Juin 1967, une guerre de six jours qui n’en finit pas - De la défaite arabe émergea la résistance palestinienne
Paradoxalement, de la défaite des pays arabes en juin 1967 face à Israël allait émerger une résistance palestinienne autonome affirmant que la libération des Palestiniens serait l’œuvre des Palestiniens eux-mêmes.
La défaite des pays arabes face à l’attaque israélienne de juin 1967 a eu des répercussions directes sur le plan palestinien : le combat national s’est affranchi de la tutelle arabe officielle. La lutte armée s’est affirmée et a pris de l’ampleur. Les Palestiniens ont cessé définitivement de miser sur le soutien des armées régulières arabes dans leur combat, notamment après l’acceptation par l’Égypte et la Jordanie de la résolution 242 adoptée par l’ONU en novembre 1967. Libérer la Palestine n’était plus le but des pays arabes, il s’agissait désormais d’effacer les traces de l’agression de juin 1967.
Groupe de combattants du FPLP en Jordanie, 1969.
Thomas R. Koeniges, Look Magazine Collection, Library of Congress.
La défaite a également eu pour effet de confirmer l’orientation prônée par le Fatah au milieu des années 1960 selon laquelle le peuple palestinien ne devait compter que sur ses propres forces dans son combat pour la libération. Il lui fallait pour cela recourir à la lutte armée, seule voie effective à ses yeux. Ce choix devait donner naissance à de nouveaux mouvements palestiniens, nationalistes ou de gauche. Grâce à la résistance armée, l’image du Palestinien était transfigurée : de réfugié et d’exilé il devenait un combattant fedayin portant les armes.
Échec de la « deuxième campagne »
La première ambition du Fatah et des autres organisations palestiniennes avait d’abord été de faire des territoires palestiniens occupés le principal front du conflit israélo-arabe. La direction du Fatah avait conçu d’y mener des opérations militaires. Une minorité avait manifesté des réserves, estimant nécessaire de commencer par la création d’une organisation secrète, l’entraînement des combattants et la fourniture d’armes, mais la majorité menée par Yasser Arafat faisait valoir l’impact positif que de telles opérations ne manqueraient pas d’avoir sur le moral des habitants, ainsi encouragés à demeurer sur place. Le commandement du Fatah avait préconisé l’installation d’avant-postes, à partir desquels seraient menées des opérations commandos ciblées et limitées devant déboucher par la suite sur une guérilla classique. La recommandation s’appuyait sur des signes avant-coureurs qui faisaient état d’une résistance civile sous la forme de grèves, manifestations et mouvements de contestation pacifique. Yasser Arafat s’était alors vu confier la mission de créer ces bases militaires en Cisjordanie occupée. Avec une trentaine d’hommes, il installa à Naplouse sa base de commandement. Le 28 août, le Fatah annonçait les premières opérations en Cisjordanie, pour « la deuxième campagne », ainsi qu’elle fut appelée par allusion à « la première campagne » du premier janvier 1965, lorsqu’une unité militaire secrète avait mené une attaque contre une cible israélienne.
L’idée était que ces bases secrètes allaient s’élargir avec le temps pour devenir des territoires en voie de libération. Mais cette vision du Fatah et des organisations palestiniennes s’était heurtée à une vaste répression policière israélienne, voire à un couvre-feu imposé par l’armée. Celle-ci s’était livrée à un véritable quadrillage sécuritaire pour débusquer abris et passages secrets. La campagne s’était soldée par des centaines de morts et d’arrestations de fedayin et de sympathisants, de même que par un recul de la résistance armée en Cisjordanie. La résistance allait malgré tout demeurer vigoureuse à Gaza jusqu’en 1971, tout espoir de constituer des bases pour la lutte armée dans les territoires occupés était cependant révolu. Le centre de gravité se déplaça alors vers l’extérieur. Les stratégies de résistance civile et de mobilisation populaire recommandées par les militants communistes furent ignorées, tendance qui n’allait connaître de retournement qu’une vingtaine d’années plus tard, avec le soulèvement de l’Intifada en Cisjordanie et dans la bande de Gaza en décembre 1987.
La bataille de Karameh
Après l’échec du pari sur les territoires de 1967 comme incubateur de la résistance armée, le besoin se faisait sentir de trouver des abris sûrs dans les pays arabes voisins de la Palestine. La Jordanie apparaissait clairement comme le lieu le plus propice, dans la mesure où elle accueillait déjà la majorité des réfugiés palestiniens. Elle avait en outre avec l’État d’Israël et la Cisjordanie occupée la frontière la plus longue de tous les pays voisins. La rive orientale du Jourdain devint ainsi rapidement le plus large tremplin pour les combattants, offrant le principal passage pour leur infiltration. La création de bases de fedayin au milieu de l’année 1968 en Syrie favorisa l’extension de la résistance armée dans le sud du Liban.
Le 21 mars 1968 une grande bataille eut lieu dans le petit village jordanien de Karameh dans la vallée du Jourdain, entre les forces israéliennes et un groupe de combattants palestiniens et de soldats jordaniens. Malgré la destruction par Israël de la base de fedayin dans le village, la bataille causa des pertes relativement lourdes aux forces israéliennes, jamais subies auparavant. Les échos de cette bataille et la remarquable pugnacité des combattants palestiniens renforcèrent la popularité du mouvement de la résistance palestinienne qui enregistra des adhésions par dizaines de milliers, de la part de volontaires palestiniens et arabes venus grossir ses rangs.
La ténacité des combattants palestiniens durant la bataille de Karameh devait également avoir d’importantes répercussions sur le plan officiel dans les pays arabes. Les organisations de fedayin ouvrirent des bureaux à Amman et dans les camps de réfugiés palestiniens au vu et au su du gouvernement jordanien. Le roi saoudien Fayçal accueillit une délégation de dirigeants du Fatah, en promettant une aide financière importante. Après l’évolution favorable de leurs rapports avec la Syrie, les relations du Fatah avec l’Égypte furent rehaussées au niveau d’une alliance stratégique. Gamal Abdel Nasser, qui se préparait à une guerre d’usure contre Israël sur le front du canal de Suez, estimait pouvoir s’appuyer sur les opérations menées par les organisations palestiniennes — notamment le Fatah — contre des cibles israéliennes. Après avoir reçu une délégation de dirigeants du Fatah présidée par Yasser Arafat, il fit envoyer au mouvement une importante cargaison d’armes destinées à compenser les pertes subies lors de la bataille de Karameh. Le nombre de combattants entraînés en Égypte augmenta sensiblement.
La « patrie du peuple arabe palestinien »
Cette influence grandissante de la résistance s’est également répercutée au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Du fait d’avoir été créée en juin 1964 par une décision officielle des gouvernements arabes, l’Organisation perdait en 1967, année de la débâcle arabe, toute crédibilité. Son président Ahmed Choukairy fut contraint à la démission, ce qui créa les conditions d’un changement structurel de l’organisation matérialisé par une prise du pouvoir sans précédent par les organisations armées, notamment le Fatah, au sein des organes de l’OLP, dès la quatrième session du Conseil national palestinien de juillet 1968.
Cette quatrième session du Conseil national palestinien adopta une nouvelle charte nationale (« Watani ») qui consacra l’idée d’une « nation » palestinienne, alors que la charte nationale de 1964 (« Qawmi ») n’accordait pas le même sens à l’adjectif « national », référence à un nationalisme panarabe qui faisait de la Palestine une partie d’un tout arabe. Le texte de 1968 la présente comme la « patrie du peuple arabe palestinien » et souligne que celui-ci est le « premier et véritable détenteur du droit de mener un combat pour récupérer sa terre ». Il « refuse toute forme d’interventionnisme, de tutelle ou d’inféodation ». Conformément à cette orientation, la clause selon laquelle l’OLP n’exerce aucune souveraineté sur la région de Cisjordanie fut supprimée de la nouvelle charte. On y souligne également que l’OLP offre aux forces combattantes de la révolution palestinienne « un cadre représentatif » et que l’organisation est « responsable du mouvement palestinien dans sa lutte pour la libération de son pays et l’exercice de son droit au retour et à l’autodétermination ». Consécration de cette évolution, Yasser Arafat fut élu président du comité exécutif de l’OLP lors de la cinquième session du Conseil national palestinien tenue au Caire début février 1969. Il avait été désigné, dès avril 1968, porte-parole officiel du Fatah.
Après avoir dominé l’OLP, le Fatah et les autres organisations palestiniennes ont eu pour ambition d’obtenir pour elle la reconnaissance arabe et internationale, en sa qualité de représentante unique et légitime du peuple palestinien. Ils commencèrent en même temps à ressentir le poids de la responsabilité qui leur incombait. La cruelle défaite subie par les armées arabes avait clairement dévoilé l’irréalisme des visions qui avaient prévalu dans la période précédente concernant l’avenir des juifs israéliens en Palestine. Elle avait établi une autre évidence, à la suite de la reconnaissance par certains pays arabes de l’état de fait que constituait Israël : la coexistence des Palestiniens avec les juifs installés en Palestine était désormais incontournable, et il appartenait à leurs dirigeants de proposer une formule raisonnable, acceptable par la communauté internationale, pour organiser cette coexistence. Le Fatah prit alors l’initiative d’avancer celle d’un « État palestinien démocratique », dans une note adressée à l’ONU en octobre 1968, avant même que le Conseil national palestinien ne l’adopte à l’issue de discussions houleuses fin février-début mars 1971.
Maher Al-Charif
Historien palestinien, chercheur à l’Institut des études palestiniennes (Beyrouth).