Pourquoi tant de juifs dénoncent-ils la guerre d’Israël contre Gaza ?

mercredi 29 novembre 2023

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YAKOV M. RABKIN14 NOVEMBRE 2023

Yakov M. Rabkin analyse les nombreuses manifestations de juifs protestant contre l’agression israélienne et pour les droits des Palestiniens. Le professeur émérite d’histoire revient sur l’opposition historique entre judaïsme et sionisme. Et si la propagande israélienne a tenté de résoudre cette contradiction en développant une nouvelle forme de judaïsme, Rabkin souligne que l’opposition est toujours bien présente et même ravivée par les politiques israéliennes. (I’A)

Il existe une profonde division entre les sionistes, défenseurs d’Israël, d’une part, et, d’autre part, les juifs, tant pratiquants que non pratiquants, qui rejettent le sionisme et donc l’idée même d’un État séparé pour les juifs. De nos jours, la plupart des juifs se situent quelque part entre les deux. Pendant longtemps, ils se sont plaints des actions d’Israël sans pour autant remettre en question la nature ethnocratique de l’État israélien. Pour eux, le « droit d’Israël à exister » est fondamental afin d’assurer durablement la sécurité physique des juifs israéliens. Même si la plupart d’entre eux vivent dans des démocraties libérales, il leur est difficile de concevoir qu’Israël puisse changer de nature, comme l’a fait l’Afrique du Sud il y a quelques décennies, et devenir un État libéral avec des droits égaux pour tous sur l’ensemble du territoire, sous contrôle israélien, entre la Méditerranée et le Jourdain.

La véhémence de l’assaut d’Israël sur Gaza a conduit de nombreux juifs dans le monde, en particulier les jeunes, à refuser toute association avec l’État d’Israël. D’autres, tout aussi nombreux, refusent de rester dans le silence et dénoncent la réponse vengeresse d’Israël à l’attaque brutale du Hamas sur son territoire le 7 octobre 2023.

Peu après le début de l’opération israélienne contre Gaza des centaines de manifestants juifs ont bloqué la gare centrale de New York pour demander un cessez-le-feu immédiat. Une semaine plus tôt, des juifs enveloppés dans des châles de prière avaient organisé un sit-in devant le Congrès américain à Washington. Après avoir réclamé la fin des violences, ils ont ouvert leurs livres de prières et commencé à réciter les mots anciens qui ont soutenu les juifs pendant des générations. Il y a quelques jours, des juifs ont déployé des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Les Palestiniens doivent être libres » au pied de la Statue de la Liberté à New York.

Des juifs ultra-orthodoxes antisionistes ont pris une part active dans les manifestations d’appui aux Palestiniens dans le monde entier. Ils estiment que l’État sioniste n’est pas simplement une « appropriation » de leurs symboles et de leur identité juive, mais qu’il est en plus à l’origine d’un conflit sanglant dans lequel souffrent des juifs et des Palestiniens innocents.

En effet, Israël est un État sioniste. Il incarne le nationalisme ethnique est-européen façonné à la fin du XIXe siècle, plutôt que le judaïsme qui s’est développé pendant des millénaires. Dès le départ, les sionistes ont méprisé les juifs traditionnels et le judaïsme, car ils cherchaient à créer une nouvelle espèce : l’intrépide fermier guerrier hébreu. Ils ont réussi au-delà de leurs rêves les plus osés. Israël a construit une société mobilisée et une formidable machine de guerre de haute technologie. Au fur et à mesure que la société israélienne s’est déplacée vers la droite, elle a consolidé le soutien des extrémistes de droite, racistes et même ouvertement antisémites, dans le monde entier, comme les suprématistes blancs aux États-Unis.

Israël est la colonie de peuplement la plus récente. La Rhodésie et l’Algérie ne sont plus qu’un lointain souvenir. L’Afrique du Sud s’est libérée de l’apartheid officiel. Alors que les colons des Amériques et de l’Océanie ont perpétré un génocide contre les aborigènes au XIXe siècle, Israël a entamé un nettoyage ethnique massif assez tardivement, en 1947 seulement. Certains, comme l’historien israélien Benny Morris qui l’a documenté, ont regretté que les sionistes n’aient pas achevé le travail comme les Blancs américains, argentins ou australiens, qui se sont débarrassés de la majeure partie des populations locales. Par contre, Israël contrôle aujourd’hui un nombre à peu près égal de Palestiniens et de juifs, mais la plupart des Palestiniens n’ont pas de droits politiques.

De nombreux juifs, en Israël et ailleurs, ont tenté de résoudre les contradictions entre le judaïsme auquel ils prétendent adhérer et l’idéologie sioniste qui s’est emparée d’eux. Une nouvelle forme de judaïsme a pris racine en Israël : le national-judaïsme, dati-leumi en hébreu. Pour certains juifs, cette nouvelle foi apaise ces contradictions et donne un sens religieux à leur engagement sioniste.

Parmi ses plus fervents adeptes, on trouve l’assassin du premier ministre Itzhak Rabin, qui avait tenté de trouver un compromis avec les Palestiniens, et des membres éminents du gouvernement israélien dont certains avaient été condamnés dans le passé pour terrorisme. Le national-judaïsme est également l’idéologie de nombreux colons membres de milices privées qui, depuis le début de la guerre contre Gaza, ont intensifié le harcèlement, la dépossession et le meurtre de Palestiniens en Cisjordanie. Ces militants armés de fusils sont fiers de compléter ce que l’armée israélienne fait avec des chars, des bombes et des roquettes à Gaza.

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Source : INVESTIG’ACTION