Alpes : le combat d’André Combe pour les abeilles se poursuit en Palestine dans le cadre d’un documentaire
À 75 ans, cet ancien berger installé à Revest-Saint-Martin et militant écologique part tourner un documentaire
André Combe est un personnage. À 75 ans, cet ancien berger et "facteur timbré" ne mâche pas ses mots. Et avec son accent des montagnes de Haute-Provence, quand il parle, on l’écoute. À la manière de Pagnol avec ses collines et le Garlaban, Combe est intarissable sur la région, de sa ferme à Revest-Saint-Martin aux vallées du Mercantour, où durant sa jeunesse, il partait en estive, deux mois par an, avec les troupeaux de moutons.
André Combe, apiculteur, écrivain, réalisateur va tourner pendant six mois un documentaire sur les abeilles en Palestine.
Lui, qui livrait le courrier en 4L à Saint-Etienne-les-Orgues la matinée et assurait la suite de son père le reste de la journée sur l’exploitation familiale au-dessus de Forcalquier, n’est jamais vraiment allé à l’école. Pourtant, au milieu des champs, André a écrit toute sa vie. "Je me suis fait tout seul, confie-t-il modestement. Je suis allé en classe de la pâte à modeler au bac à sable ! Quand on vivait à la ferme, c’était interdit d’aller à l’école. J’y allais un petit peu en hiver, c’est tout. Et aujourd’hui, je suis écrivain ! Bon, j’écris comme je parle mais moi aussi, comme Pagnol, j’ai ma trilogie !" Trois livres consacrés au combat de sa vie : les abeilles. Tous publiés par sa propre maison "Coyote Éditions". "Dès sept ans, je suivais mon père aux abeilles. Je lui volais même les essaims, je croyais qu’il ne me voyait pas ! Et à dix ans, j’ai eu mon premier rucher. L’apiculture, ce n’est pas un métier, c’est une religion. J’ai attrapé le virus tout petit."
Attaché à la terre et ardent défenseur de l’environnement, André Combe est connu dans tout le département et au-delà pour ses conférences engagées. Militant passionné, il n’hésite pas à s’attaquer aux grandes firmes et dénonce dès le milieu des années 80 l’utilisation du glyphosate. "C’est une hécatombe pour les abeilles ! L’emploi de ces néonicotinoïdes entraîne la mortalité totale de nos ruchers, assure-t-il. J’ai pris mon courage à deux mains pour dénoncer les sociétés qui fabriquent ces poisons. J’ai eu plein d’ennuis car je les traitais de tout, j’y allais à la Kalachnikov ! Petit à petit, j’ai été repéré et soutenu par les syndicats apicoles nationaux, l’Union nationale de l’apiculture française et le Syndicat national d’apiculture, et ça m’a échappé..." Son combat l’amène ainsi en Bourgogne et en Poitou-Charentes pour commencer, avant de s’envoler en Ukraine ou encore en Tunisie. "Les abeilles représentent 80 % du contenu de nos assiettes. Sans elles, il nous resterait à manger que les céréales, la tomate et le kiwi. Préserver les abeilles, c’est assurer la survie de notre espèce et de la biodiversité. Et dans notre région, c’est un désastre écologique ! Les maraîchers et arboriculteurs l’ont compris depuis plusieurs années et nous travaillons ensemble. Par contre, les céréaliers, producteurs de maïs et tournesols sont ceux qui utilisent le plus de pesticides. Ils s’en foutent car leurs cultures ne sont pas pollinisées par les abeilles ", dénonce encore l’éleveur, qui n’a cessé d’alerter l’opinion publique à travers diverses publications et documentaires.
Au cours de ces voyages, André fait des rencontres professionnelles intéressantes. L’une des dernières et des plus belles l’amène aujourd’hui en Palestine. Aux côtés de son nouvel ami Moktar, propriétaire de 400 ruches à Jénine, il s’apprête à réaliser son rêve. "Je vais passer derrière la caméra et diriger un film de A à Z sur les abeilles ! Chaque nuit, je rêve des séquences qu’on va tourner dès la semaine prochaine à Jénine", confie André, les yeux presque humides, avant de se pincer encore une fois le bras pour s’assurer que toute cette aventure est bien vraie.
Ses premiers pas au cinéma avec Berri
Si André Combe passe aujourd’hui pour la première fois derrière la caméra, cet ancien berger a longtemps été un habitué des plateaux de tournage. Régisseur sur Jean de Florette de Berri ou encore Les âmes fortes de Giono, tout a commencé par le bouche-à-oreille au début des années 80 avec Manon des sources. "Pour son film, le réalisateur Claude Berri cherchait des décors. Il avait entendu parler de moi à Manosque : "le fadoli" qui a créé un musée des outils agraires à Revest-Saint-Martin. Un jour, je vois débarquer trois grosses BMW devant ma ferme et Claude Berri s’avancer vers moi, se rappelle André. Quand il est entré dans le musée, il voulait tout ! Neuf camions ont été nécessaires pour tout embarquer à Mirabeau où il tournait. Là, j’ai été un peu figurant, un peu régisseur, perchiste et je faisais les répliques en provençal. Avec Claude, nous sommes devenus amis. C’est lui qui m’a surnommé "Coyote" car c’est le dernier animal qui va mourir dans le désert ! Il voulait me garder avec lui à la RENN-Production. Il disait que je me débrouillais bien mais je ne pouvais pas arrêter La Poste comme ça ni laisser mes bêtes, j’ai refusé."
Le documentaire : "Je suis en train de réaliser un rêve"
À quelques jours du départ en Palestine, André Combe est comme un enfant. Excité, il repasse en boucle le film dans sa tête et dort à peine deux heures par nuit. Là-bas, tout a été calé avec Moktar et la boîte de production, les cameramen et techniciens sont prêts à tourner. "J’ai sauvé les ruches de Moktar qui étaient infectées par la loque américaine, une maladie qui tue le couvain. Depuis, il m’a surnommé le "docteur des abeilles" et m’a invité chez lui en Palestine, raconte André. Sur place, je lui ai parlé de la ruche française de l’abbé Warré. Il était religieux et apiculteur et s’est intéressé dans les années 20 à l’abeille et son ADN. L’abbé Warré a découvert qu’on faisait travailler les abeilles à l’envers ! Son sens ADN est de travailler à la pente et non vers le haut. Fasciné par cette découverte, Moktar m’a demandé de lui envoyer un kit pour tester. J’y suis retourné un mois plus tard et il en avait déjà reproduit une dizaine. Là, Moktar m’a poussé et proposé de réaliser un film afin d’expliquer la différence et la valeur de la ruche warré par rapport aux conventionnelles.Avant Noël, nous avons déjà tourné la première séquence de la construction. "
L’intérêt de cette ruche française est multiple selon André : "Elle est construite autour de l’essaim, c’est donc une ruche chaude qui mesure 33 cm². Les abeilles ne souffrent donc pas du froid. De fait, la production est supérieure car elle démarre plus tôt au printemps. Ce mois d’écart est capital, il permet d’améliorer le rendement. Côté pratique, la construction de la ruche warré repose sur un seul modèle de cadre s’adaptant à tous les éléments alors que la ruche conventionnelle se fait à partir d’une montagne de matériels. Pour la construction des essaims artificiels, tout est plus simple aussi."
Poussée par les syndicats apicoles, l’affaire a fait grand bruit, montant jusqu’aux ministères français et palestiniens. "Comme le film risquait de devenir commercial, il a fallu passer par plein d’organismes pour avoir les autorisations de tournage. La Télévision suisse romande va nous l’acheter et Arte est sur le coup, annonce André qui appréhende ne pas être à la hauteur. C’est super ce qu’il m’arrive à mon âge, moi, qui écrivais dans les Alpes en gardant les moutons !"
Par Audrey Avesque - la Provence - le 3 mars 2019