Shoah, conflit israélo-palestinien et antisémitisme au collège

dimanche 21 août 2016

L’enseignement de la Shoah peut amener des débats houleux avec certains élèves qui voudraient que l’on évoque davantage le conflit israélo-palestinien. Tout en ne négligeant pas l’enseignement de la Shoah, il ne faut pas évincer l’enseignement de ce conflit qui cristallise de fortes tensions communautaires dans notre pays.

Récit d’un débat intense avec un élève sur ce sujet puis sa rencontre avec une déportée juive pleine d’humanité, Ginette Kolinka.

« Ça me soûle Monsieur, on parle que des juifs à l’école !
Mais pourquoi tu dis ça ? Je fais un cours sur la Shoah aujourd’hui et tu as étudié le judaïsme en sixième il y a trois ans. Dans quel autre cours ai-je parlé des juifs sinon ?

Ah bon ? J’ai l’impression qu’on ne parle que de ça comme à la télévision et pourquoi vous ne faites pas un cours sur les Palestiniens alors !??

* Attends Anis, chaque chose en son temps, on étudie la Shoah aujourd’hui, ce n’est pas le moment d’évoquer le conflit israélo-palestinien qui a éclaté après.

* Ce n’est jamais le moment de toute manière ! On ne parle jamais des Palestiniens à l’école (une partie de la classe acquiesce).

* Vous en avez bien parlé en arts plastiques quand tu as étudié les pochoirs de Banksy sur le mur de séparation à Bethléem, non ?

* Oui mais pas avec vous, on va étudier l’histoire des Palestiniens cette année ou pas ?

* Écoute, laisse-moi faire ce cours sur la Shoah et promis on passera une heure à étudier ce conflit. »

Le débat s’envenime malgré mes tentatives d’apaisement. Anis est un élève intelligent mais difficile qui perturbe fréquemment les cours et là, il me déballe en quelques minutes un concentré de propos antisémites et de théories complotistes.

Chaque année, une minorité d’élèves tient ce genre de discours et font un terrible anachronisme en m’expliquant que les juifs ont mérité la Shoah au regard de ce qu’ils infligent aujourd’hui aux Palestiniens. Oui, les propos de ces adolescents sont antisémites. Cependant, cet antisémitisme est superficiel et il peut être combattu assez aisément. Cela ne me met plus mal à l’aise comme quand j’ai débuté, bien au contraire.

Même si je souhaite que mon cours sur le génocide juif se fasse sur un ton solennel, comme pour tous les autres cours où l’on évoque des drames de l’humanité d’ailleurs, les remarques de certains élèves me permettent ensuite de déconstruire leurs préjugés. S’il fallait exclure ou sanctionner tous ces élèves, on abandonnerait cette tâche essentielle qui nous est demandée : les instruire pour qu’ils décryptent le monde d’une manière plus objective dans une optique de tolérance et de vivre ensemble.

Ce jour de janvier, Anis n’a pas voulu en démordre, la France et l’Éducation nationale étaient selon lui totalement partisanes dans leur manière d’aborder l’histoire et omettaient délibérément les souffrances des Palestiniens. Évidemment, c’est faux mais force est de constater qu’au collège, les programmes d’histoire préfèrent ne pas traiter ce conflit d’une manière frontale, par peur ou par ignorance du fait qu’il cristallise beaucoup de tensions communautaires. Alors que ce conflit prend naissance dans un contexte de guerre froide, on ne doit l’évoquer que lors d’un thème sur « la géopolitique du monde actuel » après l’effondrement du monde communiste. On lit ceci dans le bulletin officiel que l’on doit suivre pour construire nos cours : « La persistance d’un foyer de conflits au Moyen-Orient ». Cette consigne très vague fait que les manuels préfèrent faire un dossier très général à partir d’une carte sur les différents conflits au Moyen-Orient (guerre du Golfe, d’Afghanistan, conflit israélo-palestinien, etc.). Rien de nouveau d’ailleurs dans les programmes qui seront mis en place à la rentrée 2016 avec la réforme du collège.

Certains défendent cet angle d’étude en expliquant que le conflit israélo-palestinien est étudié en classe de terminale, qu’il est trop complexe de l’enseigner dès le collège et que son importance est limitée dans les conflits actuels.

Cet argument n’est pas valable selon moi car on oublie que de nombreux élèves n’iront pas jusqu’à la terminale et parmi eux, ceux là mêmes qui sont les plus virulents dans nos cours et qui auraient donc le plus besoin de cet enseignement dès la troisième.

J’ai donc fait un cours quelques semaines après cette étude de la Shoah sur ce conflit. Il a bien évidemment déconstruit de nombreux préjugés comme celui de croire qu’il s’agit d’une guerre de religion entre l’islam et le judaïsme (même si certains belligérants, des deux côtés d’ailleurs font tout pour qu’on l’interprète ainsi) mais bien un conflit territorial. Les dirigeants des pays arabes ne soutiennent pas unanimement le peuple palestinien comme ils le pensaient et de nombreux Palestiniens chrétiens se sont battus pour la Palestine à l’instar de Georges Habache, l’un des fondateurs du Front populaire de libération de la Palestine.

Quatre cartes ont ensuite montré l’évolution territoriale depuis 1948 entre l’Etat d’Israël et les territoires palestiniens. Cette heure de cours fut donc très bénéfique car le simple fait de parler de l’histoire du peuple palestinien a évincé cette croyance dans un soi-disant complot sioniste visant à nier l’histoire de cette nation. De nombreux élèves semblaient ainsi satisfaits.

Le 5 mai, ces mêmes élèves de troisième ont reçu la visite de Ginette Kolinka, une déportée juive rescapée du camp d’Auschwitz-Birkenau qui fait le tour des établissements français depuis une vingtaine d’année. Malgré quelques craintes, Anis a évidemment assisté à cette conférence et nous avions convenu que toutes ses questions ne portant pas sur la Shoah soient posées à la fin de l’intervention.
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Rencontre avec Ginette Kolinka (au centre), déportée juive.
Photo : Jean-Riad Kechaou.

Durant deux heures, avec beaucoup d’émotions mais aussi beaucoup d’humour, Mme Kolinka leur a raconté son adolescence à Paris dans une famille de juifs communistes, son arrestation et sa déportation vers le camp d’Auschwitz. Tout au long de son intervention, elle leur a rappelé que son témoignage avait pour objectif de lutter contre la montée du racisme et des drames qu’il engendre.

Anis lui a posé ce jour-là de nombreuses questions en lien avec son récit. Il a ensuite attendu la fin de l’heure que la salle se vide pour aller à sa rencontre. Il aurait pu les poser devant tous ses camarades mais il a préféré agir ainsi. Il lui a demandé de manière très maladroite pourquoi les juifs « faisaient toujours les victimes » et que d’ « autres peuples souffrent autant comme les palestiniens persécutés par les juifs ». Il a enchaîné sur une version complotiste de la prise d’otage de l’Hyper Casher en janvier 2015 expliquant que cela permettait aux juifs de renforcer leur victimisation. Je fus un peu gêné par ces phrases prononcées sans ménagement de sa part. Pourtant, dans un grand sourire, Mme Kolinka l’a d’abord remercié d’être venu à sa rencontre pour lui poser toutes ces questions et salué son courage. Elle lui a ensuite répondu avec beaucoup d’humanité qu’elle ne niait pas les souffrances des Palestiniens et qu’il fallait distinguer les juifs du gouvernement israélien. Enfin, elle lui a rappelé qu’il fallait aller sur place pour avoir une idée bien plus précise du conflit et constater que de nombreux Israéliens ne sont pas contre les Palestiniens. A la fin de sa réponse, en le fixant droit dans les yeux, elle lui a demandé s’il était possible qu’un « jeune arabe » puisse faire la bise à une « vieille juive ». Anis s’est exécuté et elle l’a embrassé chaleureusement. Le jeune adolescent est parti ému par cette scène qu’il venait de vivre. Avant de quitter le collège, Ginette Kolinka m’a remercié de lui avoir présenté ce jeune homme qui avait éclairé sa journée. Un joli moment.

Quelques jours plus tard, Anis m’a confié « avoir été touché par ses réponses sincères et appris à ne plus faire d’amalgames entre les juifs et Israël ». Surtout, il m’a avoué que c’était la première juive qu’il voyait « en vrai », ce qui confirme ce que je pense depuis longtemps : les jeunes de banlieue comme Anis fantasment souvent sur les juifs à travers les médias pas toujours français d’ailleurs. Pour résumer, les juifs sont donc soit des riches qui passent à la télévision comme Cyril Hanouna, soit des militaires qui tirent sur des enfants palestiniens. La venue de Ginette Kolinka fut un traitement radical contre cet antisémitisme balbutiant chez cet adolescent. Une juive athée issue d’une famille communiste au discours humaniste et bienveillant, on ne pouvait rêver mieux pour déconstruire tous ces préjugés. On peut d’ailleurs voir cette grande dame à l’œuvre dans le documentaire diffusé en février sur France 2 « Les Français c’est les autres », réalisé par Mohamed Ulad et Isabelle Wekstein-Steig.

A travers ce récit, il ne s’agit pas de faire croire que l’on peut éradiquer l’antisémitisme avec un cours sur le conflit israélo-palestinien ou la venue d’une déportée juive mais cet antisémitisme n’a selon moi rien à voir avec celui présent en Europe dans les années 1930 beaucoup plus ancré dans les mentalités. Pour le combattre il faut déjà écouter cette colère en réalisant que de nombreux élèves s’identifient aux jeunes palestiniens peut-être à cause d’un sentiment d’exclusion (géographique, sociale, culturelle, religieuse). Mieux vaut donc qu’ils étudient ce conflit dans un cadre institutionnel car ils iront sinon chercher ailleurs les réponses qui conforteront leurs visions des choses.

Un livre est sorti récemment reprenant ces différentes thématiques. Basé sur des faits réels, « Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants », roman historique écrit par Nadia Hathroubi-Safsaf, raconte un épisode peu médiatisé de la seconde guerre mondiale, celle des Justes musulmans. Leïla, jeune parisienne d’origine algérienne découvre que son grand-père Salah, un franc-tireur kabyle, a sauvé la vie du grand-père juif de sa meilleure amie Sarah. Les deux filles se brouillent à cause du conflit israélo-palestinien et la quête de Leïla pour que son grand-père Salah soit reconnu comme Juste parmi les nations devient ainsi un bon moyen pour les réconcilier.
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© PolitisNadia Hathroubi-Safsaf, Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants, Edition Zellige, 2016, 176 pages.

J’invite mes collègues à faire lire ce livre passionnant à nos élèves. Il est non seulement un éclairage pédagogique pertinent sur le Paris de l’occupation, mais il permet de cesser d’opposer les juifs et les musulmans en rappelant qu’il n’y a pas si longtemps, ces deux communautés vivaient fraternellement. Un exemplaire dédicacé par l’auteure doit d’ailleurs être envoyé à Mme Kolinka ravie d’apprendre une telle initiative.
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Politis - le 3 juin 2016
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