Pour les Palestiniens de Cisjordanie, c’est une exception, pas une « vague de terreur »
Si l’opinion publique palestinienne comprend les motivations des attaquants, la grande majorité ne choisit pas cette voie, qui ne fait pas avancer leur cause, et émet des réserves quant au fait de cibler des civils. Mais la condamnation ? Que les Israéliens commencent par condamner la violence qu’ils exercent contre les Palestiniens.
Amira Hass 06/04/22 En Israël-Palestine
Les trois actes de meurtre-suicide perpétrés par quatre Palestiniens – des deux côtés de la Ligne verte – en moins de deux semaines ne font que souligner l’absence d’un organe politique palestinien de premier plan, employant une stratégie unique, claire et unificatrice. Les attaques reflètent les divisions internes et la conscience douloureuse de la faiblesse palestinienne et de son incapacité à agir face à la puissance d’Israël. D’un autre côté, le fait que si peu choisissent cette voie, malgré sa disponibilité, indique une compréhension politique plus large que de telles attaques ne font pas avancer la cause palestinienne.
La grande majorité vote avec ses pieds : elle sait que les attaques de loups individuels motivées par le désespoir ou la vengeance n’ont rien donné, ne donnent rien et ne donneront rien. Elles ne changeront pas l’équilibre des forces. Le public palestinien de Cisjordanie le comprend sans être ainsi dirigé d’en haut, sans discours public ouvert sur le sujet et alors que ses organisations politiques, principalement celles de l’Organisation de libération de la Palestine et de l’Autorité palestinienne, sont au plus bas en termes de pouvoir et de confiance du public – et sont en conflit et en concurrence les unes avec les autres plus que jamais auparavant.
Chaque Palestinien, des deux côtés de la ligne verte, a de nombreuses raisons de souhaiter que les Israéliens souffrent, car ce sont eux, et pas seulement leur gouvernement, qui sont responsables de la situation difficile des Palestiniens. Il est probable que c’était le souhait des quatre meurtriers suicidaires – indépendamment de leur origine, de leur situation familiale ou de leur caractère individuel. Les Israéliens savent immédiatement, puisqu’il existe tout un appareil diffusant de telles informations, quel agresseur avait été arrêté auparavant, après quelle attaque des bonbons ont été distribués et à côté de la maison de quel agresseur des jeunes ont fait la fête (avec un manque total de respect pour la douleur de la famille). Mais les Israéliens, dans l’ensemble, ne s’intéressent pas à la mesure dans laquelle Israël, et eux-mêmes, en tant que citoyens, font constamment et depuis de nombreuses décennies du tort aux Palestiniens, en tant qu’individus et en tant que peuple.
Cet énorme écart entre la connaissance spécifique et l’ignorance volontaire suffit à expliquer pourquoi le public palestinien de Cisjordanie et de la bande de Gaza est indifférent aux récentes attaques d’individus, qu’elles soient commises par des citoyens israéliens ou des résidents de Cisjordanie, et n’obéit pas aux demandes israéliennes de condamner ces meurtres. Ce qui est remarquable, ce n’est pas que les agresseurs aient échappé à l’attention du Shin Bet, mais que malgré leur compréhension des motivations des assaillants, la grande majorité des Palestiniens ne choisissent pas cette voie.
Des milliers de Palestiniens sans permis de travail entrent ouvertement en Israël chaque jour par les multiples brèches de la barrière de séparation. Cela se passe depuis des années, au vu et au su de l’armée et de la police. Comme chacun sait, les Palestiniens d’Israël et de Cisjordanie disposent d’une grande quantité d’armes et de munitions. Ces deux faits ont pu engendrer de nombreuses autres attaques de vengeance par des individus qui n’ont pas pu être découverts à l’avance, tant par les citoyens palestiniens d’Israël que par les résidents de Cisjordanie. Même si des imitations se produisent dans les semaines à venir, comme l’attaque au tournevis de jeudi, pour les Palestiniens, le nombre de ces attaques est dérisoire par rapport à l’ampleur de l’injustice qu’Israël leur inflige, et à son caractère systématique.
Chaque Palestinien a de bonnes raisons de vouloir fissurer la fausse normalité dont jouissent les citoyens juifs, qui, dans l’ensemble, ignorent le fait que leur État agit sans relâche, jour et nuit, pour déposséder davantage de Palestiniens de leurs terres et de leurs droits collectifs et historiques en tant que peuple et société. Afin d’atteindre cet objectif, Israël maintient un régime d’oppression continu. Il s’agit d’une violence bureaucratique telle que les interdictions de construire, de développer et de circuler qui discriminent les Palestiniens en faveur des Juifs, dans le Néguev, en Galilée et en Cisjordanie ; d’une violence disciplinaire par la surveillance, les raids nocturnes et les arrestations ; et d’une violence physique telle que la torture pendant les interrogatoires et les détentions, les attaques régulières des colons, et les blessures et les décès aux mains des soldats et des policiers principalement, mais aussi aux mains des civils israéliens. Le fait que les auteurs de ces actes soient l’État, ses institutions et ses citoyens ne rend pas cette violence acceptable, légitime ou justifiée aux yeux des Palestiniens, qui représentent la moitié de la population vivant entre le Jourdain et la Méditerranée.