Plan de paix de Trump au Moyen-Orient : vers le « fiasco du siècle »
Nouvelles élections en Israël, début de la campagne présidentielle américaine et absence de référence à l’État palestinien : le plan américain est dans l’impasse.
L’interminable attente touchait à sa fin. Deux ans après son annonce, l’« accord du siècle » de Donald Trump pour résoudre l’épineux conflit israélo-palestinien devait enfin être annoncé en ce début de juin, après le mois du ramadan. À la baguette, Jared Kushner, l’influent conseiller et gendre du président américain. L’homme d’affaires de 39 ans, pourtant novice en diplomatie, avait tout prévu. Après avoir soigneusement attendu la tenue des élections législatives israéliennes du 9 avril dernier, il devait se rendre à Jérusalem le 30 mai, au lendemain de la date butoir pour la formation d’un gouvernement par Benjamin Netanyahu, dont le Likoud est arrivé en tête aux élections.
Si la réunion entre les deux hommes a bien eu lieu jeudi dernier, elle s’est achevée par cette déclaration à la presse du Premier ministre israélien sortant : « Même si nous avons eu un petit incident la nuit dernière, cela ne va pas nous arrêter. » Un euphémisme pour évoquer l’échec cuisant essuyé la veille par « Bibi », incapable de former une coalition avec l’extrême droite nationaliste et les partis ultra-orthodoxes, ne lui laissant guère d’autre choix que de pousser à la dissolution de la Knesset (le Parlement israélien). Le prochain scrutin se tiendra le 17 septembre, alors que la campagne présidentielle de Donald Trump pour sa réélection aura déjà commencé (elle doit débuter le 18 juin, NDLR).
« C’est toute la stratégie et le calendrier de Donald Trump qui sont mis en péril », souligne Denis Charbit [1], maître de conférences en sciences politiques à l’Open University of Israël. « Un gouvernement israélien ne pourra voir le jour qu’en octobre ou novembre, et l’année prochaine a lieu l’élection présidentielle américaine. » Difficile en effet d’imaginer un Premier ministre israélien, paralysé par la campagne à venir, négocier un accord de paix avec les Palestiniens, tout comme un président américain mettre en jeu son crédit politique sur un dossier aussi compliqué l’année de sa possible réélection. L’agacement de Donald Trump était d’ailleurs palpable dimanche à la Maison-Blanche. « Israël a semé la pagaille avec son élection », a lancé dimanche le milliardaire américain à la presse, selon l’agence Reuters, en visant sans le nommer Benjamin Netanyahu. Et le président d’exhorter les partis israéliens de droite à « se débrouiller ensemble ».
« De la paix à la prospérité »
Si le volet politique de « l’accord du siècle » est bel et bien remis à plus tard, les États-Unis ont fait savoir qu’ils maintenaient la conférence sur l’aspect économique du plan, qu’ils coorganisent avec Bahreïn les 25 et 26 juin prochains à Manama. Intitulée « De la paix à la prospérité », cette initiative vise à « partager des idées, évoquer des stratégies et encourager le soutien à des investissements et initiatives économiques potentiels qui pourraient être rendus possibles par un accord de paix », selon le communiqué commun des organisateurs. « Israël viendra en grande pompe, car cette conférence lui est extrêmement favorable », analyse le politologue Denis Charbit. « Benjamin Netanyahu a tout intérêt à montrer qu’il arrive à nouer des relations avec les pays arabes dits modérés. »
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui doivent assurer une grande partie du financement, ont d’ores et déjà annoncé leur intention de participer à la conférence de Manama. « Les Saoudiens tentent aujourd’hui de rassembler sous un même étendard tous les pays arabes du Golfe sur ce plan, en dépit du rejet de l’opinion publique arabe », explique Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques de l’université Saint-Joseph de Beyrouth. « Or, autant les princes héritiers d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, et d’Abu Dhabi, Mohammed ben Zayed, sont prêts à suivre le plan de Jared Kushner, autant ce n’est pas le cas de la vieille garde que représentent le roi saoudien Salmane et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, qui auront beaucoup plus de réticences à entériner ce genre de décision tant que les droits palestiniens fondamentaux ne seront pas respectés. »
Miracle ou mirage ?
Sans surprise, les Palestiniens ont donc fait savoir qu’ils ne seraient pas présents à Manama. « Les tentatives visant à promouvoir une normalisation économique de l’occupation israélienne de la Palestine seront rejetées », a prévenu Saëb Erekat, secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine, regrettant que la partie palestinienne n’ait pas été consultée avant la tenue de la conférence. De la même manière, nombre d’hommes d’affaires palestiniens qui avaient été conviés ont décliné l’invitation.
« L’initiative a été rejetée par les Palestiniens, car la volonté de trouver une solution économique pour faire oublier la crise politique a déjà été tentée plusieurs fois, avec Shimon Pérès au début des années 1990 et sous la houlette du Premier ministre palestinien Salam Fayyad dans les années 2000 », rappelle Karim Émile Bitar, également chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques. « Or, à chaque fois, le “miracle économique” promis s’est transformé en mirage. Et cela restera le cas tant que les questions de fond (réfugiés palestiniens et statut de Jérusalem) ne seront pas réglées. »
Diktat
Pour Jason Greenblatt, conseiller de Donald Trump pour le Proche-Orient et autre artisan du plan Trump, les Palestiniens commettraient « une erreur » s’ils ne venaient pas à Manama. « Ils n’ont rien à perdre et beaucoup à gagner s’ils veulent nous rejoindre », a-t-il souligné. D’après cet avocat, ancien vice-président de la Trump Organization, la réunion vise à « transformer les vies des Palestiniens », une « première étape d’un processus » avec pour but final un accord politique entre Israéliens et Palestiniens.
Problème, Donald Trump s’est déjà mis à dos la partie palestinienne en écartant Jérusalem de la table des négociations lorsqu’il a reconnu en décembre 2017 la ville sainte comme capitale d’Israël. Rejetant depuis tout pourparlers, l’Autorité palestinienne, qui accuse les États-Unis de parti-pris pro-israélien, s’est vue sanctionnée au portefeuille par Washington qui a mis fin à son financement de l’Autorité palestinienne ainsi qu’à celui de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (l’UNWRA). Or, derrière ce geste, c’est bien le statut des cinq millions de réfugiés palestiniens que Washington entend remettre en cause.
« L’administration Trump s’est alignée, sans mettre les formes, sur les positions les plus maximalistes de la classe politique israélienne et des ultras saoudiens, sans se rendre compte que les Palestiniens, bien qu’en position de faiblesse, ne peuvent se résoudre à accepter une offre qui est perçue comme un diktat »
, souligne Karim Émile Bitar. « Or, tant que la dignité des Palestiniens sera considérée comme bafouée, l’accord du siècle sera le fiasco du siècle », estime-t-il.
Enregistrement pirate
Si les termes exacts du plan américain n’ont toujours pas été rendus publics, Jared Kushner en a suggéré quelques lignes directrices à Washington début mai. S’exprimant lors d’une conférence organisée par le think tank Washington Institute, le gendre du président a annoncé une rupture avec les précédents plans de paix israélo-palestiniens en annonçant la fin de la « solution à deux États », pourtant référence de la communauté internationale depuis sept décennies. Réputé proche du Premier ministre israélien, Jared Kushner a assuré que son plan « s’attaque à beaucoup de sujets », « probablement d’une manière plus détaillée que jamais auparavant ». Mais il a de nouveau enterré lundi les accords d’Oslo (1993) en mettant en doute, dans une interview au site américain Axios, la capacité des Palestiniens à se gouverner eux-mêmes, sans ingérence israélienne. Le conseiller de Donald Trump a néanmoins invité à attendre la divulgation de son plan de paix avant de le juger.
Cela fait maintenant deux ans que des éléments précis, présentés comme des fuites du plan, sont publiés dans la presse américaine et israélienne, offrant une idée globale du texte à venir. « La tendance générale est que les Palestiniens n’obtiendront pas de souveraineté sur Jérusalem, que les blocs de colonies israéliennes ne seront pas démantelés – avec une incertitude sur les colonies dites sauvages –, et qu’une présence israélienne sera maintenue sur le reste du territoire pour la sécurité des Palestiniens », confie un expert du conflit qui souhaite rester anonyme. « Mais avec l’impossibilité en ce moment des Israéliens de négocier, le peu de probabilité que Trump présente son plan en pleine campagne et l’absence de pression forte exercée sur la partie palestinienne, il est très vraisemblable que le plan ne voie pas le jour avant la prochaine présidentielle américaine. »
Le doute quant à la viabilité de « l’accord du siècle » de Donald Trump s’est encore renforcé dimanche avec la révélation par le Washington Post d’un enregistrement pirate du secrétaire d’État américain Mike Pompeo. S’exprimant mardi dernier devant des organisations juives américaines, à la veille de l’annonce de la dissolution de la Knesset, le chef de la diplomatie américaine, qui n’a pas participé à l’élaboration du plan, fait part de ses craintes que celui-ci ne soit accueilli avec scepticisme et considéré comme « inapplicable ». « Je comprends pourquoi les gens pensent qu’il s’agit d’un accord que seuls les Israéliens pourront aimer », confie-t-il à ses interlocuteurs. « Je comprends cette perception. J’espère juste qu’on laissera la place à l’écoute. »
Voir aussi :« Le plan de paix de Trump au Moyen-Orient pourrait être un échec, selon Pompeo » (RFI)
[1] Denis Charbit, auteur de « Israël et ses paradoxes : idées reçues sur un pays qui attise les passions » (Éditions Le Cavalier Bleu, 2018)