En Israël les palestiniens savent qu’il faut être prudents le jeudi

samedi 3 décembre 2016

Patrouilles, intimidations, bastonnades… A Jérusalem, toutes les semaines, les membres du groupuscule juif d’extrême droite Lehava se retrouvent pour agresser les Arabes.

« Hé Mohamed, viens lécher mes pompes puisque t’aimes ça ! » Agé d’une quinzaine d’années à peine, Nathanaël a les idées bien arrêtées : il déteste les Arabes, les smolanim (« gauchistes ») et les réfugiés africains en situation irrégulière. Lorsqu’il en voit un approcher dans la rue, il ne peut s’empêcher de le provoquer dans l’espoir que l’altercation se transforme rapidement en bastonnade. « Un jour, on expulsera tous les Araboushim [« bicots », ndlr] de notre terre sacrée. Du moins, ceux qui n’auront pas été tués, lâche-t-il en pointant du menton un Palestinien qui s’enfuit sans demander son reste. On en gardera bien quelques-uns, mais pour nous servir, puisqu’il faudra nettoyer les rues et vider les poubelles. »
JPEG - 58.5 ko
A l’instar de quelques centaines d’autres jeunes Israéliens du pays et des colonies, Nathanaël participe régulièrement aux activités du mouvement d’extrême droite Lehava (« le flambeau »), dont les partisans se réunissent chaque jeudi soir sur la place de Sion, le cœur de la partie juive de Jérusalem. Qu’il pleuve ou qu’il vente, militants et sympathisants sont fidèles au rendez-vous. Accolades, bourrades dans le dos : a priori, l’ambiance est détendue et les participants peuvent passer pour des boy-scouts un peu trop expansifs. Sauf qu’ils sont vêtus d’un tee-shirt noir frappé d’une étoile de David jaune entourée de branches de laurier de la même couleur, et que leurs méthodes s’apparentent à celles des milices fascisantes des années 30. « Les juifs savent qu’ils peuvent compter sur nous pour les défendre car notre mission est de nettoyer la terre sainte des scories qui la polluent », nous dit l’un de ses militants dont le tee-shirt porte la mention « Garde juive d’honneur ».

« Nazi juif ».
Officiellement, Lehava est une organisation pacifique prétendant « défendre les valeurs juives » en tentant de convaincre « les femmes de notre peuple de ne pas sortir avec des Arabes », comme le racontait Libération en 2014. Mais en réalité, ce mouvement dirigé par Bentzion Gopstein se veut l’héritier spirituel de Meir Kahane, un rabbin américano-israélien qui prônait l’extermination des Arabes et la transformation d’Israël en un Etat juif basé sur la halakha (« la tradition religieuse »). En 1984, l’élection à la Knesset de celui qu’on surnommait le « nazi juif » a été invalidée en raison de ses opinions extrémistes. Il fut assassiné six ans plus tard à New York par un Américano-Palestinien. Kach, son mouvement, reste interdit dans l’Etat hébreu mais ses sympathisants se retrouvent dans d’autres structures, dont la plus active est Lehava. Un groupuscule ? Plus maintenant, puisque ses militants sont présents partout en Israël et dans les colonies de Cisjordanie.

Sur la place de Sion, l’action de la « Garde juive d’honneur » débute généralement vers 22 heures par une petite distribution de tracts. Une ou deux heures plus tard, lorsque les nombreux Palestiniens employés (le plus souvent au noir) dans les cafés-restaurants des alentours terminent leur service, les militants passent alors aux choses sérieuses. En ce jeudi soir de novembre où nous avons suivi le groupe, le premier Palestinien à être menacé est un jeune garçon de cuisine qui descendait la rue Agripas (l’artère commerciale piétonne de Jérusalem-Ouest) en grillant une clope. « Regardez là-bas, un terroriste », lance une jeune fille du groupe. Sentant le danger, le type fuit sans demander son reste. « Les Araboushim sont comme ça : tu cries un peu trop fort et ils pissent dans leur froc », lâche un membre de la meute encouragé par les rires gras et les applaudissements de ses copains.

Peu de plaintes.
« Les travailleurs palestiniens, ainsi que les habitants de Jérusalem-Est [la partie arabe de la ville] savent qu’ils doivent être prudents le jeudi. D’ailleurs, ils évitent de se balader seuls à certaines heures de la soirée », raconte Aviv Tatarsky, un responsable de l’ONG israélienne Ir Amim, qui tente d’aider les victimes des attaques de Lehava. « Souvent, les Arabes ne déposent pas plainte parce qu’ils savent que cela ne sert à rien. La police ne les écoute pas et si elle le fait, elle enquête plus que mollement, assène Tatarsky. J’ai vu de mes yeux des policiers refuser de prendre la déposition de victimes arabes tabassées par des gens de Lehava alors que leurs agresseurs se trouvaient sur le trottoir d’en face et ricanaient crânement. Lorsque l’un des plaignants a élevé la voix, les flics ont contrôlé ses papiers avec suspicion en menaçant de l’emmener au commissariat. »

« Affolement ».
Parmi les principales cibles des militants de Lehava figurent les chauffeurs de taxi arabes, qui sont souvent pris à partie lorsqu’ils stationnent autour de la place de Sion. « Rentre chez toi, va retrouver Arafat ! » lancent des extrémistes qui n’hésitent pas à rayer la carrosserie des véhicules dès qu’ils en ont l’occasion.

Il y a six mois, Montasser, un chauffeur originaire de Beit Safafa (Jérusalem-Est), a pris une pierre en plein visage alors qu’il allait charger des clients aux alentours de la place de Sion. Traumatisé, ce quinquagénaire à la chevelure grisonnante n’a pas repris son travail. « J’ai encore leurs cris de haine dans les oreilles, dit-il. L’un d’entre eux m’a traité de mehabel [« terroriste »] et j’ai compris qu’ils allaient me lyncher si je ne déguerpissais par sur-le-champ. Dans l’affolement, j’ai planté mes clients sur place mais une pierre a pénétré par la fenêtre ouverte de ma voiture. »

Une agression parmi de nombreuses autres, car Lehava et des dizaines de sympathisants sont également impliqués dans des attaques d’églises, de mosquées et d’écoles prônant le dialogue israélo-arabe. Dans le courant de l’été, le quotidien Yediot Aharonot a d’ailleurs révélé que le mouvement extrémiste organisait un camp d’entraînement dans une colonie proche de Hébron, en Cisjordanie. Et que ses militants y apprenaient le combat rapproché, ainsi que le maniement des armes. Mais tout cela n’a pas eu de suite judiciaire, ce qui permet à Bentzion Gopstein de parader dans les rues de Jérusalem en jurant qu’ils « n’ont rien à se reprocher ».
Nissim Behar

sources : Libération