« Terrorisme agricole » : comment les colons israéliens détruisent les cultures palestiniennes
Vignes lacérées et champs de blé incendiés : alors que la saison des récoltes approche, les agriculteurs de Cisjordanie se retrouvent sans revenus, leurs cultures détruites par les colons que les enquêtes de police et la justice n’atteignent pas
Maher Karaje contemple son vignoble, autrefois luxuriant et verdoyant, qui fournissait l’essentiel des revenus de sa famille, composée de sept personnes (MEE/Akram al-Wa’ra)
HÉBRON, Cisjordanie occupée – Ce mardi matin-là, Maher Karaje, 50 ans, est parti s’occuper de son vignoble, comme presque tous les jours depuis des décennies, et il s’est retrouvé dans un cimetière.
Suspendues aux treilles construites par Karaje et son frère, les 450 pieds de vigne présentaient le tronc tailladé. Il n’a pas fallu plus de quatre jours pour que les ceps, seul moyen de subsistance de Karaje, se dessèchent.
« J’étais aussi abattu que si j’avais perdu un enfant », confie Karaje à Middle East Eye, sous la canopée des vignes maintenant jaunies et flétries, en bordure de la route principale de la ville de Halhoul (sud de la Cisjordanie), au nord d’Hébron.
« Ces vignes, c’était toute ma vie. Je les ai arrosées et j’ai pris soin d’elles tous les jours depuis des années, et maintenant tout est fichu ».
Le raid du 22 mai sur les vignes de Karaje a été mené une semaine seulement après une attaque étrangement similaire dans le village voisin de Beit Hanoun, où 400 vignes ont été dévastées, à quelques centaines de mètres du vignoble de Karaje, pris entre deux grandes colonies israéliennes.
À Beit Hanoun, un graffiti en hébreu près du vignoble détruit menaçait : « Nous irons vous chercher partout ». Karaje a trouvé un message identique, écrit à la bombe de peinture sur ses terres.
« Ils ont coupé les vignes juste deux mois avant une récolte que nous avons attendue toute l’année. Cette année, j’aurai un manque à gagner d’environ 80 000 shekels, ce que la vente des récoltes aurait dû me rapporter » Maher Karaje, agriculteur
« Aucun Palestinien, sachant ce que cette terre signifie pour notre peuple, ne ferait une chose pareille. C’est un coup des colons, j’en suis sûr », affirme-t-il.
Du haut d’un grand rocher surplombant son vignoble, vallée autrefois pittoresque et verdoyante, Karaje arrache les mauvaises herbes à ses pieds, comme pour se distraire de cette scène déchirante.
« Vingt ans. Pendant vingt ans, mon frère et moi avons travaillé ces vignes et en avons pris comme nous l’aurions fait de nos enfants », confie-t-il, les épaules voutées par la défaite.
« Je leur ai consacré toute ma vie et toutes mes forces. Pour les arroser et veiller à ce qu’elles poussent bien droites. En tailladant ces plants, c’est comme s’ils avaient coupé une partie de moi-même. À présent, remplacer les treillis et retravailler la terre nous coûtera environ 200 000 shekels [48 000 euros] », estime-il ajoutant qu’il faudrait six ans pour que les vignes dévastées se reconstituent.
En plus des coûts de reconstruction de l’infrastructure de son vignoble, Karaje sera bientôt confronté à d’autres pertes, avec le début imminent des récoltes.
Graffiti en hébreu sur la propriété de Maher Karaje, à quelques mètres du vignoble (MEE/Akram al-Wa’ra)
« Ils ont coupé les vignes juste deux mois avant une récolte que nous avons attendue toute l’année », résume Karaje à MEE. « Cette année, j’aurai un manque à gagner d’environ 80 000 shekels [20 000 euros], ce que la vente des récoltes aurait dû me rapporter. »
Karaje ne sera pas le seul à pâtir de ces pertes. Les vignes détruites, d’une superficie d’environ deux acres, soit un peu moins d’un hectare, constituaient la principale source de revenus pour son épouse et ses cinq enfants.
« Nous ne vendons pas seulement le raisin. Les gens nous achètent les feuilles de vigne pour faire la cuisine. Nous produisons de la mélasse de raisin, des confitures et quantité d’autres choses », souligne Karaje.
« Ce n’est pas seulement une grande perte pour ma famille, c’en est une pour Halhoul aussi, comme pour tous les agriculteurs palestiniens ».
Une attaque ciblée
En passant par les collines vallonnées du sud de la Cisjordanie, parsemées de colonies israéliennes illégales de toutes les tailles, les voyageurs découvrent des hectares et des hectares de vignes, un indice de leur arrivée à Hébron.
Des petites treilles individuelles sur les balcons des maisons aux immenses vignobles qui s’étendent sur des kilomètres, le raisin fait partie intégrante du patrimoine d’Hébron, le plus grand gouvernorat de Cisjordanie.
Des dizaines de milliers de Palestiniens travaillent toute l’année pour cultiver les fruits, qui commencent à apparaître pendant les mois d’été.
En Palestine, la récolte du raisin se fait entre août et octobre. C’est la raison pour laquelle les ravages commis sur le vignoble de Beit Hanoun et les terres de Karaje, quelques mois à peine avant la récolte, sont particulièrement dévastateurs.
À Hébron, l’agriculture représente le principal secteur de l’économie, et le raisin, la culture la plus répandue.
En 2013, les vignes représentaient 36,4 % de l’ensemble des terres agricoles cultivées en Cisjordanie. Le gouvernorat d’Hébron en est le plus grand producteur – 58 % de la production totale – d’après l’Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ).
Selon un rapport du Portail de l’économie palestinienne, au moins 7 500 familles palestiniennes d’Hébron sont tributaires des récoltes du raisin – leur principale source de revenus – et les bénéfices annuels du secteur dans la région avoisineraient les 35 millions de dollars (30 millions d’euros) par an.
Depuis quinze ans, Hébron organise chaque année une fête du raisin, où les agriculteurs apportent les fruits de leur travail, qu’ils vendent et exposent sur des étalages sophistiqués.
Pour Karaje et les 30 000 autres habitants de Halhoul, l’une des plus grandes villes de Cisjordanie, la viticulture fait partie intégrante du patrimoine de la communauté.
« Ici, à Halhoul, nous sommes réputés pour nos raisins et nos feuilles de vigne », affirme fièrement à MEEle maire de Halhoul, Hijazi Mereb.
« On n’imagine pas à quel point le raisin est important pour les gens d’ici », explique-t-il en ajoutant qu’environ 50 % des habitants de Halhoul sont agriculteurs.
Pour le maire, l’importance ces vignes à Hébron est comparable à celle des oliviers au nord de la Palestine, qui subissent chaque année des attaques similaires, perpétrées par des colons israéliens extrémistes, pendant la récolte des olives, début octobre).
« Nous pensons que les colons israéliens ont délibérément décidé de nous attaquer à ce moment précis, juste avant la saison des récoltes », s’emporte Hijazi Mereb.
Peu après l’attaque du vignoble de Karaje, les médias israéliens ont rapporté que la police israélienne enquêtait sur l’incident, ainsi que sur l’attaque précédente, à Beit Hanoun. Mais le maire exprime des réserves quant à l’issue de l’enquête.
« Nous souhaitons que les autorités israéliennes demandent des comptes aux colons responsables de ces crimes et de ces actes de terrorisme, mais je doute qu’ils le fassent », confie-t-il.
« Voici ce que j’ai à dire aux colons : même s’ils abattent nos arbres, nous en planterons d’autres, nous les arroserons et les ferons repousser, de toute notre âme et même au prix de notre vie », promet Hijazi Mereb avec passion.
« Même s’ils coupaient nos arbres tous les jours, jamais nous ne cesserions d’en replanter et de cultiver cette terre. C’est notre façon de résister ».
Terrorisme agricole
Moins de 24 heures après l’attaque contre le vignoble de Karaje, le feu a été mis à une plantation de cerisiers dans une colonie israélienne dans la région d’Hébron, une attaque présumée de Palestiniens. Et à Deirat, toujours dans la région d’Hébron, un champ de blé palestinien a été incendié, attaque attribuée à des colons israéliens.
L’attaque est survenue juste au moment où commençait la récolte du blé.
Sur les lieux, des graffitis en hébreu, avec cette menace : « Nous irons vous chercher partout » – les mêmes que ceux trouvés à Halhoul et Beit Hanoun.
Selon le journal Times of Israel, les agresseurs de Deirat ont également laissé des graffitis : « Assez du terrorisme agricole ! » – expression qu’utiliseraient les agriculteurs israéliens pour décrire les attaques contre leurs cultures, dont ils accusent les Palestiniens.
L’utilisation de ce terme par les colons israéliens heurte l’activiste palestinien Badee Dweik, 45 ans, qui estime que l’expression « terrorisme agricole » devraient être réservée aux agissements des colons israéliens qui, depuis longtemps, brûlent les champs et coupent les plants appartenant aux agriculteurs palestiniens.
« À mon sens, détruire nos récoltes est tout aussi grave que de nous tuer. Les raisins symbolisent la vie ici, et abattre nos pieds de vigne, c’est comme nous enlever la vie » Badee Dweik, activiste
« C’est un vrai massacre. Il n’y a pas d’autre mot pour ce vous voyez ici », conclut le militant en balayant d’un geste les hectares de vignes fanées appartenant à Karaje.
Il condamne l’inaction du gouvernement israélien pendant les enquêtes autour des crimes haineux contre les Palestiniens, affirmant que l’absence de toute arrestation et de toute sanction des colons ne fait que les encourager.
Ces derniers mois ont été marqués par une série d’attaques contre les Palestiniens et leurs biens, dont l’incendie d’une mosquée, des pneus crevés, en plus de graffitis clamant « mort aux Arabes », mais ces attaques n’ont donné lieu à aucune arrestation.
Les médias israéliens ont rapporté de récentes attaques contre des vignes et des champs de blé, et expliqué qu’elles étaient perpétrées par le mouvement « price tag » (destiné à faire payer aux Palestiniens toute exaction contre les colonies). Mais pour Badee Dweik, les souffrances des Palestiniens vont bien au-delà des pertes matérielles constatées dans leurs champs.
« À mon sens, détruire nos récoltes est tout aussi grave que de nous tuer. Les raisins symbolisent la vie ici, et abattre nos pieds de vigne, c’est comme nous enlever la vie. »
Source : middleeasteye.net par Yumna Patel
Yumna Patel est une journaliste multimédia freelance basée à Bethléem en Palestine.
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.