Le sentier de la Palestine
On ne saurait trouver meilleure façon de découvrir la Palestine véritable qu’en y marchant sur les traces du patriarche et prophète Abraham, à la rencontre d’une population chaleureuse, d’un passé qui se perd aux confins de l’histoire de l’humanité, d’une culture résiliente, d’une cuisine aussi savoureuse que colorée, d’une nature saisissante et d’un présent préoccupant.
Ce n’est pas sans raison que ceux qui sont à l’origine du sentier de longue randonnée Masar Ibrahim al-Khalil le présentent de prime abord comme un circuit pédestre culturel. Plus que nulle part ailleurs, la marche en Palestine revêt un aspect humain éminemment saillant.
Cette piste bien balisée et cartographiée parcourt le territoire sur plus de 330 kilomètres, à partir de Rummana, au nord-ouest, jusqu’à Beit Mirsim, au sud-ouest. Elle traverse plus de 50 villes, villages et communautés bédouines, dont Naplouse, Ramallah, Jéricho, Bethléem et Hébron, et nous fait traverser des environnements d’une incroyable biodiversité. Des milieux verdoyants à l’approche de la côte méditerranéenne jusqu’au désert austère qui encadre la mer Morte et aux vallées grandioses sur les flancs desquels s’agrippe le sentier.
Étape marquante
Nous n’avons pas franchi le sentier au complet, mais réalisé plusieurs étapes stratégiques. Coup de foudre dès l’entrée à l’intérieur des terres avec la charmante petite ville de Sébastia, près de Naplouse, nichée sur une colline dont l’étroit chemin d’approche est bordé d’un alignement de colonnes romaines.
Sébastia compte deux auberges on ne peut plus accueillantes et belles de simplicité, que leurs jeunes propriétaires essaient d’établir dans un marché qui n’existe pas encore. Le petit-déjeuner servi sur la terrasse constitue l’un des tableaux culinaires les plus pigmentés et savoureux qui se trouvent.
Photo : Yves Ouellet Le monastère grec orthodoxe de Saint-Saba, dans la vallée du Jourdain
Une des sections du sentier nous mène carrément dans le désert, aux portes de Jérusalem, jusqu’aux panoramas qui dominent la fabuleuse vallée du Jourdain. C’est à la conclusion de cette marche qu’apparaît la vision hallucinante du monastère grec orthodoxe de Saint-Saba, que seuls les hommes peuvent visiter…
L’étape de Duma à Kafr Malek (12,1 km) relève quelque peu le niveau de difficulté en alternant le sommet du canyon au lit de la rivière asséchée qui a sculpté cette nature éblouissante.
Pour varier, nous avons visité Jéricho à vélo sous les clameurs de bienvenue des travailleurs de la construction, des marchands et des automobilistes. La ville, une des premières dans l’histoire de l’humanité, recèle plusieurs trésors anciens, outre le mont de la Tentation, dont le palais d’Hérode perdu dans un terrain vague. Ce dernier, qui a fait l’objet de fouilles archéologiques dans le passé, est maintenant laissé à l’abandon à cause du classement du territoire effectué par Israël après les accords d’Oslo et qui interdit toute forme d’initiative palestinienne en zone C (administration et sécurité assumées par Israël). Quelque 60 % du territoire est classé zone C.
La dernière journée, nous sommes debout à 2 h 30 du matin pour nous diriger vers la communauté bédouine d’Arab ar-Rashayida, qui nous fera faire en 4X4 une partie du sentier vers la crête des falaises qui bordent la mer Morte afin d’assister au spectacle solennel et mystifiant du lever du soleil au-dessus de la Jordanie.
Hébergement et entreprises
L’hébergement en Palestine s’avère de qualité étonnante. On y loge dans des hôtels modernes et confortables, dont le Taybeh Golden (Ramallah) et le Manger Square (Bethléem). Au coeur de la ville, le Jerusalem Hotel est chargé de mémoire, tout comme son fascinant propriétaire.
Dans Taybeh, un quartier de la ville chrétienne de Ramallah (à 15 km de Jérusalem), la famille Khoury (propriétaire du Golden Hotel) possède également la seule microbrasserie en Palestine et la première au Moyen-Orient.
Photo : Yves Ouellet Les enfants de la communauté bédouine de Sea Level accueillent les touristes.
Durant les deux semaines passées en Palestine, de même qu’en Jordanie, j’ai eu maintes fois l’occasion d’être accueilli chez des Bédouins. La rencontre avec Jameel al Hammadkeen a été particulièrement instructive. Lui et plusieurs groupes ont développé toutes les infrastructures nécessaires pour accueillir des groupes de touristes dans leurs campements et proposer des activités aux voyageurs, dont des excursions en 4X4 dans le désert et la randonnée pédestre.
Après le repas gargantuesque qu’il nous a servi, Jameel s’est assis avec nous pour parler de sa réalité. « Nous sommes le peuple du désert. Nous sommes venus du désert du Néguev parce que les Israéliens nous en ont chassés. Nous nous sommes installés en Palestine alors qu’elle était sous autorité jordanienne. Aujourd’hui, les Israéliens veulent à nouveau nous expulser, mais lorsqu’ils démolissent nos camps, nous les reconstruisons. »
Les Palestiniens semblent bien les intégrer et voient dans leur présence un avantage certain en ce qui a trait au développement touristique.
En sécurité
Durant une semaine, nous avons multiplié les découvertes au fil du sentier Masar Ibrahim afin d’en constater la grande diversité. J’ai naturellement abordé cette destination avec les craintes normales que l’ignorance et toutes les informations contradictoires nourrissent en nous. Réglons la question concernant la sécurité. La Palestine qui m’a été révélée n’effraie ni ne menace personne. Au contraire, elle charme et enjôle plutôt.
Pas un instant je ne me suis senti en danger, insécurisé, ni même inquiet. Je craignais qu’on tente de me passer des messages ou de m’enrôler, ce qui ne fut jamais le cas. Les Palestiniens qui nous accompagnaient, ou que nous avons rencontrés, ont fait preuve d’une immense discrétion et il a même fallu insister pour engager de véritables discussions politiques avec eux.
« Nous ne cherchons en rien à convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. Nous n’abordons surtout pas les touristes avec un discours partisan parce que la dernière chose que nous souhaitons, c’est de les effrayer », affirme George S. Rishmawi, directeur exécutif de Masar Ibrahim al-Khalil.
Photo : Yves Ouellet Une Bédouine prépare le pain traditionnel.
Leurs objectifs sont de mettre en place une industrie touristique à partir de l’engouement international pour les activités de plein air, de soutenir les communautés rurales, de restaurer une économie dans laquelle les jeunes peuvent s’inscrire et au sein de laquelle les Palestiniens perçoivent leur part du gâteau.
Une industrie qui engendre des retombées en Palestine alors que la quasi-totalité des activités touristiques en Terre sainte sont organisées et dispensées à partir d’Israël, ne laissant que des miettes aux Palestiniens.
À tous ceux qui peuvent trouver bizarre l’idée de faire du tourisme en Palestine, rappelons que la Terre sainte accueille trois millions de touristes annuellement. Ce genre d’expérience culturelle en Palestine est mis sur pied par le fonds d’investissement privé et équitable Siraj et encadré par un organisme professionnel, Masar Ibrahim al-Khalil, qui développe des forfaits sur mesure, recrute des guides expérimentés, organise l’hébergement et le transport.
Source : Yves Ouellet - Le Devoir
Voir aussi
Randonnée 2019 en Palestine sur le Sentier d’Abraham avec Point