10 raisons pour lesquelles « Derrière les fronts » va faire du bien à votre féminisme !
A l’occasion de la reprise en salle du documentaire Derrière les fronts : résistances et résiliences en Palestine, j’ai tenu à revenir en tant qu’auteure et réalisatrice, sur les enjeux féministes qui ont traversé son écriture, sa réalisation et sa réception.
10 raisons pour lesquelles le film Derrière les fronts va faire du bien à votre féminisme !
1. Parce que le film est peuplé d’une forêt de femmes puissantes : le personnage principal, la Dr Samah Jabr, est une femme palestinienne, psychiatre, psychothérapeute et écrivaine, qui se réapproprie le pouvoir d’agir dans une « zone de non-être » [Selon le concept du psychiatre anti-colonialiste Frantz Fanon].
2. Parce que la Dr Jabr fournit une expertise psychiatrique et politique unique sur la Palestine et sur le trauma colonial, tout en appelant à la libération des esprits. Elle réinjecte du politique dans la notion de résilience et, plus largement, dans le champ de la santé mentale, dans le sillage de Frantz Fanon. Cette héroïne – au sens où nous sommes tous et toutes héroïnes de nos vies – est une femme musulmane et voilée à qui il n’est pas demandé, fait exceptionnel sur les écrans français, de se justifier sur sa tenue, ni de dénoncer exclusivement le patriarcat de ses frères.
3. Parce qu’une lesbienne palestinienne et musulmane, Ghadir Al Shafie, défend l’articulation viscérale de son combat en tant que lesbienne, à la lutte contre l’occupation et le pinkwashing. Codirectrice de l’association Aswat [association palestinienne queer et féministe], et également activiste dans la campagne BDS, elle témoigne des injonctions aliénantes des milieux politiques LGBT de Tel-Aviv, dont celle de renoncer à son identité palestinienne.
4. Parce que Rula Abu Diho, ancienne prisonnière politique, a contribué à organiser la résistance. Enfermée à dix-neuf ans et après avoir passé neuf années dans les geôles de l’occupant, elle incarne aujourd’hui la transmission d’une expérience politique forte, et continue son combat en tant que Maîtresse de conférences à l’Institut d’étude des femmes de l’Université de Birzeit.
5. Parce que Deema Zalloum, mère au foyer, femme sans peur, a réussi à empêcher les assassins du jeune Mohamed Abu Khdeir de kidnapper son propre fils, les frappant de toutes ses forces avec son téléphone. Elle fait tout depuis pour que ses enfants n’intériorisent pas la peur des colons.
6. Parce que Derrière les fronts met en scène des femmes et des hommes palestinien·nes uni·es contre l’occupation, dans cette mixité qui est précisément une réponse aux attaques idéologiques de l’occupant contre l’unité du peuple. Sans pour autant gommer les combats spécifiques queers et féministes.
7. Parce qu’il s’agit d’écouter les priorités et objectifs politiques de résistance et de résilience de ces Palestiniennes et Palestiniens, même s’ils et elles ne formulent pas ce qu’on voudrait entendre ou ce qu’on s’attendrait à entendre.
8. Parce que le film ne reproduit pas la dichotomie typique du cinéma français selon laquelle l’émancipation et la libération passent nécessairement par un certain rejet du religieux : oui, des femmes et des hommes sont en lutte et s’appuient pour cela sur des principes éthiques issus, entre autres, de leurs religions et de leur foi.
9. Parce que ce film est écrit, réalisé, produit et distribué par une réalisatrice féministe anti-impérialiste.
10. Parce que ce film est l’accouchement d’un nouvel imaginaire anti-colonial, porteur d’espoir et de dignité, face à toutes les oppressions.
Ce texte, j’aurais aimé qu’une autre féministe que moi le publie, mais plusieurs discussions et voix d’amies féministes m’ont inspirée, et finalement poussée à l’écrire moi-même.
Alors que le film a été sélectionné dans de nombreux festivals féministes et/ou queers à l’étranger, qu’il a été labellisé Triple F-Rated, et qu’il passe avec succès le test féministe Bechdel-Wallace comme le test anti-raciste Chavez Perez, je m’interroge sur les raisons pour lesquelles, en France, Derrière les fronts n’a quasiment pas été relayé par les médias féministes et/ou LGBT, ni sélectionné dans les festivals féministes et/ou queers. Pourquoi n’a-t-il pas été perçu comme appartenant aux cultures féministes et LGBT, et pourquoi celles-ci ne se le sont-elles pas approprié comme tel ? Qu’est-ce qui a fait écran ?
En premier lieu, le sujet même de la Palestine. Un nom qui à lui seul peut générer évitement et autocensure notamment à cause des menaces, intimidations, censures et violences qui s’abattent sur les voix anticoloniales.
L’une de mes hypothèses est aussi qu’il y a dans mon film « trop d’islam ». Trop de femmes musulmanes portant un foulard, trop d’hommes arabes, trop d’hommes arabes barbus, pour labelliser le film en tant que tel. Comme si, en France, féminisme et islamité restaient antinomiques, oxymoriques, contradictoires... et pourtant !!!
Puisse ce film participer à une décolonisation des esprits et à une ouverture des imaginaires, plus que jamais urgentes.
Alexandra Dols, 23 septembre 2020 /Médiapart / AFPS