Les étudiants de Columbia ont massivement voté pour le désinvestissement d’Israël et la réaction du président n’est que dédain
Il y a deux jours, les étudiants de premier cycle de Columbia ont massivement voté pour désinvestir de sociétés qui profitent de ou s’impliquent dans les actions de l’État d’Israël à l’égard des Palestiniens sous la loi « d’apartheid ».
Le président de l’université, Lee Bollinger, a très vite rejeté le vote, disant qu’il s‘agissait d’un problème « complexe » sur lequel le consensus n’existe pas sur le campus.
S’adressant mercredi au Centre Arabe, le professeur d’histoire de Columbia, Rachid Khalidi, a dit que le vote, dans une ville qui a la population juive la plus importante au monde, était un signe remarquable de changement. J’ai appelé Khalidi, qui est le professeur titulaire de la chaire Édouard Saïd d’études arabes modernes, afin d’avoir des détails.
Rashid Khalidi : Je pense que nous assistons à quelque chose de vraiment assez remarquable, du moins sur les campus universitaires. Il y a eu un vote semblable au Barnard College en 2018 et un autre plus récemment à l’Université de l’Illinois (Urbana-Champaign). Regardons les résultats définitifs du vote des étudiants de Columbia :
Oui – 1081 (61.0%)
Non – 485 (27.4%)
Abstentions – 205 (11.6%)
Il y a donc eu une majorité éclatante dans un vote qui représente 1771 étudiants, près de 40% des effectifs du Columbia College. Il ne s’agit pas de quelque maigre participation. (le nombre d’inscrits était de 4 675 en 2019, selon les propres données de Columbia).
C’est le résultat d’une vaste mobilisation des deux côtés. Les deux parties ont mobilisé tous ceux qu’elles pouvaient mobiliser, à mon avis. Il n’y a tout simplement pas beaucoup d’étudiants de Columbia qui soutiennent ce qu’Israël fait aux Palestiniens, même parmi les personnes qui sont sionistes ou pro-Israël d’une manière ou d’une autre, surtout si l’on tient compte de la ligne dure du gouvernement israélien.
Mais les universités ne sont pas une démocratie ?
Non. Mais les étudiants sont une partie importante de l’université. Il est évident que les universités ne fondent pas leurs décisions d’investissement uniquement sur ce que veulent les étudiants. Mais la déclaration de Lee Bollinger me rappelle ce que Trump a dit lors du premier débat, lorsqu’il a refusé de dire qu’il respecterait le résultat d’un vote démocratique le 3 novembre, confirmant ainsi son mépris pour le processus démocratique. Cette déclaration rejetant le vote écrasant des étudiants sur le désinvestissement à Columbia montre le même mépris pour les opinions exprimées démocratiquement de la part d’un élément clé de la communauté universitaire, les étudiants de premier cycle.
Et je pense qu’elle montre qu’il y a des groupes auxquels il accorde plus d’attention. Et il est clair que pour un président d’université dont le travail principal est la collecte de fonds, ce sont les donateurs. Je dois dire également que l’environnement politique dans lequel il opère est très largement favorable à Israël.
Il serait néanmoins très facile de montrer un certain respect pour les opinions exprimées par plus de 1000 étudiants de premier cycle après une longue campagne au cours de laquelle les deux parties ont eu amplement l’occasion de faire valoir leurs points de vue, mais au lieu de cela, il n’en tient pas compte. Il fait ainsi preuve de mépris pour l’opinion des étudiants, dans une tentative de courtiser, je pense, des personnes pour lesquelles l’idée même du BDS est un scandale.
Qu’entendez-vous par environnement politique ?
L’environnement politique de New York est toujours dominé par des gens comme Chuck Schumer. Ils quittent la Chambre mais Nita Lowey et Eliot Engel représentent la génération des politiques qui sont toujours à la tête du Parti démocrate ici, des gens comme le gouverneur Cuomo. Maintenant, vous avez de nouveaux acteurs politiques qui représentent la base, mais notre contingent sénatorial est-il en train de changer ? Non. Est-ce que notre contingent global à la Chambre pour New York est en train de changer ? Non. La majorité d’entre eux votera-t-elle encore pour tout ce que veut Israël ? Oui. Alors oui, Mondaire Jones a gagné, Jamaal Bowman a gagné. Mais Schumer et Cuomo sont toujours là. Comme beaucoup d’autres. Au sommet, les choses n’ont pas changé. Ça s’infiltre vers le haut mais pas encore au sommet.
Vous avez dit hier, dans votre intervention au Centre arabe, que New York était le plus grand centre de population juive au monde, la ville où la déclaration de Biltmore a été adoptée en 1942, lorsque les Juifs américains se sont joints au sionisme pur et dur (la déclaration préconisait la transformation de la Palestine, un pays qui avait alors une majorité arabe de 65%, en un « commonwealth juif »). Êtes-vous en train de dire que nous pourrions assister à une évolution contraire au sein de la communauté juive ?
Columbia a un pourcentage élevé d’étudiants juifs. (Hillel International classe Columbia au 15e rang des universités privées ; un autre site internet juif indique que ce pourcentage approche les 30 %). Ce que je veux dire c’est que ce qui se passe à Barnard et à Columbia College est significatif. Ce n’est pas seulement une coalition d’étudiants arabes ou d’étudiants issus de minorités - JVP (Jewish Voice for Peace) est à la tête de cette initiative, avec le SJP (Students for Justice in Palestine) - ce qui est extrêmement important, je pense. Et ce n’est pas une petite minorité d’étudiants juifs. Il s’agit d’un groupe important au sein de cette population.
La division entre les étudiants d’une part et l’administration, le conseil d’administration et les donateurs de l’université d’autre part, est similaire à la différence entre la base du Parti Démocrate et la direction installée du Parti Démocrate, qui ne change pas d’un iota dans ce que j’appellerais son allégeance à un ensemble de principes établis : Israël est plus important que la Palestine. Les Israéliens devraient avoir plus de droits que les Palestiniens. Les États-Unis s’engagent à faire ce qu’Israël et l’AIPAC veulent en termes de droit intérieur américain, en termes de supériorité militaire d’Israël au Moyen-Orient, en termes de normalisation d’Israël au Moyen-Orient, nonobstant son traitement des Palestiniens. Ce sont des points de vue bipartisans. Ainsi, l’establishment du Parti démocrate est très à droite de la base, si l’on en croit les données des sondages de Shibley Telhami, qu’il a examinées hier (dans le discours au centre arabe), et tous les autres sondages récents, qu’ils soient du Pew Research Center ou de Brookings. Donc, la direction du parti est sur une position et la base sur une autre, et c’est vrai pour l’administration de Columbia d’une part et pour nos étudiants d’autre part. Il y a eu le vote Barnard il y a deux ans, et maintenant le vote du Columbia College.
Si vous sondiez les étudiants diplômés, vous obtiendriez probablement un résultat encore plus favorable au désinvestissement. Si vous ajoutiez les étudiants de filières professionnelles, le résultat serait peut-être légèrement différent. La faculté de droit, l’école de commerce - vous auriez des étudiants qui sont probablement davantage contre le désinvestissement. Si vous ajoutez les filières du travail social et de la formation des enseignants, le journalisme et le SIPA (la filière des affaires publiques et internationales), vous aurez probablement plus de soutien pour le désinvestissement. La communauté universitaire est très variée, mais les personnes plus âgées et plus puissantes ont tendance à être plus conservatrices, anti-BDS, tandis que les jeunes sont beaucoup moins conservateurs et plus ouverts d’esprit. Tout comme les démocrates plus âgés, plus riches et plus établis sont plus conservateurs à l’égard d’Israël.
Vous avez comparé la déclaration de M. Bollinger aux commentaires de M. Trump sur l’élection disant qu’il n’accepterait pas les résultats. Pouvez-vous préciser ?
OK. Le président Bollinger a dit :
« Le corps étudiant de Columbia College a voté pour recommander que l’université se sépare des entreprises qui tirent profit de la politique israélienne envers le peuple palestinien ou qui la soutiennent autrement.
« À Columbia, les questions relatives à un éventuel désinvestissement des fonds de dotation ne sont pas tranchées par référendum.... —
« J’ai clairement fait savoir au début de l’année que je ne soutenais pas le référendum. Cela irait à l’encontre d’un accord de longue date selon lequel l’université ne devrait pas modifier ses politiques d’investissement sur la base de points de vue particuliers sur une question politique complexe, surtout lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein de la communauté universitaire sur cette question ».
Maintenant, vous pouvez regarder le désinvestissement de l’université des entreprises de charbon thermique (2017) et d’autres mesures liées au changement climatique et vous pouvez voir que ce n’est pas vrai, l’opinion a un effet sur la façon dont ils investissent. Mais il est vrai que dans ce cas, il y a un consensus. Tous les libéraux qui réfléchissent bien, pensent que le changement climatique est mauvais et que les compagnies de charbon sont mauvaises. Aurions-nous un consensus sur le désinvestissement s’ils interrogeaient tous les étudiants et toutes les facultés ? Je ne sais pas. Mais je parie qu’ils n’oseraient pas le demander.
Bollinger a poursuivi :
« En outre, à mon avis, comme je l’ai exprimé à maintes reprises au fil des ans, il est injuste et inexact de cibler ce litige spécifique à cette fin, alors qu’il existe tant d’autres conflits comparativement bien ancrés dans le monde ».
Dans quels conflits dans le monde les grandes entreprises ont-elles investi ? Aucun. Combien de pays dans le monde, outre Israël, reçoivent 4 milliards de dollars d’aide américaine ? Aucun. Vous pourriez continuer à faire gonfler ce vieux sujet de discussion que ses conseillers lui ont sorti de derrière les fagots.
« Et enfin, j’ai également fait part de mes inquiétudes quant à la façon dont ce débat sur le BDS a affecté le climat sur le campus pour de nombreux étudiants de premier cycle de notre université ».
Ainsi, certains étudiants pro-Israël se sont plaints que leurs sentiments sont blessés d’entendre critiquer Israël. C’est tout simplement illégitime. Je suis sûr qu’il y a d’autres étudiants dont les sentiments sont heurtés quand leurs positions politiques sont contestées. Nous ne sommes pas une école maternelle, où le « climat du campus » est interprété en termes de « mes sentiments sont blessés ». S’il y a des propos racistes ou ouvertement blessants, ou des menaces de violence, si les ethnies ou les religions des gens sont contestées, c’est un argument légitime sur le climat du campus. Il s’agit ici d’un débat politique sur un pays étranger dont les États-Unis sont pratiquement le seul soutien au monde, et dont les pratiques sont soutenues par de grandes entreprises, dans lesquelles l’université est investie.
Je ne pense pas que l’on puisse dire que ce que fait la Russie en Ukraine soit soutenu par des entreprises dont l’université peut se défaire. Ni ce qui se passe au Myanmar. Je pourrais citer huit ou neuf conflits. Je serais tout à fait favorable à un désinvestissement des sociétés d’armement qui vendent des armes à l’Arabie Saoudite ou aux Émirats arabes unis, dont les avions américains détruisent le Yémen. Cela n’arrivera pas. Mais j’y serais favorable. Les sociétés américaines sont profondément investies là-bas, et les partisans du désinvestissement disent qu’ils sont également opposés à ces régimes autocratiques.
"Je reste bien sûr un partisan inébranlable d’un débat vigoureux sur des questions contestées comme le conflit entre Israéliens et Palestiniens".
Qu’est-ce que l’appel au désinvestissement sinon une demande de débat vigoureux ? Tout le monde sait que l’Université ne le fera pas, mais ce référendum a ouvert un débat gênant que l’autre partie veut clore. Nous voulons tous être à l’aise, certes, mais contester des croyances confortables et qui n’ont pas fait l’objet d’un examen fait partie de la mission des universités. Si les gens veulent rester dans leur petit cocon, pourquoi devraient-ils gaspiller tout cet argent en frais de scolarité ? Qu’ils économisent leur argent et restent confortablement chez eux, sans personne pour remettre en question leurs idées fixes.
« Ces discussions et débats font partie de l’objectif essentiel de l’université, et nous devrions tous nous féliciter de la pensée critique qui émerge si souvent et qui conduit à des améliorations dans notre monde. Mais modifier notre dotation afin de faire progresser les intérêts d’une partie ne fait pas partie des voies que nous emprunterons ».
Trois paragraphes seulement. Lisez-les et pleurez ! Bollinger prend essentiellement parti, il reproduit les éléments avancés par les perdants de cette élection. En mettant en avant ce différend – « pourquoi vous concentrez vous sur le pauvre petit Israël ? » C’est le plus vieux point de débat du livre. De même, ce truc sur le « climat du campus ».
Quelle est l’analogie avec Trump qui dit qu’il ignorera les résultats de l’élection ?
L’analogie est de dire que ces choses ne sont pas décidées par référendum, et qu’il faut un consensus au sein de la communauté universitaire. Si ces choses sont vraies - si l’université tient compte de l’opinion, comme elle le devrait, pourquoi les donateurs et les administrateurs sont-ils les seuls à être parties prenantes ? Pourquoi les étudiants ne sont-ils pas parties prenantes ? Pourquoi le corps professoral n’est-il pas consulté à ce sujet ? Le président ne veut pas consulter les enseignants parce qu’il pourrait perdre. Ou non. Il y a des professeurs à la faculté de médecine et dans les écoles de commerce et de droit qui sont violemment opposés au BDS. Mais je ne pense pas qu’il soit intéressé par une consultation démocratique sur cette question.
Lorsque les étudiants s’expriment de manière décisive, on pourrait penser que le président d’une université largement tributaire des frais de scolarité des étudiants aurait au moins un geste de respect pour leur opinion exprimée démocratiquement. Au lieu de cela, le président a fait preuve de mépris pour le processus démocratique. Je ne suggère pas que les étudiants doivent décider de la politique d’investissement. Je suggère qu’il faut respecter leurs opinions et c’était irrespectueux des opinions de l’écrasante majorité des étudiants du Columbia College.
Donc oui, les administrateurs sont importants, oui, les donateurs sont importants, oui, l’environnement politique est important, oui, les décisions d’investissement ne peuvent pas être prises par un seul vote, mais pourquoi ne pas voir ce que pense l’ensemble de la communauté universitaire ? En tout cas, un peu de respect ne serait pas une mauvaise chose.
Rashid Khalidi & Philip Weiss pour Mondoweiss
Traduction SF pour l’AURDIP
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