De l’écologie politique de l’occupation
Israël a transféré ses usines les plus polluantes en Cisjordanie et y exporte certains de ses déchets. En réponse, des Palestiniens développent des projets écologiques.
Les régions de Qalqiliya, de Tulkarem et de Jénine sont considérées comme les greniers de la Cisjordanie, mais elles sont aujourd’hui étouffées par les nombreuses implantations israéliennes et le mur de séparation. « En 1987, les Israéliens ont construit une usine chimique entre mon exploitation agricole et la ville de Tulkarem, à l’est de ma parcelle. Puis en 2003, près de la moitié de ma propriété a été confisquée pour la construction du mur du côté ouest. Je suis asphyxié », explique Fayez Taneeb, un paysan palestinien de 58 ans.
Les terres fertiles héritées de son père sont non seulement exposées à d’épaisses fumées toxiques, mais elles sont également traversées par des canaux d’eaux contaminées partant de l’usine. Et pendant la saison des pluies, les eaux ruisselant depuis Tulkarem sont polluées par les déchets toxiques et leur écoulement naturel est bloqué par la barrière de béton constituée par le mur. « Tous les ans, mes arbres et mes plantes meurent à cause de cette eau qui stagne sur mes terres. »
Huit cents industries polluantes
Les usines de l’industrie chimique Geshuri, fabricant de pesticides et d’engrais, étaient initialement implantées en Israël, mais elles ont été fermées par une ordonnance d’un tribunal israélien en 1982 parce qu’elles étaient trop polluantes. Elles ont simplement été déplacées en Cisjordanie où près de la moitié des lois environnementales israéliennes ne s’appliquent pas. Depuis le début de l’occupation en 1967, plusieurs centaines d’entreprises israéliennes se sont ainsi relocalisées ou installées en Palestine (y compris dans les colonies) où elles peuvent polluer à moindre coût.
Une dizaine d’industriels fabriquant de plastiques, teintures textiles ou pesticides ont rejoint Geshuri sur le même site ; l’ensemble forme aujourd’hui un véritable complexe appelé Nitzanei Shalom (« des bourgeons de paix »).
« La saison des pluies est finie, pourtant, depuis un mois, de l’eau acide noire s’écoule encore de la zone industrielle. J’ai fait venir des experts, mais c’est trop tard. J’ai déjà perdu 127 arbres depuis le début 2017, et cela fait une parcelle supplémentaire sur laquelle je ne peux plus rien planter », poursuit Fayez Taneeb en regardant amèrement l’usine. Des rapports d’experts mettent en évidence des taux de nitrate, d’ammoniaque, d’acide sulfurique ou de soufre bien trop élevés dans l’eau et l’air de la région ; mais les spécialistes palestiniens n’ont pas les moyens de mener des études plus approfondies.
Exporter ses ordures
Terres agricoles, vallées, réserves naturelles, toute la Cisjordanie est aujourd’hui menacée par la contamination. « La région de Salfit était très prisée des Palestiniens pour ses réserves naturelles et ses nombreuses activités récréatives, notamment le Wadi Qana [wadi : vallée]. Mais les colonies et industries israéliennes alentour y déversent tous leurs déchets et eaux usagées. Aujourd’hui, les wadis sont trop pollués, nous ne pouvons plus y aller, que ce soit autour de Tulkarem, de Jénine, de Bethléem ou d’Hébron », dénonce Izzat Zeidan du Comité palestinien de soutien agricole (Parc).
Autre source de pollution : l’armée. Couvrant près de 18% du territoire, les zones d’entraînements militaires ne sont jamais nettoyées, laissant des tonnes de pièces métalliques et d’explosives contaminer les sols.
Non seulement les implantations israéliennes en Cisjordanie polluent impunément, mais des entreprises situées de l’autre côté de la Ligne verte y envoient également leurs déchets. Elles y transféraient notamment leurs débris de bois pour les brûler illégalement. En décembre 2016, le Comité des affaires intérieures et de l’environnement de la Knesset a finalement interdit cette pratique en raison des répercussions sur les communautés israéliennes avoisinantes.
L’impossible élimination des déchets
En sillonnant la Cisjordanie, la quantité d’ordures s’accumulant à l’entrée des villages palestiniens, où les bennes sont régulièrement en feu, contrastent avec la propreté des colonies israéliennes. « Nous ne disposons pas de suffisamment de décharges, tant pour les déchets domestiques que solides, ni assez de centrales de traitement des eaux usées », explique Izzat Zeidan. Il est aussi difficile d’avoir accès aux infrastructures existantes : « Les autorités israéliennes contrôlent la majeure partie du réseau routier et ferment régulièrement les nombreux checkpoints, ce qui perturbe le transport de nos déchets. »
Très peu de projets d’aménagement de nouveaux sites voient le jour puisque l’approbation du gouvernement israélien, un passage obligé pour toute nouvelle infrastructure en zone C, entièrement sous contrôle israélien, est difficile à obtenir. L’importation du moindre matériel relève aussi d’un véritable défi. Par ailleurs, les autorités israéliennes exigent que les colonies soient reliées aux nouvelles infrastructures de collectes des eaux usées et puissent utiliser les décharges palestiniennes.
Une biodiversité en grand danger
Située au cœur du Croissant fertile, la Palestine est reconnue comme un centre important de biodiversité. Près de 2700 espèces de plantes sont originaires de la région, dont le blé, l’orge, la vigne, l’olive, l’oignon et de nombreuses légumineuses. On y trouve 520 espèces d’oiseaux, plus de 70 de mammifères et des milliers d’autres insectes, reptiles et amphibiens.
Mais la construction d’un mur de 760 kilomètres de long, d’une centaine de checkpoints, de bases militaires et de camps d’entraînement, de plus de 200 colonies et outposts (accueillant près de 400 000 personnes) et d’une quinzaine de zones industrielles, ont irrémédiablement bouleversé cet écosystème.
En janvier 2017, lors d’une conférence sur l’environnement organisée à Tel-Aviv, des groupes écologistes israéliens s’alarmaient de la situation catastrophique en Cisjordanie, déclarant que le niveau de pollution allait prochainement atteindre un point de non-retour. Le manque d’infrastructures adéquates a entraîné la pollution des ressources en eaux douces. Et les eaux souterraines sont elles-aussi sérieusement menacées, ce qui entraînerait une catastrophe humanitaire puisqu’il n’y aurait plus d’eau potable disponible ni d’eau pour l’irrigation, et donc plus d’agriculture.
Les implantations israéliennes ont considérablement réduit les espaces naturels nécessaires à la vie sauvage. Le mur s’impose comme une barrière physique qui empêche tant l’eau de pluie de suivre son écoulement naturel que de nombreuses espèces de mammifères, d’oiseaux ou d’insectes de se déplacer, de varier leurs sources d’alimentation et zones d’accouplement, mettant en danger leur survie.
Certaines espèces ont disparu
« Certaines espèces ont disparu de nos paysages ces dernières décennies, tels le lapin sauvage, l’ours brun syrien, le guépard, le daim mésopotamien. Et si aucune mesure environnementale et contre le braconnage ne sont prises, d’autres s’éteindront », confie tristement Ayman Rabi. Aussi, la réduction de son habitat naturel a fait fuir la gazelle de montagne de Palestine, une sous-espèce de l’un des mammifères les plus emblématiques du Moyen-Orient.
Et cette pollution a aussi des conséquences sur l’état de santé de la faune, de la flore et bien sûr… des Palestiniens. « Dans les régions impactées, le nombre de cancers a explosé, même chez les enfants ; les maladies de la peau se propagent ainsi que les déformations, les naissances prématurées chez les humains et les animaux », explique Izzat Zeidan. Le frère ainé de Fayez Taneeb est ainsi mort d’un cancer il y a deux ans, à l’âge de 58 ans, et son frère cadet a commencé sa chimiothérapie en Jordanie en octobre dernier. EBK
Le droit international à la rescousse
Dès 1989, Fayez Taneeb s’était associé à des agriculteurs israéliens et avait poursuivi la société Geshuri devant les tribunaux de l’autre côté de la Ligne verte. Mais la cour a refusé de traiter le dossier prétextant que l’usine est en dehors de sa juridiction. « Je ne me suis pas découragé pour autant. J’ai contacté de nombreuses institutions et ONG internationales », raconte Fayez Taneeb.
Fayez Taneeb inspecte l’une de ses parcelles qui a été sévèrement touchée par les eaux contaminées venant de l’usine Geshuri. Le mur de séparation (dans le fond), construit sur les terres même de Fayez, bloque l’écoulement de ces eaux. ELOÏSE BOLLACK
En 2012, il était invité à Londres par le Tribunal Russell sur la Palestine, un tribunal d’opinion fondé en 2009 pour mettre fin à l’impunité d’Israël. « Il a été jugé que les usines sont illégales, nocives pour la santé et doivent verser une indemnisation pour les dommages causés ; bien entendu, Geshuri n’a pas accepté la décision. »
La reconnaissance de l’Etat de Palestine par les Nations Unies en 2012 lui a permis de rejoindre différentes institutions internationales et traités. Dans le domaine environnemental, l’Etat de Palestine a adhéré à la Convention de Bâle et à la Convention sur la biodiversité en avril 2015, au Traité de Paris en avril 2016 et à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en septembre.
« L’Union internationale pour la conservation de la nature est la plus grande institution environnementale internationale publique ; notre reconnaissance en tant que membre est extrêmement importante. Les chercheurs palestiniens peuvent dorénavant participer à des plateformes internationales et exposer tous les impacts de l’occupation israélienne », explique Ayman Rabi, représentant palestinien à l’UICN. L’Etat de Palestine peut ainsi renforcer ses capacités et ses institutions afin d’appliquer ces traités. Mais surtout, il peut demander à Israël de rendre des comptes pour toutes ses pratiques détruisant l’environnement.
Depuis juin 2016, l’Administration palestinienne de la qualité de l’environnement (Eqa) a déposé trois plaintes auprès du secrétariat de la Convention de Bâle après avoir surpris des camions israéliens remplis de déchets dangereux se dirigeant vers des décharges palestiniennes. « Début juin, dans la région de Salfit, nous avons arrêté deux camions transportant 60 à 70 tonnes de déchets provenant d’abattoirs. Grâce à la médiation du secrétariat, nous avons obtenu que ces déchets retournent vers Israël », se félicite Ahmed Abu Taleb, directeur de projets et des relations internationales de l’Eqa. EBK
[*Un élan de reconnexion à la terre
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« Après l’échec des procédures judiciaires, j’ai réalisé que si je ne pouvais pas empêcher les usines israéliennes de nous polluer, je pouvais au moins changer ma façon de produire pour protéger l’environnement », confie l’agriculteur palestinien Fayez Taneeb tout en montrant fièrement son système aquaponique.
« J’ai cessé d’utiliser des produits chimiques ; le Comité palestinien de soutien agricole m’a aidé à installer des serres pour protéger mes cultures des fumées toxiques de Geshuri, et depuis 2000 toute ma production est organique. Je ne cesse d’importer de nouvelles techniques écologiques en participant à des conférences internationales. C’est ma façon de résister. » Son exploitation, rebaptisée Hakoritna (notre jardin alimentaire), est rapidement devenu un véritable vivier, accueillant régulièrement des étudiants et experts palestiniens et étrangers.
Ces dernières années, de nombreux écoprojets se sont développés en Cisjordanie dans un élan de reconnexion avec cette nature qui disparaît sous la mainmise israélienne. A Bil’in, un village au nord ouest de Ramallah, un parc naturel et une écoferme ont été créés sur une parcelle de terre reprise à la tutelle israélienne après des années de batailles judiciaires. Une ex-zone militaire israélienne fait maintenant place à la vie sauvage, où des randonnées éducatives sont proposées. Depuis février 2016, une poignée de bénévoles développe la ferme Om Sleiman, une petite école écoresponsable suivant le modèle d’Agriculture soutenue par la communauté (ASC).
Ecole 100% écolo
Ces valeurs écologiques sont intégrées progressivement par l’administration palestinienne. « Depuis août 2015, nous travaillons sur un plan national d’économie énergétique et de production d’énergies durables, notamment par la construction de bâtiments écologiques », commente Abu Taleb. Publié en octobre dernier, le rapport recommande notamment aux institutions publiques et civiles de remplacer leurs installations électriques par des panneaux solaires. « Nous avons commencé par les écoles afin que ces concepts soient acquis dès le plus jeune âge, et que ces enfants les transmettent à leur parents. » Dès août 2015, deux écoles du village de Jinsafut, dans le nord-est de la Cisjordanie, sont équipées en panneaux solaires. Et un an plus tard, la première école entièrement écologique est inaugurée à Aqqaba, une autre petite commune du nord.
L’ouverture du premier Musée d’histoire naturelle de Palestine en avril 2017, d’un parc écologique cet été dans la région de Tulkarem ou le projet d’un parc national permettent d’espérer que la jeune génération prenne conscience de cet héritage en péril. EBK
Le premier arboretum de Palestine
Le Courrier est allé visiter le premier arboretum de Palestine, Mashjar Juthour (MJ), créé par un couple palestino-américain, Saleh Totah et Morgan Cooper.
Passionnés de nature, ils ont acheté en avril 2013 un terrain d’un hectare dans une vallée à l’ouest de Ramallah, Ein Qinya, pour y replanter des espèces en voie de disparition et éduquer leur communauté sur les principes écologiques. Interview de Saleh Totah.
Pourquoi un tel projet en Cisjordanie ?
Saleh Totah : MJ signifie Roots Aboretum. Après septante ans d’occupation, nous sommes de plus en plus déconnectés de notre terre, de nos origines. Nous sommes non seulement en train de perdre notre patrimoine naturel, mais aussi la connaissance de celui-ci, tels que les noms palestiniens de certaines plantes et arbres.
Le premier jardin botanique du monde remonte au XVIe siècle, mais en 2010 nous n’en n’avions toujours pas en Palestine. Depuis les années 1980, beaucoup de Palestiniens ont commencé à se détacher de leur terre, en allant travailler pour les Israéliens pour de meilleurs salaires notamment.
La confiscation progressive des ressources, des réserves naturelles et des aires récréatives a accentué cette déconnection. Nos terres n’ont plus de valeur en termes d’héritage, mais sont perçues uniquement à partir des bénéfices qui peuvent en être tirés, au détriment de la faune et de la flore bien entendu. Il en est de même pour les animaux sauvages qui ne sont plus appréciés dans leurs espaces naturels mais sont braconnés pour de l’argent.
Comment reconnecter les Palestiniens à leurs terres ?
Plus qu’un jardin botanique, nous voulons créer un centre éducatif où nous impliquons la communauté dans la préservation de la vie sauvage et de l’écosystème.
Les Palestiniens sont très attachés à leurs oliviers, notre symbole ; mais ils ne plantent plus que cela, pour les profits qu’ils tirent de son fruit. La vallée voisine s’appelle Wadi Dilab, d’après le nom du Platanus orientalis dont elle était couverte. Pourtant on n’en trouve plus un seul aujourd’hui dans la région. On ne voit que des oliviers à perte de vue. Les chênes, les érables et différentes espèces d’aubépines ont quasiment disparu de nos paysages, abattus pour en faire du bois de chauffage.
Nous avons décidé d’organiser des ateliers expliquant l’importance de la biodiversité, les vertus de nombreuses plantes, et surtout comment causer le moins d’impact environnemental possible. Nous travaillons en partenariat avec des écoles afin d’éduquer dès le plus jeune âge.
Quels sont les obstacles auxquels vous faites face ?
Le manque d’eau est le défi principal. Pendant deux ans, nous transportions l’eau à dos de cheval depuis le bas de la vallée ; l’année dernière nous avons finalement décidé de creuser deux puits pour stocker l’eau de pluie, même si cela est interdit par les Israéliens puisque nous sommes en zone C.
Le deuxième problème est de trouver les semences ou les pousses des espèces en voie de disparition. Certaines ne se trouvent plus en Cisjordanie et nous sommes obligés de les acheter en Israël. Nous avons aussi des difficultés à trouver des financements pour nos différents projets car l’environnement n’est malheureusement pas une priorité pour les bailleurs de fonds dans le contexte palestinien. Propos recueillis par EBK
Réserves naturelles accaparées par l’occupant
* 3% de la biodiversité mondiale se trouve en Palestine. Près de 5% des plantes qui y poussent sont endémiques (120 espèces).
* 50 réserves naturelles existent en Cisjordanie. Elles représentent 9% du territoire.
* 36,2% des réserves naturelles sont incluses dans les frontières administratives des colonies israéliennes et 39,5% se trouvent des zones militaires fermées.
* 5600 arbres ont été déracinés ou coupés en 2016 en Cisjordanie par les autorités israéliennes. Plus de 800 000 arbres auraient détruits sciemment depuis 1967.
Sources : Administration palestinienne de la qualité de l’environnement / Ministère de l’agriculture palestinien / Applied Research Institute Jerusalem (ARIJ)
article d’Eloïse Bollack, Le Courrier (suisse)
[*Voir aussi sur le site de Palestine13*]
* Mohammed lutte pour l’indépendance alimentaire de la Palestine
* L’armée pulvérise des herbicides le long de la frontière de Gaza, détruisant les cultures sur 200 hectares
* Cisjordanie : les abeilles changent la vie de Palestiniennes
* L’HYDRO-APARTHEID ISRAELIEN MAINTIENT LA CISJORDANIE ASSOIFEE
* L’eau en Palestine : ce qu’il faut retenir
[*et dans la rubrique voyages*]
* Visiter le Musée d’Histoire Naturelle de Palestine à Béthléem
* voyager autrement : s’initier à la "permaculture"