Simon Assoun : « Comment en sommes-nous arrivés là ? De quelle histoire sommes-nous le produit ? »
Simon Assoun 31/03/24 Analyses, opinions & débats | Antisémitisme | Les plumes de l’UJFP |— thématiques : Judaïsme - Judéité, Sionisme - Antisionisme
Intervention de Simon Assoun au meeting juif international du 30 mars 2024 – Table 3 « Réinventer nos diasporas »
S’il est question maintenant de parler de la « réinvention de nos diasporas », c’est-à-dire, finalement, de réfléchir à ce que c’est qu’être juif, à ce qu’est le monde dans lequel nous vivons et à ce que doit être notre place dans ce monde, alors il est difficile, voire impossible, de ne pas prendre comme point de départ de cette réflexion, la violence inouïe qui se déploie en ce moment même à Gaza et les crimes qui y sont commis. Car cette violence, ces crimes, certes nous n’en sommes pas coupables, mais parce qu’ils sont commis par un État dont la prétention identitaire fermée à être l’État juif, l’État des Juifs, nous interpellent et nous obligent, ils abiment notre humanité collective, et, alors que certains, enfin, parlent de « risques génocidaires » à Gaza, il nous revient en premier de regarder la réalité en face et témoigner de ce que cet État inflige à la population palestinienne devant les yeux du monde entier, et de dire : oui, un génocide est commis, le crime n’est pas à venir, mais déjà là. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : il y aura un avant et un après Gaza 2023 et il nous revient de décider d’y faire face et de prendre nos responsabilités devant l’histoire.
C’est pourquoi je crois que se poser la question de notre rapport au monde et de notre subjectivité collective revient d’abord à se demander : comment en sommes-nous arrivés là ? De quelle histoire sommes-nous le produit ?
Réinterroger le passé à la lumière du présent apparaît comme le point de départ de tout changement et de toute tentative de jeter les bases d’une alternative culturelle et politique. L’histoire moderne des Juifs, c’est-à-dire l’histoire des relations entre la judéité et la modernité, ne se laisse pas facilement appréhender. Et cette difficulté tient notamment à ce que, dans cette histoire, nous comptons parmi les vaincus, et que ce sont les vainqueurs d’hier qui continuent aujourd’hui d’écrire l’histoire. Si le sionisme s’est si profondément ancré dans les affects de larges parties de nos communautés, c’est qu’il porte la prétention de racheter des siècles d’oppression, d’ouvrir un chemin vers la dignité et de sortir de ce statut de vaincus.
Et tout le drame de cette proposition, ce qui fait qu’elle n’est pas ce qu’elle prétend être, c’est qu’elle prend pour espace la Palestine, une terre peuplée par un peuple, le peuple palestinien, dont la dépossession et l’oppression sont la condition de réalisation de cette prétendue autodétermination.
Il est courant de faire débuter cette histoire moderne avec la Révolution française, qui malgré ses apories et ses contradictions, marque l’entrée des Juifs dans la modernité et ouvre une page particulièrement riche et vivante, intellectuellement, artistiquement, politiquement, de l’histoire juive. Un siècle et demi plus tard, Auschwitz, la destruction quasi-totale des Juifs d’Europe, marque la fin de la modernité juive, et résout dans la mort et la destruction l’antagonisme entre la construction des États-nations européens, cœur de la modernité, fondée sur l’homogénéité ethnique et culturelle, et une altérité juive insoluble dans ce cadre trop étroit.
Le paradoxe du sionisme, c’est qu’en même temps qu’il se veut une réponse et une solution à l’antisémitisme, historiquement à l’antisémitisme moderne occidental, il se fonde sur les mêmes postulats politiques et idéologiques. Il s’inscrit dans la même vision du monde que celle pour qui les Juifs, comme beaucoup d’autres, comptaient parmi les « peuples sans histoire », survivance d’un passé révolu et condamnés à disparaître dans la grande marche du progrès ; de ceux qui, convaincus de la supériorité européenne et de la suprématie blanche, voyaient dans les terres du sud des terres disponibles à l’accaparement brutal, et dans les population qui les peuplaient, des êtres insignifiants ; de ceux pour qui la survie des Juifs comme collectivité, à travers des deux millénaires d’existence sans État-nation, était une anomalie et la marque d’une dégénérescence à corriger.
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Source : UJFP