Liban. Le cri des réfugiés : « Palestine, nous ne t’oublierons pas »
Les conditions de vie difficiles dans les camps de réfugiés palestiniens vont s’aggraver avec la baisse des subventions versées à l’Unrwa, l’agence des Nations unies. Reportage.
À première vue, tous les camps de réfugiés palestiniens se ressemblent. Des ruelles étroites où flotte une forte odeur d’égout, des fils électriques qui strient le ciel lorsqu’on lève la tête, une foule compacte, dense et des immeubles qui n’en finissent plus, année après année, d’empiler des étages. À Aïn el-Heloueh, Sabra, Chatila, Bourj el-Barajneh ou Bedawi, Nahr el-Bared et Borj el-Chamali, pour ne citer que ces camps situés au Liban, ils sont des centaines de milliers à s’entasser là. Des familles dont beaucoup sont arrivées après la Nakba (la catastrophe) qui a suivi la création d’Israël, la destruction de leur village, la dépossession de leur terre. Une Palestine qui n’est pas rêvée, mais bien présente. À l’instar de ces femmes qui transmettent, génération après génération, les clés de la maison abandonnée. La clé, le symbole par excellence des réfugiés palestiniens. Ou par des expositions avec cartes et photos de la Palestine « pour montrer aux enfants d’où viennent leurs familles », explique la responsable d’une association féminine qui a ouvert, à Chatila (dans la banlieue de Beyrouth), un café réservé aux femmes, où elles peuvent ainsi se retrouver et échanger.
Les tentes d’origine, dressées pour du « provisoire », ont laissé place à des constructions en dur. L’espace n’est pas extensible, la surface des camps ne bouge pas. Les familles s’entassent dans une fausse installation. Une dignité qui masque la précarité, souvent la souffrance. Des réfugiés qui se sentent de plus en plus abandonnés. Pas seulement par les autorités libanaises, qui les empêchent d’exercer des centaines de métiers et ne fournissent pas les services nécessaires à la vie des populations. À Borj el-Chamali, près de Tyr (sud) où vivent 23 000 personnes – auxquelles se sont ajoutés 3 000 déplacés de Syrie, Palestiniens et Syriens –, « les moyens sont réduits », préviennent les responsables du comité populaire qui gère ce camp considéré comme l’un des plus pauvre du Liban. « Il n’y a pas d’eau potable et l’électricité n’est pas disponible toute la journée », disent-ils. Tout dépend, ou presque de l’Unrwa, l’agence des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens, que ce soit pour des accouchements, l’éducation des enfants ou la collecte des déchets. Or, celle-ci est confrontée à sa « plus grave crise financière » depuis sa création : Washington a annoncé, en janvier, le gel de 65 millions de dollars sur les 125 millions de contribution volontaire prévus. Dans une lettre envoyée en juillet à son personnel, le directeur de l’agence onusienne, Pierre Krähenbüh, a affirmé que les programmes qui pourraient avoir à pâtir de ce manque de fonds étaient ceux relatifs à l’emploi, l’aide au logement et le soutien pour les maladies mentales. Mais ces coupes menacent également les centaines d’écoles et d’hôpitaux de l’Unrwa, cruciaux pour les 5 millions de réfugiés palestiniens au Liban et dans le reste du monde. Pour Fouad Daher, membre du comité populaire de Bourj el-Barajneh (près de Beyrouth) et par ailleurs responsable régional du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), « ils veulent se débarrasser de l’Unrwa car c’est le symbole du droit au retour et de l’existence des réfugiés ». Concrètement, l’agence va fermer des écoles et procéder à des regroupements d’établissements qui accueilleront les élèves de plusieurs camps. « Les conséquences pour la vie des enfants seront importantes, prévient Fadwa, une enseignante employée par l’Unrwa et qui risque de perdre son emploi. Il y aura un véritable problème pour les transports, financièrement il n’est pas certain que les familles pourront suivre et, de plus, cela aboutira à des classes de 50 élèves. » Et d’ajouter : « L’enfant qui ne va pas à l’école se retrouve dans la rue, exposé aux drogues, aux groupes terroristes. Nous sommes face à une situation catastrophique. »
« Il n’y pas d’eau potable et pas toujours d’électricité »
L’attaque contre l’Unrwa se double d’une polémique sur le nombre de réfugiés palestiniens au Liban. « Nous ne sommes pas et nous ne voulons pas être des chiffres », tonnent les comités populaires des camps. Fouad Daher fait remarquer que lui et sa famille n’ont pas été recensés ! Il voit là « un moyen pour dire que les Palestiniens ne sont pas nombreux et qu’ils peuvent être naturalisés libanais, ce qui ferait disparaître la possibilité de revenir en Palestine ». La manœuvre extérieure est grossière – quel que soit le nombre de réfugiés au Liban, le droit au retour reste posé. L’ambassadeur de Palestine au Liban, Ashraf Dabbour, estime que « le moment est dangereux et critique pour la cause palestinienne. Ils veulent tout à la fois effacer le droit au retour et en finir avec le projet national palestinien ».
Devant le panneau « bleu ONU » de l’école de l’Unrwa, à Borj el-Chamali, des myriades d’enfants, insouciants comme on peut l’être à cet âge, courent et crient comme devant n’importe quelle école du monde. Mais ici, à côté des Schtroumpfs – bleus évidemment – peints sur le mur, on peut lire : « Palestine, nous ne t’oublierons pas ».
« Ils veulent effacer le droit au retour et en finir avec le projet national palestinien. »
Ashraf Dabbour ambassadeur de Palestine au Liban
Une solidarité franco-palestinienne
L’association de jumelage des camps de réfugiés palestiniens avec les villes françaises, créée par Fernand Tuil, malheureusement disparu, a permis de faire vivre concrètement le droit au retour des réfugiés palestiniens. Des dizaines de municipalités, en France, ont maintenant des liens réguliers avec des camps. Récemment, l’association s’est rendue au Liban (avec des représentants de villes comme La Courneuve, Mitry-Mory ou Avion notamment) pour apporter des équipements médicaux. Sa secrétaire générale, Isabelle Tordjman, souligne que plus que l’aide, le combat principal concerne le retour en Palestine.
Mardi, 7 Août, 2018 Pierre Barbancey pour l’Humanité.