ARTE : Documentaire sur les armes françaises qui ont tué des enfants à Gaza - à revoir sans faute

mercredi 14 octobre 2020

Le documentaire Made in France. Au service de la guerre raconte le procès d’une entreprise française qui a vendu des armes à l’origine de décès au Moyen-Orient.

La France est le troisième fabricant d’armes de la planète. Si l’État valide les contrats, il ne peut regarder tous les usages des produits issus des usines tricolores. Quand un membre d’une ONG palestinienne aperçoit les trois mots « Made in France » parmi les débris d’un drone sur une terrasse de Gaza, une aventure judiciaire hors norme peut débuter. Car cette petite pièce de fer a contribué à tuer trois enfants de 8 et 10 ans, un soir de juillet 2014, lors de l’opération « Bordures protectrices » menée par Israël. Et il ne s’agit pas d’un cas isolé.

JPEG - 88.9 ko © Les Films du Tambour de Soie/ARTE/RTBF

L’État hébreu a voté une loi stipulant qu’il ne peut indemniser une victime dans un territoire jugé, par lui-même, « ennemi ». Les plaintes concernant des morts de civils sont donc irrecevables. Mais la justice française a accepté d’ouvrir le dossier, du fait de l’implication dans cette tragédie d’un industriel français, Exxelia, qui met au point des capteurs de haute précision pour drone qu’apprécie l’armée israélienne.
Démontrer la responsabilité pénale d’un fabricant d’armes

Le film raconte le combat de militants palestiniens, aidés par un avocat français, pour faire acter la responsabilité pénale d’un fabricant de matériels à visée militaire, pour « complicité de crime de guerre et homicide involontaire ». Un combat de longue haleine sachant que la justice française ne peut enquêter sur place, et que l’industrie de l’armement goûte peu ce genre de publicité. « Il faudra entre 5 et 10 ans de procédure » explique en visioconférence l’avocat français à la mère de deux jeunes victimes.

Monté comme une enquête internationale, le documentaire de Sophie Nivelle-Cardinale et Alice Odiot, toutes deux lauréates du Prix Albert-Londres, peut parfois manquer de nuance dans le traitement de l’inextricable conflit israélo-palestinien. Mais on comprend l’empathie envers cette famille gazaouie meurtrie, victime, en plus d’un blocus économique, du cynisme de firmes étrangères. Peuvent-elles, Exxelia et d’autres, contribuer les yeux fermés à des entreprises de guerre contraire à nos valeurs ? La procédure, en cours, en inspire déjà d’autres sur l’usage d’armes françaises utilisées au Yémen par l’armée saoudienne.

Philippe Clanché

À revoir - Made in France. Au service de la guerre, Arte.

le commentaire de notre amie, la photographe Anne Pacq

Ne manquez pas l’excellent documentaire « Made in France - Au service de la guerre » de retour en ligne sur ARTE jusqu’au 21 octobre, réalisé par Alice Odiot et Sophie Nivelle Cardinale. Elles ont enquêté avec rigueur sur la plainte pour complicité de crime de guerre déposée contre un fabricant de matériel de guerre français par la famille palestiniennne Shuheibar, après qu’un de ses composants a été retrouvé dans les débris d’un missile sur le lieu d’une attaque à Gaza où trois enfants de la famille avait été tués :

Afnan Wissam Shuheibar, 8 ans
Jihad Issam Shuheibar, 10 ans, cousin d’Afnan
Wassim Issam Shuheibar, 9 ans, frère de Jihad

La famille Shuheibar avait été l’une des familles dont nous avions mis en lumière le récit dans le web documentaire que j’avais réalisé avec Ala Qandil. Je n’oublierai jamais ce 17 juillet, le jour où les enfants avaient été tués. En suivant la procession des funérailles, je m’étais retrouvée dans la petite allée menant à l’immeuble de la famille Shuheibar, et dans laquelle une trentaine de femmes et d’enfants de la famille hurlaient leur douleur après leur avoir dit un dernier revoir. "Où est la justice ?", "Quel est le crime de ces enfants ?", m’avait par la suite demandé le père d’Afnan.

La procédure judiciaire entamée en France représente un des seuls espoirs pour la famille que son histoire soit enfin entendue et reconnue comme un crime de guerre dans une instance judiciaire.

Le documentaire a ainsi le mérite de mettre la lumière sur une affaire qui mérite d’être plus connue, et pose clairement la question importante de la responsabilité pénale des fabricants d’armes qui commercent avec Israël. "Made in France" permet aussi de faire mieux connaître le travail des ONG palestiniennes des droits humains, comme le centre Al Mezan pour les Droits humains à Gaza, qui font un travail de terrain remarquable en récoltant les données et preuves des crimes de guerre, alors qu’Israël continue de faire obstruction aux instances internationales qui ne peuvent se rendre sur place pour enquêter sur les crimes de guerre.

Anne Paq
Photographe-membre du Collectif Activestills

Regardez d’urgence le film