Les militants mizrahi d’Israël luttent contre la loi raciste de l’État-Nation
S’inspirant du mouvement américain Black Panther du début des années 70, des militants mizrahi contestent l’opposition binaire entre Arabes et Juifs que la loi renforce.
En juillet 2018, l’avocat des droits de l’homme, Hassan Jabareen, citoyen palestinien d’Israël, a appelé le sociologue Yehouda Shenhav. Depuis le milieu des années 1990, ils essaient de trouver une voie de résistance à l’oppression de l’État, qui soit commune aux citoyens palestiniens et aux Israéliens Juifs mizrahi (Juifs d’origine moyen-orientale par opposition aux Juifs ashkénazes d’origine européenne). Hassan Jabareen n’a jamais senti que le moment était bon jusqu’à cette année 2018, où le Parlement israélien a adopté la Loi de l’État-Nation.
La Loi de l’État-Nation déclare qu’Israël est la patrie historique et l’État-Nation du peuple juif. C’est une Loi Fondamentale, l’équivalent en Israël d’une loi constitutionnelle (Israël n’a pas de constitution). L’appel de Hassan Jabareen à Yehouda Shenhav (Israélien mizrahi) a planté une graine puissante dans l’esprit de ce dernier : les mizrahi voudraient-ils contester la loi devant la Haute Cour d’Israël, aux côtés des recours introduits par les Palestiniens, dont celui de l’association de Hassan Jabareen, Adalah ? Yehouda Shenhav s’est entretenu avec sa collègue militante, Orly Noy, qui a parlé d’une idée « géniale » et a qui a pris la démarche en main.
Le recours, introduit le 1er janvier 2019, a été signé par près de 60 militants et intellectuels mizrahi éminents. Son paragraphe introductif reconnaît que la loi prend principalement pour cible les Palestiniens mais Orly Noy déclare que le recours est beaucoup plus radical qu’une déclaration de solidarité : « Nous introduisons un recours parce que [la Loi sur l’État-Nation] est aussi discriminatoire envers nous. »
La loi porte atteinte aux liens des mizrahi avec leurs racines, leur culture et leur langue et « notre capacité à nous considérer comme un élément naturel de l’environnement géopolitique, qu’Israël cherche de façon très systématique à détruire. » Le recours vise à récupérer les éléments de l’identité mizrahi fragmentée et de la reconstruire dans son entier, complète et fière.
Orly Noy mentionne un discours prononcé en 1996 par Ehud Barak, alors ministre israélien des Affaires étrangères, qualifiant Israël de « villa au milieu de la jungle ». Quand ceci est la perception que vous avez de vous-même, alors votre attitude envers les indigènes de cette « jungle » — les mizrahi et les Palestiniens—devient hostile, selon elle. Les Palestiniens ne sont pas du tout admis dans la villa. Les mizrahi sont admis « en tant qu’invités à condition » qu’ils puissent prouver leur loyauté. "Ils doivent faire preuve de davantage de patriotisme, se débarrasser de toute trace d’arabité dans leur identité, leur langue, leurs cultures, leurs traditions, leur histoire".
Des chanteuses égyptiennes telles que Oum Kalsoum peuvent être appréciées en privé mais pas en public. Orly Noy, dont la famille a émigré d’Iran quand elle avait 9 ans, se souvient de son père fumant le narguilé dans la Vieille Ville de Jérusalem en compagnie de Palestiniens — « la chose la plus proche de ce qu’il pouvait vivre chez lui » — et cependant soutenant les partis israéliens de droite. « Cette schizophrénie est devenue l’expérience déterminante de toute une communauté ».
Le recours porte sur deux articles de la loi : celui dépouillant l’arabe de son statut de langue officielle d’État et celui encourageant la colonisation juive en tant que valeur nationale.
Sur la colonisation juive, Orly Noy souligne l’expérience historique vécue par les mizrahi au début de la démographie en Israël. Dans les premières années de l’État, les immigrants mizrahi ont été déversés dans des villes marginalisées (dites de « développement ») et ont été l’objet de discriminations de la part des « commissions d’admission » dans les communautés blanches et ashkénazes. Les Palestiniens ne s’intéressaient pas à ces communautés exclusivement juives (« construites sur des terres volées appartenant aux Palestiniens », ajoute Noy), tandis que les candidats mizrahi étaient jugés « inadaptés ».
Reuven Abergel, militant de 76 ans qui s’identifie comme arabe, noir et mizrahi est signataire du recours. La famille d’Abergel a été amenée du Maroc en Israël en 1950, après avoir été maintenue pendant deux ans dans un camp de détention par les dirigeants sionistes. Elle a été logée à Musrara, sur la ligne de démarcation, à la frontière de Jérusalem-Est sous contrôle jordanien. L’appel à la prière du côté jordanien donnait à Abergel l’impression qu’il était revenu chez lui au Maroc. Abergel, alors âgé de 9 ans, et ses amis se faufilaient de l’autre côté de la frontière. « Voilà comment nous avons été arrêtés : nous n’étions pas censés être là. Exactement comme ils arrêtent les gosses palestiniens aujourd’hui. »
Reuven Abergel était « un gosse qui traînait dans les rues », dit-il de lui. Il ne séchait pas l’école—il n’y avait pas d’écoles à Musrara. Il n’y avait ni eau courante ni électricité non plus, ni même assez à manger. Abergel et ses amis entraient et sortaient à tour de rôle des centres de détention pour mineurs. Pendant ces années, les bébés juifs yéménites étaient enlevés de chez leurs parents et étaient adoptés par des familles ashkénazes. Une radiothérapie était imposée aux enfants mizrahi pour traiter/ empêcher la teigne du cuir chevelu, en provoquant le cancer et d’autres maladies.
Des Juifs originaire d’Inde ont protesté au début des années 1950 contre les mauvais traitements qu’ils subissaient —ils ont été les premiers à identifier la suprématie blanche en Israël, déclare Abergel. En 1959, après qu’un policier ait tiré sur un Israélien marocain et l’ait blessé, dans le quartier pauvre de Wadi Salib à Haïfa, des émeutes ont éclaté— et se sont étendues à d’autres villes largement peuplées de Mizrahi, comme Tiberias et Beer-Sheva.
Après qu’Israël ait occupé Jérusalem-Est en 1967, Abergel s’est retrouvé avec des voisins palestiniens. « Nous avions tous la même culture, nous mangions des aliments semblables, nous parlions arabe », dit-il. Les mizrahi et les Palestiniens ont ouvert ensemble des étals au marché, des cafés, des entreprises de construction. Abergel pense que l’élite politique s’opposait à ces nouvelles alliances. « Ils ont commencé à nous séparer d’eux—et à intensifier l’oppression contre eux ». L’oppression accrue les a poussés dans la résistance militante en mettant à mal les nouvelles relations. « Une fois encore, nous avons commencé à les qualifier d’ennemi ».
Les étudiants devaient passer à pied par Musrara pour accéder à l’Université Hébraïque, dont le campus sur le Mont Scopus était d’abord placé derrière les lignes de l’ennemi. Certains cherchaient du hashish, largement disponible à Musrara, « et c’est comme ceci que ces étudiants, les anarchistes, sont devenus nos amis, alors que leurs parents étaient nos oppresseurs », déclare Abergel. En 1970, des étudiants lui ont parlé, ainsi qu’à ses amis des mouvements sociaux dans le monde, parmi lesquels les Black Panthers aux États-Unis. « C’est à ce moment-là que nous avons décidé de nous organiser. »
Au début de 1971, la police a arrêté les jeunes mizrahi qui avaient distribué des tracts et ceux qui manifestaient contre les arrestations. Reuven Abergel et d’autres militants ont négocié la libération de leurs camarades. « C’est ce jour-ci que le mouvement des Black Panthers [Israéliennes] a démarré ».
Leurs revendications étaient simples : mettre un terme à la violence de la police, dénoncer l’incarcération massive des mizrahi, réclamer des conditions de vie décentes, accéder à l’instruction, aux soins médicaux et à l’emploi. La classe dominante ashkénaze répondit par une répression accrue.
À l’époque, Abergel et ses amis manquaient d’éducation politique.
« Nous venions du commerce de hachich dans les rues, du temps passé dans différents établissements correctionnels...mais nous avions compris que nous avions touché un nerf à vif ». Les Black Panthers ont pris de l’importance ; Abergel co-écrivit un Récit de la Pâque dans l’optique des Panthères Noires. Dans leur version, l’Exode se faisait en sortant de (plutôt que vers) Israël, et la Première Ministre Golda Meir était le Pharaon. Un journal intitulé Les Paroles des Panthères Noires avait été créé. Jusqu’alors, les mizrahi des différentes régions d’Israël étaient souvent coupés les uns des autres, mais « tout d’un coup chacun savait ce qui se passait ailleurs ». Les Black Panthers redistribuaient les ressources en piquant les bouteilles de lait des maisons des riches et en entrant par effraction dans les entrepôts gérés par le Mapai (le parti politique ashkénaze dominant) pour voler des poulets, de la viande et de l’huile afin de les distribuer dans les quartiers mizrahi.
Les Panthères ont organisé une grande manifestation en mai 1971, qui a provoqué la brutalité de la police et de violents combats de rue, faisant des blessés dans les deux camps. « On pouvait voir des pierres et des cocktails Molotov voler », dit Abergel. « Nous n’avions pas prévu ni voulu la violence. Nous voulions la justice sociale. La véritable violence est celle de l’institution ». Les Panthères Israéliennes ont développé des relations dans le monde entier, y compris avec la diaspora palestinienne et les Black Panthers américaines. « Nous avons commencé à connaître et à comprendre les liens plus importants entre les puissances oppressives ».
Aujourd’hui, Reuven Abergel « est occupé jour et nuit, par son identité, par sa culture ». Résister à la Loi sur l’État-Nation n’est qu’un aspect de sa lutte — mais un aspect essentiel. « [La loi] me dit, « Nous avons effacé la culture de votre mère et de votre père, la culture du Rambam [acronyme pour l’érudit de la Torah au 12ème siècle, Maimonide, qui a été banni d’Espagne et qui s’est établi à Fès et, ensuite, au Caire]. Avec tout ce qui m’a été enlevé ma langue est la dernière chose qui me reste à défendre ».
Le recours des Mizrahi se fonde sur des avis d’experts, présentés par 11 universitaires, parmi lesquels Yonatan Mendel de l’Université Ben-Gurion, dont les recherches se concentrent sur l’arabe dans la société juive. L’arabe est devenu langue officielle en Palestine en 1922, pendant le Mandat britannique. L’Agence Juive pour la Palestine a accepté le plan de partage de l’ONU de 1947, qui comprenait l’engagement de protéger les droits de la minorité, dont la langue. Quand l’état d’Israël fut créé l’année suivante, le statut officiel de l’arabe fut maintenu, bien que principalement sur un plan symbolique.
« À l’époque, Israël était le seul endroit où vous trouviez le spectre complet des langues et dialectes arabes », explique Shenhav. En plus de l’arabe palestinien, l’afflux des Juifs mizrahi a apporté les dialectes du Maroc, d’Irak, du Yémen et d’Égypte.
Mais deux générations après, l’arabe n’est considéré comme valable que dans le contexte militaire. En 2015, Mendel et Shenhav ont mesuré la compétence en arabe parmi les Israéliens Juifs. Moins de 10 % comprenaient l’arabe, et seulement 0,4 % étaient capables de lire un roman en arabe. « Il y a au cours des années un effacement progressif de la langue arabe parmi les Juifs d’Israël, ce qui est très, très déprimant », selon Shenhav.
La plupart des Ashkénazes ne parlent pas la langue européenne de leur origine, mais Israël n’a pas de frontière avec l’Europe, remarque Mendel. « Nous avons une frontière avec les Palestiniens, avec la Syrie, l’Égypte, et le Liban. L’arabe aurait dû être conservé dans la communauté juive. »
Yehouda Shenhav rappelle une conversation avec le défunt auteur palestinien Salman Natoura, qui était perplexe devant le fait que les Juifs israéliens n’aient jamais appris la lingua franca. « D’après votre attitude envers l’arabe, il semblerait que vous êtes ici des habitants temporaires », faisait remarquer Natour. « Il y a un lien entre l’attitude envers la langue et l’attitude envers les locuteurs de cette langue », explique Mendel. La Loi de l’État- Nation reflète une attitude de durcissement envers les Palestiniens.
La langue est à la fois un symptôme de la ségrégation entre les Arabes et les Juifs et un facilitateur de cette ségrégation.
Mendel estime qu’il est « dangereux » de rétrograder l’arabe, qu’il qualifie de dernier droit collectif des citoyens palestiniens. « La langue c’est la culture, la langue c’est l’identité ». Abaisser le statut de l’arabe s’apparente à un abaissement du statut des citoyens palestiniens eux-mêmes. Selon Mendel, « Israël veut avilir, humilier la langue et ses locuteurs ... et cela est comme jouer avec de l’essence, cela est comme jouer avec des allumettes ».
Conserver le statut de l’arabe reflèterait les valeurs démocratiques d’Israël, insiste Mendel, et ses valeurs juives aussi. Jusqu’au XIIème siècle, l’arabe était la langue la plus courante pour la plupart des Juifs, et a continué à être pour les Juifs orientaux une langue d’écriture créative, philosophique et religieuse. En fait, l’hébreu et l’arabe partagent les même racines. Rétrograder l’arabe, c’est couper l’arbre à partir duquel croît aussi l’hébreu.
Le maintien de l’arabe comme langue officielle a gardé ouvert « un canal étroit pour la pensée arabo-juive, en considérant l’arabe et l’hébreu comme deux langues sur la même étagère », déclare Mendel. Cela a contribué à faire briller une petite lumière sur l’existence d’une culture qui est à la fois juive et arabe, et sur l’idée de non-séparation. C’est précisément cette vison bilingue et binationale qui fait peur aux dirigeants politiques israéliens de plus en plus dominateurs et nationalistes. Les Israéliens juifs « veulent avoir une hiérarchie : c’est un pays juif d’abord, c’est la langue juive d’abord », dit Mendel. « Un Arabe est un non-Juif, un Juif est un non-Arabe ». L’existence même de Juifs arabes menace cette fausse opposition, une opposition binaire que renforce la Loi de l’État-Nation. « Les gens ont déjà oublié que l’arabe faisait partie intégrante de l’identité juive, et particulièrement de l’identité judéo-arabe, parce qu’on leur a imposé de l’oublier— parce que, afin de devenir israélien, vous deviez oublier que vous étiez aussi arabe. »
Les parents de Yehouda Shenhav sont arrivés en Israël en provenance de Bagdad. Enfant, Shenhav ne parlait qu’arabe. « Puis je suis allé au jardin d’enfants et j’ai rejeté tout ceci, parce que je voulais être israélien. Un vrai Israélien, sans lien avec la langue de l’ennemi ». Il se souvient de sa colère quand son oncle l’a démasqué en criant en public, Allah, Allah, Allah ! À l’âge adulte, Shenhav a changé son nom de famille irakien (Sharabani) en Shenhav, « ivoire » en hébreu. « Il n’y a rien de plus blanc que Shenhav », regrette-t-il aujourd’hui.
Après le décès de son père — ironie du sort, l’une des rares victimes israéliennes de la Guerre du Golfe en 1991— Shenhav a embrassé sa langue maternelle en hommage à celui-ci. Il a étudié l’arabe pendant deux ans de manière obsessionnelle, en retrouvant son identité. Il parle maintenant de lui-même en tant que Shenhav-Sharabani et essaie d’être « un véritable Juif arabe ». Les efforts de Shenhav pour vivre pleinement son identité sont « pleins de paradoxes », y compris sa maîtrise même de l’arabe afin de récupérer ses racines. Sa famille se moque de son arabe nouveau : « Ceci n’est pas notre arabe, ce n’est pas le dialecte irakien ». Pourtant, Shenhav crie publiquement quotidiennement « Allah, Allah, Allah ! », transformant sa honte en fierté.
Orly Noy a interrogé des Palestiniens pour une émission-débat sur une station de radio. En même temps, elle s’est inscrite à un cours sur la politique concernant les Mizrahi. Elle s’est rendue compte que les deux problématiques— conflit israélo-palestinien et politiques concernant les Mizrahi—se superposaient. « Très tôt, j’en suis venu à comprendre que les racines sont les mêmes », explique-t-elle. Elle espère que le recours des mizrahi stimulera la co-résistance. La lutte, cependant, ne peut se concentrer sur l’amélioration de la position des Mizrahi au sein de la structure distordue existante. « Nous devons travailler avec des alliés palestiniens pour abattre les murs de cette [structure] et pour recréer quelque chose de totalement égal ».
Orly Noy fait référence au soulèvement de Wadi Salib en 1959. Les revendications des jeunes Mizrahi paupérisés comprenaient la fin de la loi martiale imposée aux citoyens palestiniens, installée dès la fin de la guerre de 1948 et jusqu’en 1966. « Ils avaient compris intuitivement quelque chose de très profond au sujet de ces intérêts communs des Palestiniens et des Mizrahi d’Israël », déclare Noy. Pour elle, « la réouverture des canaux pour élaborer un vocabulaire politique commun qui tienne compte des deux communautés ... ce serait pour moi le projet politique le plus inspirant ».
À partir de la création d’Israël, les Palestiniens se sont rendus compte qu’il n’y avait aucune possibilité de s’intégrer à la société israélienne ; ils ne le voulaient ps non plus. Par conséquent, ils ont conservé une forte identité nationale et culturelle. Mais les Mizrahi, « veulent tellement croire qu’ils font partie du système », dit Noy. Depuis 70 ans, ils ont respecté les règles du système sioniste. « Ils se sont débarrassés de leur nom, ils se sont débarrassés de leur langue, ils se sont débarrassés de l’histoire et de la culture, et ils sont demeurés— sans rien ».
Les écarts entre les Ashkenazes et les Mizrahis persistent dans les domaines de l’enseignement et des revenus, et augmentent dans certains cas. Les études montrent des écoles de moins bonne qualité dans les localités mizrahi et de profondes inégalités dans les budgets accordés historiquement à la culture des Mizrahi. Orly Noy pense que cette inégalité n’est pas accidentelle. « C’est une conséquence immédiate de cette image blanche que se donne Israël en tant que pays occidental ». Cependant, elle ne veut pas que le propos sur les Mizrahi se réduise à la classe sociale. Bien que les politiques d’exclusion de l’État ait créé une pauvreté endémique, il y a des Mizrahi riches, et certaines institutions israéliennes (notamment l’armée) ont permis un certain degré d’intégration. Orly Noy se bat pour sa capacité à remplir son identité de Mizrahi, et pour se considérer elle-même non comme une partie d’une entité coloniale mais comme une habitante autochtone de la région. Elle revendique de jouer un rôle dans le façonnement de sa sa société, en envisageant un État pour tous ses citoyens, avec des droits égaux pour les deux entités nationale. Et surtout, Orly Noy veut qu’Israël reconnaisse —et accepte —sa présence au coeur du Moyen-Orient.
Le recours n’est pas la première bataille juridique livrée par les Mizrahi. Vicki Shiran, matriarche du mouvement féministe mizrahi, a en 1981 présenté une requête devant la Haute Cour contre l’Autorité de Radiodiffusion Israélienne, aux motifs qu’elle méconnaissait la contribution des Mizrahi au processus de construction de la nation israélienne. Il y a eu depuis de nombreuses autres affaires portant sur la discrimination à l’encontre des Mizrahi. Neta Amar-Shiff, avocate des droits de l’homme aux racines yéménites qui a rédigé l’actuel recours, le qualifie de « révolutionnaire », parce qu’il découle d’une identité qui est à la fois arabe et juive. La solidarité avec les Palestiniens contenue dans le recours est enracinée dans l’identité des Mizrahi fondée géographiquement, allant au-delà des notions de libertés civiques individuelles. Les pétitionnaires font objection à la suggestion antidémocratique, contenue dans la loi, de suprématie culturelle juive. « Les Arabes et les Juifs sont les deux côtés d’une seule identité, sur laquelle ce pays doit prospérer », dit Amar-Shiff.
Les Lois Fondamentales d’Israël exigent une participation substantielle des personnes les plus directement concernées. Ceci n’a pas été le cas pour la Loi de l’État-Nation, déclare Amar-Shiff. Les analyses et documents historiques qui auraient dû être pris en considération pendant le processus législatif ont été soumis en tant qu’avis d’experts, Amar-Shiff faisant valoir en droit que les antécédents de discrimination des Mizrahi auraient dû être pris en considération avant l’adoption de cette Loi Fondamentale.
À titre personnel, Amar-Shiff considère l’initiative comme une occasion de faire sa propre déclaration. « C’est un honneur de déposer ce recours », dit-elle.
Il est l’un des 15 recours devant la Haute Cour pour contester la Loi de l’État-Nation. Parmi les autres pétitionnaires, il y a des organisation de défense des droits de l’homme, la Haute Commission des Affaires Arabes, un parti sioniste de gauche, et d’éminentes personnalités palestiniennes. Après une série de demandes de prolongation émanant de l’État, toutes accordées par la Haute Cour, l’audience avait été fixée au 3 mai par 11 des 15 juges de la Haute Cour, mais a été une nouvelle fois reportée à une date indéterminée.
Reuven Abergel ne croit pas que beaucoup de choses changeront, quelle que soit la décision du tribunal. « Le racisme et l’oppression sont toujours incorporés aux institutions et à l’idéologie sionistes », déclare-t-il, appelant la Loi de l’État-Nation « un point dans cette sombre histoire en cours ». Pourtant, la lutte est importante pour lui. « Mes gosses, mes petits-enfants, mes arrière-petits-enfants, mes voisins - tous - sauront et se souviendront que je n’ai jamais baissé les bras ».
Jen Marlowe
Jen Marlowe est journaliste, associée à la communication de Just Vision, auteure et réalisatrice de film documentaires, et militante des droits de l’homme et de la justice sociale.
Source : AFPS - The Nation
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers
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Voir aussi :
* Le dilemme des Druzes israéliens, minorité arabe et soutien historique d’Israël
* En Israël, Netanyahou ne cède rien malgré les remous provoqués par la loi sur l’Etat-nation juif