chaise ou sous une table chaque fois qu’elle entend les explosions d’un raid aérien israélien.

Comme les autres enfants de Gaza, elle commence sa vie à un moment et à un endroit où Israël commet régulièrement des crimes de guerre en toute impunité.

A la fin de cette attaque militaire contre Gaza, le gouvernement israélien a déclaré triomphalement qu’il avait mené des « frappes chirurgicales » à Gaza et avait tué des « terroristes ». Les dirigeants israéliens ont invoqué, une fois de plus, le « droit de se défendre » de l’État sioniste, et le monde entier a opiné.

Mais examinons de plus près les actions d’Israël.

L’assassinat du commandant du Djihad islamique Bahaa Abu al-Ata et de son épouse, Asmaa, a été suivi du bombardement de plusieurs autres zones de la bande de Gaza. En d’autres termes, l’ « assassinat » d’Abou al-Ata et d’Asmaa, comme nous l’appelons en Palestine, n’était que le début. Vendredi matin, les « frappes chirurgicales » israéliennes ont tué au total 34 Palestiniens : près de la moitié sont des civils dont huit enfants et trois femmes.

Il n’y a certainement rien de « chirurgical » dans les attentats à la bombe qui tuent non seulement les militants accusés – sans juge, sans jury et sans procès – mais aussi leurs femmes, leurs enfants et divers témoins. Un chirurgien ne tue pas en masse, un criminel de guerre le fait.

Malgré tout, la soi-disant « communauté internationale » a une fois de plus refusé de condamner ce qui était en réalité une série d’exécutions extrajudiciaires et le largage aveugle de bombes meurtrières dans des zones civiles à forte densité de population.

Avi Berkowitz, un jeune assistant du président américain Donald Trump, qui est aussi le dernier dirigeant de l’ « Équipe pour la paix et la stabilité du Moyen-Orient » a twitté : « Les États-Unis soutiennent pleinement notre partenaire et allié Israël dans sa lutte contre le terrorisme et contre le groupe terroriste Djihad islamique palestinien. »

L’Union européenne, quant à elle, a concentré son indignation sur les roquettes tirées depuis la bande de Gaza sur Israël en réponse à l’assassinat d’Abou al-Ata, et est restée silencieuse sur le meurtre de civils palestiniens.

« Ce matin, Israël a mené une opération à l’intérieur de Gaza visant un haut dirigeant du Djihad islamique palestinien. En réponse, des roquettes ont été tirées depuis Gaza sur le sud et le centre d’Israël », a déclaré un communiqué du service diplomatique de l’UE. « Les tirs de roquettes sur les populations civiles sont totalement inacceptables et doivent cesser immédiatement. »

J’aimerais pouvoir dire que j’ai trouvé ces réactions choquantes. Mais nous, les habitants de Gaza, sommes habitués au silence international sur les attaques brutales d’Israël contre nous. Depuis 20 ans, même les déclarations les plus empathiques en provenance de l’Europe se sont bornées à mentionner son inquiétude face aux soi-disant « escalades » et ont fait l’impasse sur les punitions collectives, la répression et la violence exercée pour museler les Palestiniens.

En gardant le silence sur les injustices que les colons israéliens font subir aux Palestiniens, les gouvernements « postcoloniaux » du monde entier ont montré qu’ils n’avaient rien appris de l’Histoire.

J’ai grandi dans le camp de réfugiés de Jabalia, à Gaza. J’étais un enfant réfugié apatride, vivant avec mes parents, mes quatre oncles, leurs femmes et leurs enfants, et leurs grands-parents dans cinq pièces au total.

J’ai vécu la première intifada. J’ai vécu la terreur constante des descentes des soldats chez nous pour arrêter mon père et mes oncles à cause de leurs activités politiques. J’ai assisté à une fusillade à la maternelle. J’ai survécu à une fusillade à l’école primaire. J’ai survécu au bombardement de mon école primaire avec des munitions au phosphore blanc illégales. Puis j’ai fait l’expérience de la brutalité de la riposte d’Israël à la seconde Intifada. En devenant adolescent, puis adulte, j’ai subi d’innombrables autres agressions, invasions et massacres.

Puis je suis devenu journaliste, travailleur humanitaire et défenseur des droits de l’homme.

Je l’ai fait parce que je voulais aider mon peuple et documenter les horribles crimes de guerre d’Israël pour que le monde entier puisse les voir. En janvier 2014, alors que j’organisais des manifestations près de la zone tampon à l’est de Gaza avec d’autres groupes de jeunes, j’ai reçu une balle réelle dans la jambe. Au moment de l’attaque, nous plantions des citronniers et des oliviers. J’ai toujours insisté pour que la résistance populaire à Gaza soit pacifique. Malheureusement, Israël permet rarement que la situation reste « pacifique » dans la bande de Gaza, comme nous le constatons toutes les semaines depuis le début de la Grande Marche du Retour en mars 2018.

J’ai eu la chance de survivre et de pouvoir quitter Gaza dans les mois qui ont suivi. J’étais traumatisé, mais je n’ai pas eu le temps d’approfondir mes émotions. L’opération Protective Edge a été lancée et mon peuple et ma famille ont de nouveau été attaqués. J’ai dû couvrir la guerre, écrire des articles et organiser des campagnes d’information sans cesse une seule seconde de m’inquiéter pour ma famille. Je me suis lancé dans une tournée de conférences à travers l’Europe, pour décrire le sort des habitants de Gaza du mieux que je pouvais. Peu après, j’ai fait en Norvège, une maîtrise (MPhil) portant sur la paix et la transformation des conflits. Je suis maintenant installé à Berlin.

Désormais, je suis en sécurité en Europe, mais des milliers d’enfants, comme ma nièce Ela’a, essaient de survivre dans les conditions atroces que j’ai connues à Gaza. Je crains qu’Ela’a n’ait une enfance aussi horrible sinon pire que moi. Si les choses ne changent pas rapidement, elle va passer la majeure partie de son enfance à essayer d’échapper aux bombes israéliennes en se cachant derrière des chaises et sous des tables. Et même en temps de « paix », il lui faudra supporter des conditions de vie épouvantables dans un lieu qualifié d’ »inhabitable » par les Nations Unies.

L’eau à Gaza est maintenant imbuvable. Contaminée et rare, en raison du siège brutal d’Israël et des bombardements d’infrastructures, elle cause des morts et des maladies.

Les Gazaouis n’ont droit qu’à six à huit heures d’électricité par jour la plupart du temps, et en sont parfois privés 24 heures d’affilé.

L’insécurité alimentaire a atteint des sommets dans la bande de Gaza. Les agriculteurs ne sont pas autorisés à cultiver de la nourriture sur les terres situées à l’intérieur ou à proximité de la zone dite « tampon » le long de la clôture que les Israéliens ont établie pour des raisons de « sécurité ».

Environ 30 % des terres agricoles de Gaza ne peuvent être exploitées sans risquer la mort, ce qui réduit considérablement les moyens de subsistance de l’enclave, selon le PCHR. Les pêcheurs ne peuvent pas non plus lancer leurs filets librement, car le blocus maritime israélien ne leur permet pas d’utiliser pleinement les eaux territoriales de Gaza. La maison de ma famille à Gaza est à 1,5 km de la mer et nous entendons régulièrement des navires de guerre israéliens tirer sur des pêcheurs palestiniens.

Les ruines dominent le paysage de Gaza. Le siège israélien empêche les matériaux de construction d’entrer dans l’enclave, ce qui fait que les bâtiments endommagés et détruits ne sont pas reconstruits après les agressions israéliennes.

Le blocus empêche non seulement les marchandises d’entrer dans la bande, mais aussi les gens de sortir de cette prison à ciel ouvert. Les hôpitaux manquent de médicaments et d’équipement mais les patients doivent attendre les autorisations des autorités israéliennes pour aller se faire soigner ailleurs ; beaucoup sont morts en attendant.

Les étudiants qui veulent étudier à l’étranger ou explorer le monde ne peuvent pas non plus le faire. J’ai eu beaucoup de chance. En 2013/2014, le poste frontière de Rafah n’était ouvert que trois jours tous les quatre mois et même à cette époque, il n’était pas facile d’obtenir les documents nécessaires pour pouvoir partir. Après plus d’un an d’efforts, de lutte et d’attente, j’ai réussi à sortir. Beaucoup d’autres n’ont pas eu la même chance.

Alors, qu’est-ce que l’avenir réserve à ma nièce – et aux autres enfants de Gaza ? Boire de l’eau empoisonnée, manger de la nourriture non comestible, fuir les bombes, et prier pour obtenir un jour de ses bourreaux le morceau de papier qui lui permettra de quitter la prison dans laquelle elle est née ? Devenir une statistique de plus dans un rapport de l’ONU expliquant pour la énième fois au monde en quoi consiste une catastrophe humanitaire à Gaza et à quel point le siège et les massacres réguliers d’Israël, qui durent depuis une décennie, sont criminels ?

Et pourtant, la communauté internationale continue d’agir comme si la population de Gaza était responsable de ses propres souffrances.

Comme si les 365 kilomètres carrés de terre sur lesquels les habitants de Gaza essaient de survivre étaient un vrai pays, avec une armée, une marine, un dôme en fer, des avions de guerre, des abris, les dernières technologies militaires financées par les États-Unis et les pays européens. Comme si les deux millions de personnes entassées dans cette bande se battaient à armes égales avec les Israéliens, et n’étaient pas de pauvres réfugiés occupés, violés et dépossédés depuis des décennies.

Abou al-Ata était un « terroriste » parce qu’il a pris les armes contre l’oppresseur de son peuple, il a donc été « chirurgicalement » éliminé (sa famille étant des « dommages collatéraux ») sans autre forme de procès. Tout cela est OK, selon la communauté internationale.

Les Palestiniens sans armes « menacent » la sécurité israélienne en manifestant le long de la clôture israélienne, et donc 213 ont été tués, dont 46 enfants, deux femmes, neuf personnes handicapées, quatre ambulanciers et deux journalistes, tandis que 14 115 autres ont été blessés, et ça aussi c’est tout à fait OK.

Deux millions de Palestiniens vivant à Gaza représentent une menace démographique majeure pour Israël, de sorte qu’ils sont maintenus dans des conditions infra-humaines et bombardés occasionnellement – et c’est OK aussi.

Pour cette soi-disant communauté internationale, tous les crimes commis contre les Palestiniens semblent parfaitement excusables.

C’est dans ce monde, sous les yeux attentifs de cette « communauté internationale », que grandira ma petite nièce Ela’a, une petite palestinienne de Gaza. Un jour, nous remercierons les êtres humains qui ont compris notre lutte et l’ont soutenue, et nous demanderons des comptes à ceux qui ont choisi d’être complices, par leur silence, des crimes de guerre d’Israël.
Majed Abusalama

JPEG - 5.3 ko Majed Abusalama est un journaliste, universitaire, et défenseur des droits de l’homme. Il a grandi dans le camp de réfugiés de Jabalia à Gaza et il vit aujourd’hui à Berlin. Ses articles et commentaires politiques ont été publiés dans Middle East Eye, Mondoweiss, Deutsche Welle, Babelmed, entre autres médias.

Source ; chronique de Palestine


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